Il signait les chèques... elle écrivait les montants
Tribunal correctionnel Un homme de 95 ans a été délesté de 52 000 euros par une femme qui s’était proposé de s’en occuper à titre amical. Elle frôle la prison ferme.
Seul, fragile psychologiquement à la suite du décès de son amie, un homme de 95 ans était devenu une cible facile à abuser financièrement pour une sexagénaire de Beausoleil. Dans son rôle d’auxiliaire de vie bénévole improvisé après une rencontre fortuite dans la rue, elle s’occupait essentiellement de faire les courses pour le nonagénaire déficient. Sans travail ni allocation prétendus, cette femme a-telle fait preuve pour autant d’abnégation ? Si elle notait scrupuleusement les sommes dépensées, l’assistante avait pris la fâcheuse habitude de rajouter souvent 1 000, 2 000, voire jusqu’à 3 000 euros sur les montants des chèques.
Au total, 52 000 euros étaient détournés entre 2016 et 2018 des avoirs économisés par le retraité âgé. Trop confiant, le vieil homme signait les chèques. Madame les remplissait… Le processus était alors facile à effectuer pour la vacataire. Jusqu’à l’hospitalisation du nonagénaire laxiste, suivie de son décès quelque temps plus tard.
Le fils unique, rassuré en son temps de la présence de l’auxiliaire de vie jusque-là qualifiée d’irréprochable auprès de son père, feuilletait fortuitement le carnet de chèques. Il notait, effaré, les différences significatives entre les talons et les sommes débitées sur les relevés bancaires. Des opérations jugées trop conséquentes pour celui dont le seul souci était de vivre chichement afin de tranquilliser ses vieux jours.
« Il me demandait de rajouter 2 000 ou 3 000 euros »
La prévenue et le plaignant se sont retrouvés à l’audience correctionnelle, longuement interrogés par le président Jérôme Fougeras Lavergnolle(*). L’auxiliaire de vie, mise sur le gril judiciaire, s’estime sans reproche. « Monsieur s’était retrouvé seul et il m’avait demandé de l’aider. Il était meurtri par la disparition de son amie et il souhaitait que je l’assiste pour retourner dans son appartement de Monaco. Mon rôle était vite devenu quotidien dans sa vie. Rapidement, je contactais les services sociaux pour contribuer à son bien-être. Car je détestais qu’il reste isolé. Pour ma part, je m’occupais essentiellement des courses afin qu’il ne manque de rien. » On entre dans le vif du sujet très attendu par les juges. « Je payais et je rassemblais tous les tickets des dépenses. Monsieur me faisait un chèque global à la fin de chaque mois. Je le remplissais et il le signait en constatant l’exactitude de la somme équivalente déboursée. Un jour, il désirait me remercier en me mettant sur son testament. Puis, il a changé d’avis, préférant m’accorder des gratifications. Il me demandait de rajouter 2 000 ou 3 000
euros. » Le magistrat l’interrompt. «Il y a vingt-sept chèques dont les sommes véritables ne sont pas mentionnées sur les talons. Pourquoi ?
– Je n’ai jamais pensé à d’éventuelles menaces, soupire la prévenue. Si j’avais su, j’aurais noté le montant exact et je ne serais pas là ! – Mais plus les années passent, plus les sommes augmentent. De 1 000 on passe à 2 000 puis à 3 000 euros pour arriver à 52 000 euros. Pour quelle raison ?
« Tout a été fait avec l’accord de Monsieur »
– Tout a été fait avec l’accord de Monsieur. Une attestation était écrite de ma main et il devait la recopier pour garantir son accord sur les gratifications perçues. Je n’ai jamais voulu le spolier. Mais tout de même, tout travail mérite salaire ! Il me versait cet argent afin d’améliorer ma façon de vivre. Je l’avais provisionné sur un compte épargne et je faisais des virements sur le compte courant quand j’étais trop juste.
– Ces 52 000 euros vous ont évité des difficultés financières. Et dans le
cas contraire ?
– Je ne connaissais jamais le montant des gratifications. Il m’est d’ailleurs arrivé d’être à découvert.
La fidèle dévouée rappelait la frontière de ses missions. « J’avais de la pudeur. Je ne le lavais pas, ni l’habillais. Je n’ai rien fait de mal. J’ai juste accepté de l’argent »
La phrase provoque la colère du premier substitut, Julien Pronier. « Alors, pourquoi vous refusez de changer le frigo ? Pourquoi vous suspendez les repas livrés par la mairie ? La source de revenus commençait-elle à se tarir ? Une autre se mettait-elle en place ? » La sexagénaire beausoleilloise réfute tout.
« Une loterie avec un seul perdant »
Le président entend la version du plaignant. Il voyait peu son père à l’époque car le fils était atteint d’une maladie grave. Mais à l’hôpital, le paternel s’était confié. « Il s’estimait piégé de signer, uniquement par peur de partir en maison de retraite… » Le demandeur est relayé par son avocat pour des faits « d’une lâcheté redoutable. C’était une loterie avec une seule gagnante et un seul perdant, argue Me Christophe Ballerio. Que penser d’une femme qui dépense pour des madeleines et du tabac à rouler 78 000 euros. On a ramené ce montant à 52 000 eurossans justificatif, car les factures étaient stockées sous le ballon et devenues inexploitables à cause d’un dégât des eaux… »
Plus de la moitié de son patrimoine
Et de relever : « L’argent ponctionné représente plus de la moitié du patrimoine de son protégé. La condamnation pour cet abus de confiance doit être assortie d’une liberté d’épreuve. » Le représentant du parquet incite la formation collégiale à prendre du recul pour apprécier l’abus de vulnérabilité. « Madame voulait tout obtenir en gagnant la confiance du nonagénaire, avec un élément prédominant : la mise sous tutelle. Était-il aussi lucide comme le raconte la prévenue ? Est-on conscient de payer jusqu’à 3 000 euros quand on met sa veste de costume sur son pyjama ? » Avant de requérir une peine de neuf mois d’emprisonnement, dont trois mois ferme et une liberté d’épreuve, le parquetier estime qu’au rythme où l’argent partait, « il n’y aurait plus un sou en banque aujourd’hui. »
Après en avoir délibéré pendant plusieurs semaines, le tribunal correctionnel a suivi les réquisitions du ministère public, ordonné le placement de l’auxiliaire de vie sous le régime de la liberté d’épreuve pendant trois ans et l’obligation de verser à la partie civile tous préjudices confondus la somme de 54 001 euros. L’avocat réfléchirait-il à un éventuel appel ?
JEAN-MARIE FIORUCCI * Assesseurs : Florestan Bellinzona et Aline Brousse.