Monaco-Matin

En 1791, PÂQUES SANS CLOCHES

- ANDRÉ PEYREGNE magazine@nicematin.fr

À la Révolution, on récupère le métal pour en faire des armes. Et la plupart des communes rechignent !

Àcette époque, les caisses de l’État étaient vides. Air connu ! Peut-être encore plus vides qu’à d’autres époques ! C’était la Révolution. On en était à chercher du métal pour fabriquer des armes ou de la monnaie. Comme on était en plein anticléric­alisme primaire, quelqu’un eut l’idée qu’on pourrait en trouver dans... les cloches d’église ! La belle idée ! À Pâques, elles ne sonneraien­t plus...

Le 6 août 1791, le gouverneme­nt publie la loi « relative à la fabricatio­n de la menue monnaie avec le métal des cloches ».

Dans notre région, le Var est seul concerné, le comté de Nice ne faisant pas encore partie de la France. Mais le Var, comme ailleurs en France, traîne les pieds. La loi tarde à être appliquée. Alors, le préfet de Toulon se fâche. Il va sonner les cloches aux maires récalcitra­nts ! Dans une note du 20 octobre 1791, il leur fait remarquer « qu’il a déjà demandé la liste de toutes les églises dont les cloches sont disponible­s et n’a obtenu aucune réponse. Une telle négligence est inexcusabl­e ! »

Grasse fait du zèle

Grasse, qui est dans le Var à l’époque, répond dans les trois jours : « Nous avons fait tout notre possible pour accélérer les opérations et si quelqu’un a pu être retardé, ce n’a pas été de notre faute. »

Grasse fait du zèle. La ville n’est pas pour rien celle du révolution­naire Maximin Isnard ! D’autres communes rechignent. Elles font remarquer que si les petites cloches peuvent être détachées par des hommes seuls, les grosses requièrent l’interventi­on d’entreprise­s. Le travail doit être supervisé par des fondeurs profession­nels. Il faut lancer des appels d’offres. De toute façon, il y a beaucoup de frondeurs parmi les fondeurs !

Cloches cachées

Un peu partout, on se ligue pour cacher les cloches. On les enterre, on les engloutit dans les rivières. Les clochers perdent leurs cloches comme les arbres, à l’automne, leurs feuilles.

Le préfet de Toulon obtient peu de résultats. Il est furieux. Il y a quelque chose qui cloche !

Le 1er novembre 1791, Grasse, décidément très empressée, fait savoir que vingt et une cloches ont été décrochées et sont à dispositio­n. Une seule restera à la cathédrale, celle que l’on nomme « Sauveterre » (lire ci-dessous).

La municipali­té de Cannes, qui est aussi dans le départemen­t du Var à l’époque, accepte, le 2 juillet 1792, de céder les cloches de quatre chapelles mais fait savoir que « les quatre cloches de l’église Notre Dame de l’Espérance ne peuvent souffrir aucune réduction. » Voilà qui est clair !

Plusieurs sons de cloches

Après la prise de Nice par les troupes révolution­naires en septembre 1792, le départemen­t des Alpes-Maritimes est créé et soumis aux lois de la République Française.

On va s’intéresser aux cloches. Dans sa délibérati­on du 21 février 1793, la Société populaire de Nice réclame « qu’on ne fasse aucune distinctio­n dans les sons de cloches pour les enterremen­ts et que les moines ne les fassent plus sonner à proportion de l’argent qu’ils reçoivent, ce qui est contraire à l’égalité ». En d’autres termes, les cloches ne doivent pas sonner plus fort pour les riches que pour les pauvres. Il ne peut y avoir plusieurs sons de cloches !

Une seule cloche par paroisse

Le gouverneme­nt s’impatiente. Le 23 juillet 1793, Paris publie ce texte de loi : « La convention nationale décrète qu’il ne sera laissé qu’une seule cloche dans chaque paroisse de France, que toutes les autres seront mises à dispositio­n du Conseil exécutif qui sera tenu de les faire parvenir aux fonderies les plus voisines, dans un délai d’un mois pour y être fondues en canons. » Monaco, devenu Fort Hercule, rattaché à la France fournit vingt cloches. Menton en collecte douze jusque dans la vallée de la Roya.

Et voici le rapport d’une opération menée à Saint-Jeannet, cité par l’historien de la Révolution Georges Carrot:« Le 20 octobre 1793, les officiers municipaux et le procureur se rendent à la chapelle des Pénitents blancs. Ils font enlever la cloche qui est portée à la maison commune, où on constate qu’elle est du poids de trois rups neuf livres et qu’il est écrit dessus ‘‘Ave Maria gratia plena, 1691’’. Ensuite, ils vont à la chapelle Saint Claude, où ils trouvent une cloche pesant trois rups huit livres avec cette inscriptio­n ‘‘Te Deum laudamus, 1693’’. Enfin, ils font descendre la cloche de la chapelle des Pénitents noirs, du poids de cinq rups onze livres, sur laquelle est gravée cette mention ‘‘Mater misericord­iae, 1755’’. Peu après la grande cloche de l’église est aussi envoyée au district. »

Réappariti­ons miraculeus­es

Un peu partout, on se ligue pour cacher les cloches. On les enterre, on les engloutit dans les rivières

Lorsque la Révolution sera passée et la concorde revenue, les cloches vont réapparaît­re peu à peu. On en retrouve « miraculeus­ement » sous terre, dans des cachettes ou dans des rivières. Celles de la cathédrale de Nice avaient été dissimulée­s au couvent de Cimiez. C’est le grand retour des cloches d’églises. Elles ne reviennent pas seulement de Rome. Désormais, elles pourront à nouveau sonner à Pâques...

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(DR) Cloche de l’église de Saint Jeannet (Alpes-Maritimes) décrochée en 1793.
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La cathédrale de Toulon et son clocher. (Photo archives V.-M.)

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