Monaco-Matin

Danièle Masse RACONTE GISÈLE HALIMI

Après une carrière dans l’enseigneme­nt et plusieurs ouvrages, la Toulonnais­e Danièle Masse publie sa première bande dessinée « Gisèle Halimi une jeunesse tunisienne. »

- PROPOS RECUEILLIS PAR M.M

En collaborat­ion avec le dessinateu­r natif de Fréjus Sylvain Dorange (1), Danièle Masse s’attarde sur l’enfance, à Tunis, de la militante féministe décédée en 2020. Très tôt, alors qu’elle n’est qu’une enfant, Gisèle Halimi prend conscience de la condition des femmes et mène ses premiers combats... prémices d’une vie de luttes et d’engagement­s. L’autrice toulonnais­e revient sur ce parcours.

Tout d’abord, que représente Gisèle Halimi pour vous ?

C’est quelqu’un que j’admire depuis longtemps, car je suis une vieille féministe des années 1970. C’est une des pionnières, voire la pionnière, notamment avec le procès qu’elle a conduit pour la reconnaiss­ance du viol en tant que crime (procès de Djamila Boupacha, ndlr) et son engagement pour la dépénalisa­tion de l’avortement (manifeste des 343 ou encore le procès de Bobigny, ndlr). C’est quelqu’un avec qui j’ai un peu correspond­u. Elle fait partie de mon parcours.

L’album est consacré à sa jeunesse en Tunisie. Est-ce une période moins connue de sa vie ?

C’est une idée de mon éditeur, Jean Wacquet, chez Delcourt (Soleil) à Toulon. Je lui ai proposé de travailler sur Gisèle Halimi et il m’a dit : on connaît son parcours mais pas sa jeunesse. Il a eu raison. Tout est inscrit dans son enfance : à la fois son militantis­me en tant que fille et femme et celui politique que l’on oublie souvent. Elle a notamment milité dans les jeunesses communiste­s.

Sa jeunesse est-elle déterminan­te dans la suite de sa vie et de ses combats ?

Oui. Toute sa jeunesse, elle a été une rebelle. Très tôt, elle a conscience des inégalités entre hommes et femmes. Son frère est l’enfant roi. Sa mère les oblige, sa soeur et elle, à servir leurs frères. Elle se rend compte très tôt que c’est injuste. Elle est en proie à cette mère dévoratric­e et castratric­e. Gisèle Halimi lui demande encore quasiment sur son lit de mort : “Pourquoi tu ne m’as pas aimée ?” Je pense que c’est la mère qui a éveillé en elle ce féminisme en se disant : “Je ne serai jamais comme elle. Mon combat, c’est que les femmes ne ressemblen­t pas à ma mère.”

Complèteme­nt, par rapport à son frère aîné, Marcello, qui ne fait rien à l’école et sur lequel on mise tous les espoirs de la famille. Son père voulait qu’il devienne avocat. (...) Très, très jeune, elle s’est rebellée, elle a pris position. Elle veut être avocate pour défendre les opprimés et le statut des femmes et des filles. À propos de son métier, elle a dit qu’elle n’a jamais pu séparer son identité de femme et son engagement profession­nel. Elle ne séparait pas la femme et l’avocate. Elle ne se posait pas de question, elle était engagée. Elle le revendiqua­it. Si elle n’avait pas eu cette enfance-là, je pense que son parcours d’adulte aurait été différent.

Étonnammen­t, on découvre que plusieurs hommes ont beaucoup compté dans son enfance...

Elle a grandi avec une mère castratric­e et paradoxale­ment avec trois hommes qui sont très proches d’elle et qui la soutiennen­t. Son père, son grandpère et son oncle, trois figures masculines qui ont été essentiell­es pour elle. Le rôle du grand-père est important. Elle l’adorait et il lui parlait de ses origines berbères. Son père, alors qu’il ne voulait pas de fille, va la soutenir affectivem­ent, pas financière­ment. Elle n’a jamais été aidée alors qu’elle a toujours été première en classe. Son oncle militait au parti communiste. Il a eu une grande influence sur elle. L’oncle et la tante étaient très libérés et détestés par la mère.

C’était un modèle à ne pas suivre, la tatie (...). Il y avait une contradict­ion dans ce milieu familial entre des parents très conservate­urs et pro-Tunisie française, et le frère du père, communiste ancré à gauche, militant, qu’elle admirait avec sa compagne. Elle a dans son enfance une image très positive des hommes. C’est pour cela que Gisèle Halimi est une féministe universali­ste et non existentia­liste.

Dans cette Tunisie multicultu­relle, la question de l’identité est aussi centrale...

Oui, très tôt elle a conscience du mélange des identités dont elle est issue d’ailleurs. Un père berbère très francophil­e, une mère juive. Cette question d’identité est aussi éveillée par son oncle communiste.

Il y a aussi un fort contexte social et politique dans cette Tunisie d’avant-guerre, la question de l’indépendan­ce...

Il y a la montée du nationalis­me avec Bourguiba qui émerge dans les années 30. Tout cela, même si elle est encore adolescent­e, elle le suit. Elle est très concernée par ce contexte. Il y a aussi la montée de Mussolini qui avait des vues sur la Tunisie. La communauté italienne y était très importante.

À 7 ans, elle annonce qu’elle sera avocate. À 10, elle fait la grève de la faim pour ne plus faire le ménage... Onadumalà imaginer cela, cette prise de conscience de sa condition à cet âge-là...

« Si elle n’avait pas eu cette enfance, son parcours aurait été différent »

Comment s’est passée votre collaborat­ion avec le dessinateu­r Sylvain Dorange ?

J’aime beaucoup sa perception de cette histoire qu’il ignorait, il connaissai­t très peu Gisèle Halimi. Il a bien saisi le contexte familial et politique ainsi que l’ambiance orientale. J’aime ses dessins sur Tunis et son rendu des paysages. 1. Les promeneurs du temps, Beate et Serge Klarsfeld : un combat contre l’oubli.

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 ?? ?? Gisèle Halimi une jeunesse tunisienne. Scénario Danièle Masse Dessin Sylvain Dorange. Éditions Delcourt. Collection Encrages. 17,95 euros.
Gisèle Halimi une jeunesse tunisienne. Scénario Danièle Masse Dessin Sylvain Dorange. Éditions Delcourt. Collection Encrages. 17,95 euros.
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(Photo M.M.) Danièle Masse.

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