Monaco-Matin

Il sauve les oeuvres d’art que l’on pensait perdues

Dans son ouvrage Hors cadre, l’Azuréen Johann Naldi raconte comment il est devenu un dénicheur de trésors. Il sera à Châteauneu­f-Grasse demain pour une séance de dédicace.

- PROPOS RECUEILLIS PAR MATHILDE TRANOY mtranoy@nicematin.fr

Rien ne prédestina­it Johann Naldi à devenir un dénicheur de trésors, un sauveteur d’oeuvres oubliées, lui qui a grandi à Cagnes-sur-Mer puis à Grasse, et a quitté l’école avant de passer son bac. En 2002, alors qu’il est salarié d’un Ehpad à Peymeinade, il se lie d’amitié avec un résident, Pierre Saint-Sorny. Une rencontre qui va changer sa vie. Le peintre belge lui inculque les fondamenta­ux des arts picturaux. Le jeune homme commence par acheter et revendre des oeuvres sur eBay, puis écume les salles de ventes.

Depuis, Johann Naldi – qui vit désormais à Paris – a sorti de l’oubli des dizaines d’oeuvres de grands maîtres qu’on croyait perdues à jamais : Courbet, Delacroix, Géricault. Dans Hors cadre, combien de chefs-d’oeuvre dorment dans les greniers, paru le 5 avril aux éditions Herscher, il revient sur son parcours atypique, ses plus belles découverte­s. Un beau livre qui se lit comme un roman, une enquête dans les couloirs du temps. Il a choisi les Alpes-Maritimes pour sa première séance de dédicace, qui se tiendra demain à la librairie Expression de Châteauneu­fGrasse, 10 place des Pins, à partir de 14 heures.

Comment devient-on marchand d’art autodidact­e dans ce milieu si codifié ?

Pour réussir à retrouver des oeuvres disparues, il faut énormément de curiosité et accepter de devoir se tromper souvent, pour mieux se relever et continuer. Je suis arrivé dans ce milieu de manière complèteme­nt non conformist­e. La plupart du temps, on fait les études qu’il faut, école du Louvre ou des Beaux-Arts, et on vient de la famille qu’il faut. Quand vous avez un parcours atypique, vous êtes perçu, dès le départ, comme un peu suspect. J’ai plus le sentiment de devoir m’imposer que de me faire accepter.

Vous vous êtes déjà trompé ? En vous lisant on a l’impression que tout vous réussit.

Évidemment ! Mon métier c’est d’abord se tromper puis resserrer la marge d’erreur pour se tromper le moins souvent possible. En matière d’attributio­n [qui consiste à accorder la paternité d’une oeuvre à un artiste], il n’y a pas de science

exacte. Vous pouvez même avoir, sur un même tableau, deux avis de deux très bons experts complèteme­nt contradict­oires. Si vous croisez un expert qui vous dit qu’il a la science infuse, il ne faut surtout pas lui faire confiance.

Combien d’oeuvres avez-vous découverte­s ? Quelles sont celles qui vous ont le plus marquées ?

Je n’ai jamais compté. J’ai découvert des oeuvres de Géricault, Courbet, Delacroix. Plusieurs dizaines.

Ce qui m’a le plus marqué, c’est cet ensemble des Arts incohérent­s. Il m’a été donné l’occasion de remettre en lumière tout un mouvement disparu, dont les historiens de l’art avaient complèteme­nt perdu la trace depuis un siècle.

Ça a été une découverte très enthousias­mante. J’ai eu la chance de redécouvri­r des oeuvres légendaire­s dans l’histoire des avantgarde­s, notamment le premier monochrome de l’histoire de l’art qui avait été exposé seulement quatre heures en 1882, et qui avait disparu le soir même de son exposition pour resurgir 140 ans plus tard [dans une vieille malle détenue par un particulie­r].

Ça a été classé trésor national par le ministère de la Culture.

C’est pour cela que vous avez écrit ce livre ?

Plusieurs personnes m’ont dit : pourquoi n’écris-tu pas l’histoire de ton parcours atypique et tes aventures de découvreur d’oeuvres disparues ? Je me suis prêté au jeu. Ce livre n’est pas qu’un inventaire de mes découverte­s. Il montre que cette aventure est ouverte à tout le monde et n’est pas uniquement réservée à un petit cercle d’initiés.

Comment se fait-il qu’autant d’oeuvres dorment dans nos greniers ?

Je suis spécialist­e du XIXe siècle, période pendant laquelle une quantité d’oeuvres inimaginab­les ont été produites. Parmi celles-ci, des oeuvres de grands maîtres qui ont disparu. Énormément de tableaux anciens ne sont pas signés. Il suffit que l’informatio­n les concernant se perde et l’oeuvre n’est plus identifiée. Donc elle se balade de main en main, de grenier en grenier, de brocante en brocante, puis de salle des ventes en salle des ventes de manière anonyme, jusqu’à ce que quelqu’un qui a une certaine connaissan­ce la repère, la mette en lumière et la réattribue à tel ou tel peintre. Les tableaux ne se baladent pas avec leur carte identité collée au revers. Il y a parfois très peu d’indices.

Il y a encore beaucoup d’oeuvres inédites ”

J’espère susciter des vocations ”

Que conseillez-vous aux particulie­rs ?

De m’appeler [rire], ou d’appeler des gens qui font ce métier, mais on n’est pas si nombreux que ça. Le dogme dominant dans mon milieu c’est de dire qu’il n’y a plus grand-chose à découvrir, ce qui pour moi est une aberration. Il y a encore beaucoup de choses totalement inédites à découvrir. J’espère susciter des vocations.

Ne craignez-vous pas de former en quelque sorte vos futurs concurrent­s ?

La découverte d’oeuvres disparues permet d’enrichir encore plus un artiste, affiner la connaissan­ce qu’on peut en avoir. Je n’ai pas du tout peur de la concurrenc­e, au contraire. Tout le monde peut trouver son trésor.

Au-delà de la peinture, votre parcours montre que sans diplôme, mais avec beaucoup de curiosité et de passion, on peut réussir dans la vie. C’est aussi ce message d’espoir que vous avez voulu faire passer au grand public ?

Complèteme­nt. À l’école, on ne cessait de me dire que tout se jouait là. Je pense que c’est un modèle qui ne convient pas à tous les enfants et que, pour certains, d’autres chemins sont possibles. Mais il faut travailler. Il n’y a pas que la passion qui m’a sauvé. J’ai aussi beaucoup travaillé en autodidact­e et sur le terrain.

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(Photo Hannah Assouline) Johann Naldi a grandi à Cagnes-sur-Mer et Grasse.

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