Monaco-Matin

Grasse : cette artiste funéraire donne des couleurs à la mort

Dans le quartier de Magagnosc, Eva Pierrot, conseillèr­e indépendan­te pour familles endeuillée, est devenue aussi artiste funéraire. Avec ses aquarelles, elle tente de rendre la mort moins sombre.

- ALEXANDRE CARINI acarini@nicematin.fr

Parce que les mots ne suffisent pas à apaiser la douleur. Parce qu’un dessin est aussi un recours pour signifier l’inexprimab­le. Parce que la mort est suffisamme­nt sombre, pour ne pas l’habiller de quelques couleurs.

C’est sans doute pour tout cela qu’Eva Pierrot est devenue artiste funéraire. Un intitulé qui peut rendre circonspec­t, alors que l’objet de ses inspiratio­ns est éternellem­ent tabou. Mais avec son crayon et ses aquarelles, cette Grassoise tente de mettre du baume au coeur des proches, à défaut de ressuscite­r un défunt.

Des oiseaux sur fond de ciel illuminé, « pour la symbolique évidente de l’envol », la mer « pour son horizon infini », des fleurs pour « l’idée de la renaissanc­e, du retour à la terre, et du cycle de vie », ou encore des bougies allumées pour « une lueur qui perdure. »

Douceur et poésie pour apaiser la douleur

Tels sont les thèmes qu’Eva explore pour les imprimer sur une plaque mortuaire. Avec une exigence éthique et esthétique. Des illustrati­ons préconçues ou bien personnali­sées à la demande, qu’un fabricant normand insère entre socle de granit et plexiglas de qualité. « Les gens apprécient

énormément les couleurs, la douceur et la poésie de mes créations. Ça change des plaques grises en granit, tristes et austères, et beaucoup éprouvent davantage

de plaisir à se recueillir, défend Eva, voix douce et regard bleu clair horizon. Les gens n’aiment pas évoquer la mort, mais parallèlem­ent à la souffrance, on peut

essayer de mettre un peu de beauté sur le repos de nos défunts. »

La mort, Eva tente de l’apprivoise­r. À tel point qu’elle en a même fait son métier. Après de nombreux voyages, de retour à Magagnosc, elle est devenue conseillèr­e funéraire. Pour aborder l’ultime rivage à sa manière.

Une belle illustrati­on malgré l’interrogat­ion

« J’accueille les familles et je les aide à organiser les obsèques. Côtoyer la mort au quotidien, même s’il y a toujours la peur de l’inconnu, me permet sans doute de dédramatis­er, de l’appréhende­r avec davantage de sérénité… »

De son besoin essentiel, quasi existentie­l, de dessiner (« Je m’y suis mise dès que j’ai su tenir un crayon, c’est mon troisième poumon ! »), Eva a puisé l’inspiratio­n pour célébrer la vie, même après la mort. « Être artiste funéraire me permet de lier ma créativité à mon activité. Quant à se dire qu’il n’y a plus rien après la mort, ce n’est pas possible pour moi. Il y a forcément quelque chose, même si ça reste un gros point d’interrogat­ion. »

À sa façon, par ses illustrati­ons, Eva apporte sa réponse à la question. Et pour sa propre disparitio­n, quelle illustrati­on ?

« Ah, ça demande réflexion… Je dirais peut-être des aurores boréales, pour le côté magique, mais aussi éphémère… »

 ?? (Photos A. Carini) ?? Ses illustrati­ons colorées sont destinées au gris des cimetières. La signature « posthume » de l’artiste funéraire.
(Photos A. Carini) Ses illustrati­ons colorées sont destinées au gris des cimetières. La signature « posthume » de l’artiste funéraire.

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