Monaco-Matin

Victoria Bedos « EN RÉALISANT CE FILM, JE ME RÉALISE MOI ! »

La scénariste de « La Famille Bélier » se penche, dans son premier long-métrage, sur les difficulté­s d’être soi à l’adolescenc­e. « La Plus belle pour aller danser » permet aussi à la réalisatri­ce de s’affirmer en tant que personne.

- KARINE MICHEL kmichel@nicematin.fr

Elle a eu un coup de foudre pour son actrice, Brune Moulin, parfaite en jeune fille complexée et en mal de reconnaiss­ance. Dans sa famille comme au collège. Avec « La plus belle pour aller danser », Victoria Bedos passe de l’écriture de scénario à la réalisatio­n. Rencontre à Toulon, où la jeune cinéaste est venue présenter son film, au Pathé.

Comment est né ce film ?

Ma productric­e, Hélène Cases, qui avait vu « La Famille Bélier » et connaissai­t mon travail de scénariste, m’a suggéré un soir d’oser passer à la réalisatio­n. Je l’ai vécu comme une autorisati­on à le faire enfin, car j’en avais très envie au fond de moi. C’est comme si elle avait entendu quelque chose que je n’osais pas dire. C’est un peu frustrant pour un scénariste qui a toute une histoire en tête de la voir mettre en images par quelqu’un d’autre. La fabricatio­n concrète d’un film est passionnan­te. Ma productric­e avait un livre dont elle avait acheté les droits qui parlait de l’adolescenc­e, du harcèlemen­t aussi. Je l’ai lu, cela m’intéressai­t mais je lui ai proposé de travailler sur une histoire originale, inspirée de ce que je connais mieux : ma vie.

Vous êtes tombée amoureuse d’un garçon qui lui-même était amoureux des garçons ?

(Rires) Non, cette partie, je dois le dire, est davantage inspirée par la vie de ma mère : elle était danseuse, très entourée d’amis danseurs du coup, sans jamais savoir si elle pouvait en tomber amoureuse… Ça s’inspire plus de mes sentiments d’adolescent­e. Je n’étais pas la fille cool du collège, pas celle qu’on invitait aux soirées parce que, comme Marie-Luce, j’avais ce sentiment de décalage avec ma génération. J’étais très imbibée de la génération de mon père [Guy Bedos, ndlr], j’écoutais du Barbara quand tout le monde écoutait du rap. Comme j’étais précoce scolaireme­nt, il y avait une sorte de bizarrerie. J’avais une tête de bébé avec un cerveau de mamie. Je me suis inspirée de ça pour en faire une histoire universell­e qui touche tout le monde.

Pourquoi choisir de travestir Marie-Luce ?

On a réfléchi à comment montrer la complexité adolescent­e d’une fille mal dans sa peau. Avec mon coscénaris­te – Louis Penicaut – on adore les films de travestiss­ement, on s’est dit que ce masculin féminin pouvait un peu raconter notre époque. Jouer avec les codes du genre. À partir de là, on a brodé. À 14 ans, je n’étais pas très à l’aise avec ma féminité, je me suis coupé les cheveux très courts, et on m’a appelé jeune homme pendant un an. Ce n’était pas une volonté de me travestir mais je suis allée chercher du côté de la masculinit­é pour me découvrir femme.

Vous évoquez aussi, les rapports intergénér­ationnels en plaçant MarieLuce comme seule ado dans une pension pour personnes âgées...

Ces pensions de famille existent. C’était un désir de parler de cette génération car j’ai été élevée par un père vieux, il m’a eu tard. J’adorais sa génération. J’avais envie de leur rendre hommage. Ma coscénaris­te m’a parlé de ces pensions de famille. Cela recrée un esprit de famille pour cette jeune fille qui cherche ses repères.

Vous abordez également la relation filiale avec Philippe Katerine dans le rôle du père de Marie-Luce. Une relation compliquée dont ils vont se libérer d’une certaine manière…

J’ai travaillé sur le deuil dans tout le film. Ils n’en ont jamais parlé, sont dans le déni. Sauf qu’à un moment, cela pourrit leur relation. Je voulais décrire ce moment où Marie-Luce n’a plus d’autres choix que d’aller interroger son père pour comprendre son identité de femme. J’ai travaillé avec une psy – moi ma psychanaly­se, c’est l’écriture ! – et j’ai emmené mes personnage­s sur le divan. Elle m’a aussi aidé à comprendre comment je devais finir l’histoire. Elle m’a donné des clés de psychanaly­se formidable­s. Ça m’a même fait flipper un peu pour tout dire (rires) car il y a des trucs que je n’ai pas réglés avec mon père et maintenant qu’il est au ciel, ça va être compliqué… (rires) Mais c’était super de travailler comme ça.

Pierre Richard en vieux gay, ça s’est imposé naturellem­ent ?

Je n’écris pas pour des acteurs, mais c’est vrai que son nom s’est vite imposé. Travailler avec lui, ça nous a permis d’être exigeantes avec nous-mêmes, Brune et moi. Il m’a obligée à être à la hauteur de son talent.

La mise en lumière quand on est « fille de », on la redoute ?

« À 14 ans, je n’étais pas très à l’aise avec ma féminité »

On a toujours peur de ne pas être légitime. J’ai l’impression qu’on doit en faire beaucoup plus pour que les autres se disent : « OK, ça ne vient que d’elle ». Mais je suis née avec ça, c’est mon combat, mais ça a d’autres avantages. Et puis c’est comme ça : j’ai cette famille, elle m’a appris beaucoup de choses et en même temps, ça met la pression parce que je veux être à la hauteur du talent de mon père et de mon frère [Nicolas Bedos]. J’ai aussi le sentiment qu’en réalisant ce film, je me réalisais moimême. Je me suis alignée, enfin, vous voyez ? Ça m’a donné une énergie folle.

Un projet cinématogr­aphique, un jour, avec votre frère ?

Je ne sais pas. Je ne pense pas. On adore parler de cinéma ensemble, il m’a donné des conseils, je suis allée sur son tournage… Mais en revanche, on a des univers très différents. On vient de la même famille mais on ne ressent pas la vie de la même manière. Mais je pense que c’est comme ça dans toutes les fratries. On nous donne un rôle dans une famille : être une petite soeur ou un grand frère ce n’est pas la même chose. J’adore ses films mais je ne pourrais pas les faire. Je suis comme ça dans ma famille aussi : j’ai envie que les choses se terminent bien.

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