Monaco-Matin

« Ici, je me suis ouvert »

Jonny Wilkinson s’est confié en exclusivit­é à Var-matin. L’occasion d’évoquer avec cette légende son intronisat­ion au Hall of Fame du RCT, mais également sa gestion de l’après-carrière.

- Entretien réalisé par Florian Dalmasso et Pierrick Ilic-Ruffinatti

Si le parterre de stars qui sillonne Toulon depuis ce week-end rend heureux (et un brin nostalgiqu­e) tout le public du RCT, l’arrivée de Jonny Wilkinson, lundi soir, a fait basculer les Toulonnais dans la folie. Arrivé en rockstar, le demi d’ouverture double champion d’Europe a multiplié les photos, les sourires et les apparition­s publiques.

Après sa conférence de presse – « la première depuis huit ans » – « Wilko » s’est confié en exclusivit­é à Varmatin. Plus humble que jamais (et affûté comme à ses plus grandes heures), l’ancien capitaine du Rugby club toulonnais, désormais âgé de 43 ans, a évoqué son intronisat­ion au Hall of Fame, mais également son aprèscarri­ère, ses années toulonnais­es et ce qu’elles ont changé au plus profond de sa personnali­té.

Être sélectionn­é parmi les huit meilleurs joueurs de l’histoire du RCT, qu’est-ce que cela représente pour vous ?

C’est un privilège, un honneur, bien sûr. Mais, qu’est-ce que cela représente ? C’est une marque de respect pour ce que j’avais en moi, mais également ce que mes coéquipier­s, les coachs ou même Mourad Boudjellal avaient en eux. Cette récompense ne peut pas être vécue comme quelque chose de personnell­e. Voilà, cette nomination représente pour moi cette connexion très spéciale que j’ai eu avec mes coéquipier­s, avec ce club, ce public, cette région. C’est ça que je retiendrai.

En quoi votre passage à Toulon vous a changé en tant qu’homme ?

Je crois qu’on cherche tous le sentiment de libération, de joie, la sensation d’appartenir à quelque chose. Et forcément, dans le sport, on essaie de le trouver dans les récompense­s, dans les trophées... Mais, ce que j’ai appris à Toulon, au contact

de grands joueurs, c’est que le lien, la connexion que nous avions au sein du groupe n’avait rien à voir avec les trophées. A Toulon, je me suis ouvert. À un moment, j’avais ce besoin de chercher des réponses dans mon intérieur. Et j’ai compris que c’était pareil pour les joueurs qui m’entouraien­t. Alors je crois que c’est à ce moment qu’on s’est vraiment « rencontrés ».

L’après-carrière de Jonny Wilkinson, perfection­niste dans l’éternel ?

C’est intéressan­t, car j’ai pu comprendre en arrêtant qu’il y avait un « avant ». Et en tant que joueur, j’ai connu une période où je voulais contrôler mon évolution. Je voulais devenir ce que je souhaitais être. C’est aussi

‘‘

parce que dans le sport, on considère que le trophée est la chose à aller chercher, qu’un titre est le secret de la vie éternelle. Mais après ta carrière, tu te rends compte que tu es obligé de continuer ce voyage (la vie NDLR), sauf que tu ne remportera­s plus jamais de trophée... Il faut accepter de laisser l’univers en contrôle de la situation. Et moi, il a fallu que j’accepte de devenir qui j’étais, et non pas qui je voulais être. J’ai alors cherché à déterminer ce qu’était ma passion.

Et alors ?

Dans mes passions, il y a bien sûr le rugby, mais encore davantage le travail autour de la santé mentale, des émotions. C’est pour ça que j’aime travailler avec les joueurs. Car il y a la passion du rugby, mais encore davantage cette volonté d’être connecté avec les gens.

Votre journée type ?

Je me lève, je passe du temps avec ma famille et je me pose la question de « comment je peux réellement profiter de chaque moment de ma vie ? » C’est ce qui m’anime au quotidien. Et la solution que j’ai découverte aujourd’hui, c’est que la réponse ne venait pas du paraître, de ce qu’on peut montrer. Les solutions viennent de l’intérieur. Alors la déception, la joie, le challenge, la fête, c’est quelque chose que j’exprime bien plus à l’intérieur de moi qu’à l’extérieur. La santé, on pourrait croire que c’est la forme physique, se dire « ah, il va bien, il est en bonne santé ». Mais ce n’est pas ça. Le succès dans la vie, ce n’est pas le nombre de trophées, mais de savoir si j’ai bien vécu. Est-ce que j’ai mené une vie qui valait la peine d’être vécue ? Voilà ma vie aujourd’hui, et évidemment que ce sont les coups de pieds, les entraîneme­nts, le sport et tout le reste qui m’ont permis de comprendre cela. C’est ce que je cherchais pendant ma carrière.

Avez-vous eu besoin de jeter les crampons à la poubelle, en 2014, pour complèteme­nt couper avec le rugby ?

Après ma carrière, il a fallu que je continue à suivre ma passion. Car le problème, c’est que pendant toutes ces années, je gardais cette passion, sauf que le désir de tout contrôler la consumait. Et la passion disparaiss­ait, sauf que je ne trouvais pas les réponses... Je me disais que c’était probableme­nt parce que le rugby était dur, mais c’était faux, c’était seulement que je voulais tout contrôler. Sauf qu’à la fin de ma carrière, j’ai pu cesser de tout contrôler, et me demander ce que représenta­it encore ma passion du rugby dans mon fort intérieur... Et d’ailleurs, il y a trois-quatre ans, quand j’ai fini par lâcher prise, je me suis dit que j’étais à même de reprendre le rugby, même si j’avais 39 ans. Je me disais « oui, c’est peut-être possible ».

Avez-vous hésité à reprendre ?

Non, car ça aurait été un pas en arrière pour moi. Mais je me sentais plus libre, plus prêt physiqueme­nt, dans une vraie belle forme, sans pression et avec seulement la sensation de prendre du plaisir à faire des passes, à faire de la technique individuel­le. Et aujourd’hui, je sais que ma passion est derrière moi. Mais c’est vrai qu’après la carrière, c’est difficile d’arrêter. Mais finalement, le plus dur, c’est d’enlever le maillot. Car on continue de vivre avec le numéro 10 sur le dos, sauf que tu ne joues plus au rugby. Alors tu as l’impression que tu ne peux pas t’engager dans le moment que tu es en train de vivre, car il n’y a pas de match, alors que toi tu as encore le maillot...

Continuez-vous d’aller buter, parfois ?

Oui, tout le temps. J’aide l’équipe d’Angleterre, mais je cherche surtout à trouver la maîtrise quand j’entraîne ou que je m’entraîne. Quand je joue au rugby, mais pas seulement. Quand je fais du basket, je me dis « comment mettre le ballon ici, mais sans effort ? » Et c’est génial comme sensation. C’est un voyage incroyable, intense et difficile. Et je n’ai compris qu’après le rugby que je n’étais pas prêt à cela pendant ma carrière... Tout était un effort selon moi, alors que maintenant, je suis prêt à accepter qu’il y a un génie, toujours prêt à créer quelque chose, des situations, sans le moindre effort. Ce qui aide à être plus efficace. Aujourd’hui, quand je tape dans le ballon, je sens que je peux bien mieux buter que pendant ma carrière. Parce que j’utilise tout ce que j’ai, tout ce que je suis, et pas tout ce que je voulais montrer.

Le succès dans la vie, ce n’est pas le nombre de trophées, mais de savoir si j’ai bien vécu”

Si Pierre Mignoni vous demande de jouer 20 minutes contre Castres, samedi ?

Oh non, avec le genou, ou surtout les épaules, je crois que ce serait difficile sur les premiers chocs (rires) !

 ?? (Photo doc L. B./P. Bl.) ?? Le 21 mai 2014, bouclier de Brennus à la main, Jonny Wilkinson fait le tour du Stade de France avec le sentiment du devoir accompli.
(Photo doc L. B./P. Bl.) Le 21 mai 2014, bouclier de Brennus à la main, Jonny Wilkinson fait le tour du Stade de France avec le sentiment du devoir accompli.
 ?? ?? (Photo Frank Muller)
(Photo Frank Muller)

Newspapers in French

Newspapers from Monaco