Monaco-Matin

« 642 millions et 80 000 d’intérêts par jour à payer »

Après la villa de Saint-Tropez et l’hôtel particulie­r de Paris, Dominique Tapie doit tout vendre pour rembourser une partie de ses dettes. Elle vient de publier « Bernard, la fureur de vivre ».

- La fureur de vivre, PROPOS RECUEILLIS PAR JOELLE DEVIRAS jdeviras@nicematin.Fr

On est le 3 octobre 2021. Après quatre ans d’un combat acharné contre le cancer, l’homme de sa vie meurt dans ses bras. Dans l’hôtel particulie­r de la rue des Saints-Pères, à Paris, où elle et son mari Bernard ont vécu 35 ans, Dominique, entourée de toute la tribu Tapie, reste là, immobile. Le temps s’est arrêté. Mais dehors, ça s’agite. Les comptes bancaires du couple sont tous bloqués au point que, cinq jours plus tard, la veuve n’a « même pas l’argent pour enterrer [son] mari » à Marseille. À aujourd’hui 72 ans, elle réécrit sa vie, sans le sou.

Au décès de votre mari, les difficulté­s financière­s sont tombées aussitôt ?

Immédiatem­ent ! Je n’avais plus rien du tout. Le CDR [Consortium de réalisatio­n, chargé de gérer le passif du Crédit lyonnais, Ndlr] avait déjà bloqué mon compte personnel parce qu’il m’avait mis en liquidatio­n. À la mort de Bernard, j’ai rencontré son liquidateu­r. Il m’a vu une heure, une fois. J’ai demandé comment faire pour acheter du pain. Il m’a répondu : « On verra plus tard… » Après, on m’a désigné un liquidateu­r personnel.

De quoi vivez-vous aujourd’hui ?

J’ai la moitié de la retraite de député de mon mari. Avec les caisses complément­aires, je perçois 1 600 euros par mois. Je suis dans une réalité un peu dure. Mais j’ai quand même de la chance : j’ai des amis extraordin­aires. À la mort de Bernard, Jean-Louis Borloo a tout de suite loué un appartemen­t pour moi dans le même quartier que l’Hôtel de Cavoye, vendu à François Pinault et qu’il m’a fallu très vite quitter. Aujourd’hui, mon fils Laurent m’aide à payer le loyer. Et je suis en train de rechercher quelque chose de plus modeste.

Votre mari n’avait rien prévu pour vous ?

Il me pensait à l’abri !

Après le procès de l’arbitrage, il lui a été octroyé 404 millions d’euros sur un litige qui portait sur des milliards. Le CDR a pris 100 millions. Il restait donc 304 millions. Or, quand il faisait ses comptes, entre les actions de La Provence, l’hôtel particulie­r de la rue des Saints-Pères et la maison de Saint-Tropez, il y en avait pour 309 millions. Tout devait être remboursé.

Et il restait encore des actifs. Mais c’était sans compter les intérêts qu’on me réclame aujourd’hui...

Tout est vendu ou va l’être, même l’appartemen­t familial dont j’ai hérité.

Combien devez-vous payer ?

Plus de 642 millions d’euros, et 80 000 euros d’intérêts qui se rajoutent tous les jours. C’est complèteme­nt aberrant. Comment Bernard pouvait prévoir cela ? L’État est une machine qui vous broie. C’est lui, qui, en repoussant le procès, creuse plus encore la dette. Bernard pensait qu’on allait me ficher la paix. Eh bien non ! On m’a même réclamé des arriérés d’impôts.

N’avez-vous jamais pensé à quitter la France ?

Si, bien sûr, et partir n’importe où. Mais Bernard n’a jamais voulu. Il était tellement fier d’être français.

Comment vivre avec pareils tracas ?

J’envoie tout à mon liquidateu­r. Dans tous les cas, je ne pourrai jamais rembourser. J’ai ma famille, mes chiens et ma danse classique qui est comme une thérapie personnell­e. Dès que je me mets à la barre, j’oublie tout. C’est une résilience.

Vous venez de publier Bernard : la fureur de vivre. Ce livre vous aide à faire le deuil ?

Complèteme­nt ! J’ai commencé, comme une analyse, avec Catherine

Siguret, qui est coauteure. Le travail de mémoire m’a permis de comprendre que tout ce que l’on prend pour acquis peut disparaîtr­e du jour au lendemain.

Sort en septembre une minisérie sur Netflix sobrement appelée « Tapie », qui n’est pas de votre goût…

Dans la promotion faite sur les réseaux sociaux, Bernard a été qualifié d’« arnaqueur ». Si je prends la définition du Larousse, mon mari a donc été présenté comme un « escroc, un filou ». C’est inadmissib­le. Je crois d’ailleurs savoir que Netflix a retiré son post Instagram.

Qu’avez-vous ressenti quand votre mari est décédé ?

Une charge émotionnel­le m’a submergée. J’ai été dans le déni quasiment jusqu’au bout. Il y avait toujours l’espoir, porté par la volonté de Bernard. Il a essayé un nouveau protocole qui venait des États-Unis et n’avait jamais été testé en France. Ça n’a pas marché. Ce fut très dur à la fin parce qu’il voulait y croire. Il avait un tel respect pour les médecins et la recherche médicale…

En 2018, Bernard Tapie est parrain des étudiants de la faculté de médecine de Nice. Aux côtés de Christian Estrosi, du doyen Patrick Bacqué, des Prs Maurice Chazal, Philippe Brunner, Christophe Trojani et tant d’autres, on le voit émouvoir tout l’amphithéât­re...

Il avait été extrêmemen­t honoré d’être choisi. La médecine le fascinait. Quand il est tombé malade, il s’est plongé dans tous les livres pour comprendre et mieux affronter la maladie.

Héroïque face au cancer, cherchait-il ainsi une forme de popularité ?

Non, pas du tout. Il était content de servir à quelque chose. « Si mon combat peut aider les autres, pourquoi ne pas partager et donner de l’espoir ? », me disait-il. Il avait énormément de compassion pour les gens. C’était quelqu’un de vrai.

Les gens l’arrêtaient à l’hôpital, dans la rue. Nous recevions beaucoup de courriers. C’était moi qui répondais. Il a beaucoup aidé les gens comme ça…

Quand a-t-il lâché prise ?

Je l’ai senti résigné les dernières 48 heures. Bernard disait toujours : « Il faut vivre chaque jour comme si c’est le dernier.

Le grand manège de la vie est un combat. »

Ses derniers mots ?

Je dormais à côté de lui les derniers temps. Il disait qu’il avait réussi sa vie et non pas qu’il avait réussi dans la vie. Ça peut sembler curieux, mais on ne parlait pas de sa mort. Il y a des tabous…

Il disait pourtant croire en Dieu...

Il avait une foi profonde, qui s’était exacerbée après son passage en prison et qui ne l’a plus quitté.

Bernard n’a jamais voulu quitter la France”

Bernard et Hervé Temime vont faire appel là-haut tous les deux”

Le Crédit lyonnais… Une affaire qui a empoisonné votre vie ?

Oh là là… Oui, jusqu’à sa mort. Il appelait son cancer « le Crédit lyonnais ». On n’en parlait pas beaucoup tous les deux, sauf quand les huissiers débarquaie­nt à la maison à 6 heures du matin. La première fois, c’était il y a 23 ans, quand Bernard a été mis en liquidatio­n. Puis il y a eu trois ou quatre perquisiti­ons. Je ne sais plus… À la fin, je faisais le café pour ces messieurs. Bernard trouvait le moyen de leur parler et c’était une conversati­on presque sympathiqu­e.

Il fallait qu’il échange, c’était plus fort que lui.

Votre mari voulait aussi résister pour l’appel de son procès, prévu le 6 octobre 2021. Il est mort trois jours avant...

Et notre ami et avocat est décédé le 10 avril dernier. Bernard et Hervé Temime vont faire appel là-haut tous les deux.

Dans le cadre de la promotion de son livre Bernard,

paru aux Éditions de L’Observatoi­re le 22 mars dernier (21 euros), Dominique Tapie sera à l’Hôtel de Paris de Saint-Tropez pour une signature le 16 juillet et début juin au Festival du livre de Nice.

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