VOYAGE EN TERRE INCONNUE
Prétendre comprendre – et expliquer – l’univers de la psychiatrie via un reportage de 48 heures serait absurde, tant il est complexe. On peut simplement se défaire de certaines croyances et s’affranchir de peurs archaïques en se laissant guider par ce qui
Au cours de ces 48 heures d’immersion, nous aurons croisé des dizaines de visages. Saisi des centaines d’expression. Des sourires. Des larmes. Des absences. Des douleurs muettes. Des hurlements joyeux. Du désespoir. Des espoirs. Surtout ne pas hâtivement interpréter.
Juger. Ou s’effrayer faute de parvenir à déchiffrer. Se contenter d’observer, de recueillir quelques témoignages de personnes vivant avec des troubles psychiques, et surtout d’écouter tous ces professionnels, médecins, soignants, psychologues… qui accompagnent au quotidien ces patients très vulnérables et souffrent souvent de la même stigmatisation qu’eux. Ces patients, ces professionnels, on les retrouve dans l’enceinte de l’hôpital mais aussi hors les murs. Le nombre de lits en psychiatrie n’a cessé en effet de diminuer : 1549 lits en 1961, 413 en 2012, 280 aujourd’hui, 255 dans un horizon proche. Au centre hospitalier Sainte-Marie (CHSM) de Nice, premier acteur en santé mentale dans le département des Alpes-Maritimes, comme dans tous les établissements psychiatriques de France, le processus est inexorable. Même si d’aucuns opposent qu’on ne pourra pas aller plus loin, rien ne semble plus pouvoir interrompre le mouvement de désinstitutionnalisation prôné par l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) depuis le début des années 1970 et soutenu par l'arrivée des premiers neuroleptiques. Il ne s’agit plus de garder le malade à l'écart des autres citoyens, de l'assister, il faut le soigner avant tout et le ramener au sein de sa communauté sociale. C'est ainsi que hors les murs de l’hôpital, on a commencé à s'organiser en développant un panel de services ambulatoires : hôpitaux de jour, CMP (Centres médico-psychologiques)…
Se retrouvent ainsi, dans la cité, des patients qui ne sont plus en phase aiguë de leur maladie, mais qui restent pour la plupart très fragiles. Car, s’il est une chose que l’on peut retenir de ce temps (trop court) passé au côté de ces femmes, de ces hommes, jeunes ou vieux, atteints de troubles psychiques, c’est la difficulté d’une vie à porter ce fardeau. Cohabiter avec une maladie psychiatrique est une épreuve de chaque jour : pensées noires, idées bizarres, difficultés relationnelles, isolement… Ces personnes représentent un danger. Pour elles-mêmes avant tout.
Le taux de suicide très élevé dans cette population en témoigne : dans 47 à 80 % des cas de suicide et tentatives suicides, on retrouve des antécédents psychiatriques. Dangereux aussi pour les autres aussi parfois. Des faits divers relancent ainsi régulièrement les débats sur la prise en charge des malades mentaux et la sécurité. Des polémiques que regrettent les professionnels qui, au quotidien, accompagnent ces malades complexes. Car elles nuisent à toutes les actions qui sont menées, dans des conditions souvent difficiles, pour améliorer leur destin. Et les aider à se relever lorsque la maladie les fait trébucher.
1549 lits en 1961, 280 aujourdhui
Pour nous aider à mieux comprendre les enjeux actuels autour de la santé mentale, le plus grand hôpital psychiatrique du département des Alpes-Maritimes (deux tiers de la population maralpine dépend de cette structure) a accepté de nous ouvrir ses portes. Toutes ses portes. Depuis celles de l’USIP (Unité de Soins Intensifs Psychiatriques) jusqu’à celles de la clinique des autistes, en passant par des services fermés plus traditionnels ou encore par la seule unité du département dédiée aux patients âgés atteints de troubles psychiatriques. Car, la maladie ne décline pas avec l’âge. Un enseignement parmi tant d’autres fournis par ce reportage.