« Macron n’a plus de solution »
Journaliste politique, Ludovic Vigogne publie un livre sur les atermoiements du Président après sa réélection il y a tout juste un an. Des hésitations et erreurs qui ont mené à l’impasse actuelle.
Emmanuel Macron s’est donné cent jours pour retrouver un peu d’allant. Comment analysezvous cette annonce ?
C’est comme s’il voulait retourner à la case départ, redonner à son second mandat une 2e chance. Cent jours, c’est une expression très connotée dans le monde politique, qui désigne la période qui suit l’élection du chef de l’Etat, en principe marquée par un état de grâce. Or, on voit bien que ça n’a pas été le cas au lendemain du 24 avril 2022. Un an après, alors qu’il apparaît dans une situation quasi inextricable, c’est comme s’il voulait utiliser une ardoise magique pour tout effacer et repartir sur de bonnes bases après un début de mandat totalement raté. élections vont donc être très, voire trop longues pour lui.
Vous le décrivez K. O. le soir des résultats des législatives, qu’il n’aurait pas vu venir...
La campagne des législatives, dans la foulée de sa réélection, ne l’inquiète pas du tout. Il est persuadé que les Français ne vont pas se déjuger après l’avoir réélu. L’ampleur de la défaite le laisse tétanisé. Un sentiment renforcé par la défaite de deux proches : Christophe Castaner et Richard Ferrand, deux des piliers de son écosystème. Ce 2e tour est l’une de ses plus dures soirées depuis son accession à l’Elysée.
Revenons sur le choix de la Première ministre. Il s’agit là encore d’un levier qui échappe au président réélu, qui avait choisi Catherine Vautrin…
Elle est clairement son choix initial pour Matignon. Ils se connaissent peu, mais Catherine Vautrin coche toutes les cases de la fiche de poste dressé par Macron : une femme, élue de terrain (1), un profil à la Castex. Leurs rendezvous en tête-à-tête achèvent de le convaincre. Il la charge de réfléchir à un futur gouvernement. Puis les choses lui échappent, jusqu’à ce qu’il finisse par se faire tordre le bras.
Que se passe-t-il exactement ?
Dès que le nom de Catherine Vautrin fuite, l’aile gauche de la majorité lance sa contreoffensive : hors de question que, pour la 3e fois, un LR accède à Matignon. Face à ce front du refus, dont fait partie Alexis Kohler, secrétaire général de l’Elysée, Macron va céder. Cela montre que son autorité est amoindrie et que dans ce système archi-centralisé autour de sa personne, tout le monde est interchangeable. La preuve : il voulait nommer une élue locale de droite, et c’est une polytechnicienne de gauche qui s’installe à Matignon.
Comme s’il voulait se donner une seconde chance”
Diriez-vous que les ferments de la crise actuelle étaient contenus dans ces cent jours ?
C’est en effet une période essentielle pour comprendre ce qui se passe : c’est parce que ce quinquennat est mal né qu’il se retrouve aujourd’hui dans une telle nasse. Il n’a pas fait les bons choix stratégiques et il n’a pas obtenu de majorité absolue, ce qui le plonge aujourd’hui dans une grande difficulté. C’est très compliqué de faire un second mandat. De Gaulle et Chirac en sont sortis en lambeaux. En vertu de la réforme constitutionnelle de 2008, Macron ne peut pas se représenter. Résultat : la guerre de succession s’est ouverte dès le lendemain de sa réélection.
Comment peut-il se sortir d’un piège où il n’a plus ni majorité, ni popularité ?
La dissolution est impossible et la perspective d’un accord avec les Républicains est une chimère. Il n’a plus de solution. C’est sans doute pour ça qu’il s’est donné cent jours. La séquence de la réforme des retraites a été traumatique. Il y est apparu à la fois autoritaire et porteur d’une réforme profondément injuste. Il ne peut donc pas faire autre chose que de tenter de reconstruire pas à pas, dans des temps très courts, quasiment à tâtons. Son seul « espoir » aujourd’hui serait la survenue d’une crise majeure, qui rebattrait totalement les cartes.
Depuis son élection, les extrêmes se sont renforcés, écrivez-vous. Et si cela restait son héritage ?
Le scénario du pire, pour lui, c’est de devoir laisser les clefs de l’Elysée à Marine le Pen. En 2017, il a fait exploser le système politique en faisant quasiment disparaître les partis historiques comme le PS et les Républicains. Le problème, c’est que le système politique ne s’est pas reconstruit, à part à ses extrêmes. Le bloc central est affaibli. Il est très possible que son propre parti ne survive pas à son départ. Luimême n’a d’ailleurs pas d’héritier.
Or, ne laisser aucun legs politique serait un immense échec pour lui.
Est-ce qu’un remaniement pourrait le sortir de l’ornière ?
Le problème est que, sur le papier, il n’existe aujourd’hui aucun Premier ministre qui permette à Emmanuel Macron d’élargir sa majorité. Même l’hypothèse Gérard Larcher, qui circule à bas bruit, ne garantirait pas le soutien des députés LR. Et puis avoir prétendu incarner le nouveau monde pour finir par recruter à Matignon un tel représentant de l’ancien monde, ce serait quand même très cruel… 1. ◗ .