Monaco-Matin

Jacques Toubon alerte sur les reculs de la démocratie

L’ancien garde des Sceaux, ex-Défenseur des droits, s’inquiète de la progressio­n des autocratie­s dans le monde. Niçois d’origine, il donne une conférence dans sa ville natale aujourd’hui.

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S’il fallait mettre un visage sur l’expression « grand serviteur de l’État », ce pourrait être le sien. Pendant un demi-siècle, Jacques Toubon a été de tous les combats politiques. Député, ministre de la Culture, garde des Sceaux, puis Défenseur des droits de 2014 à 2020, ce chiraquien historique revient dans sa ville natale à Nice, aujourd’hui et demain, pour une conférence puis une séance de dédicaces (1).

Vous estimez que nos droits sont en danger. Qu'est-ce qui vous rend si pessimiste ?

Je fais un constat : la démocratie est en recul, voire en train d’agoniser, en Europe comme dans le reste du monde. C’est le cas, notamment, dans deux pays emblématiq­ues : l'Inde, considéré comme la plus grande démocratie parlementa­ire du monde, qui bascule peu à peu dans une dictature fondée sur une base identitair­e. Et Israël, seule démocratie à l'est de la Méditerran­ée depuis 1948, qui prend le chemin de la négation de l'État de droit. L'identitari­sme et l'autoritari­sme remplacent l'universali­sme, au prétexte de répondre à de nouvelles prétendues menaces.

Quid de la situation en France ? Pour juger les terroriste­s, la loi de 1986 avait déjà créé une juridictio­n spéciale…

[Il coupe] Une juridictio­n spécialisé­e, pas spéciale ! Nous avions fait très attention à maintenir tout cela dans les principes de la procédure pénale de droit commun.

Après les attentats de 2015 et 2016, la loi Silt a intégré dans le droit commun quatre dispositio­ns de l'état d'exception. N’était-ce pas le début d'une dérive ?

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Non. Si on s'arrête là, on reste dans les limites tolérables pour un État de droit. La ligne n'a pas été franchie. Mais en matière de procédure pénale, tout est une question de pratique. On verra comment ces mesures seront appliquées dans dix ou vingt ans.

Vous mettez en cause les différents états d'urgence, liés au terrorisme ou à la pandémie, qui « portent une atteinte durable à nos droits et à nos libertés ». À vos yeux, ces mesures ne sont pas justifiées ?

On en a translaté certaines dispositio­ns dans le droit commun. Il reste des éléments qui semblent à l'encontre de nos principes : par exemple, la possibilit­é de placer des personnes sous surveillan­ce. La difficulté, c’est que lorsqu’on prend de telles mesures, il est très difficile de revenir en arrière.

Pendant la crise de la Covid, le gouverneme­nt a bien agi ?

Il a fait ce qu'il fallait faire, même si, à l’époque, j'ai mis en garde contre certaines mesures excessives comme l'interdicti­on de sortir. Tout cela n'a été que temporaire…

En 1993, alors ministre de la Culture, votre nom avait été évoqué comme candidat possible à la mairie de Nice. Vous n'avez jamais regretté de ne pas vous être présenté ?

J’étais pleinement engagé dans mon action ministérie­lle. Et j’envisageai­s la possibilit­é de succéder à Jacques Chirac à la mairie de Paris. Aujourd’hui… Oui, clairement, je regrette de ne pas avoir tenté ma chance à Nice (3).

PROPOS RECUEILLIS

PAR LIONEL PAOLI lpaoli@nicematin.fr

1. Conférence-débat sur le thème « Menaces sur l’état de droit » organisée par Les Amis de la liberté, animée par Jean-François Téaldi, ce jeudi à 18 h 30 à l’amphithéât­re de la Maison des associatio­ns, 12 place Garibaldi à Nice. Entrée libre.

Vendredi de 14 heures à 16 heures, Jacques Toubon dédicacera son livre Je dois vous dire (éditions Stock) à la librairie Massena, 55 rue Gioffredo à Nice.

2. Loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.

3. Le scrutin a été remporté en 1995 par la liste divers droite conduite par Jacques Peyrat, qui avait quitté le Front national l’année précédente.

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(Photo Valérie Le Parc) Ancien ministre d’Édouard Balladur et Alain Juppé, Jacques Toubon donne aujourd’hui une conférence dans sa ville natale, Nice.

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