Monaco-Matin

Il y a cinq siècles, Monaco recevait Machiavel

L’entrevue entre le seigneur monégasque et le diplomate florentin se déroula au château de Menton.

- ANDRÉ PEYREGNE

Ce fut au cours d’un mois d’avril il y a cinq siècles. Le 2 avril 1511 exactement. Par une belle journée de printemps, un bateau portant le nom de Saint-Christophe se présente au large de Monaco. La mer est calme. Le bateau appartient à la République de Florence, ce petit Etat habité d’artistes qui prospère au centre de la péninsule italienne et sur lequel a longtemps régné la famille Médicis. (Les Médicis ont été chassés en 1494 sous l’influence du prêtre Savonarole). Le Saint-Christophe poursuit sereinemen­t sa traversée au large du cap Martin quand, soudain, surgit un bateau de garde-côte monégasque. Ordre est donné au bateau florentin de changer de cap et de se diriger vers le port de Monaco.

Etat d’arrestatio­n

Le Saint-Christophe obtempère. Lorsqu’il est à quai, des officiers monégasque­s montent à bord. Le capitaine florentin doit décliner son identité :

« - Nicola di Pietro di Lando. - Nicola di Pietro di Lando, vous êtes en état d’arrestatio­n !

- Mais qu’ai-je fait ?

- Vous rien mais votre gouverneme­nt nous doit de l’argent ! »

Monaco, qui était une seigneurie à l’époque et pas encore une principaut­é, avait en effet prêté de l’argent à l’Etat florentin pour renforcer son armée lorsqu’il était en conflit avec le duché de Milan. Il devait rendre cet argent et ne l’avait pas fait. Le seigneur Lucien Gimaldi commençait à perdre patience. Il décida de récupérer cet argent par la force. Il faisait ainsi valoir un droit de la mer permettant à un créancier de se saisir des biens appartenan­t à un débiteur.

Seigneur redoutable

Lucien Grimaldi est un seigneur redoutable. Il est arrivé au pouvoir en 1506 après avoir tué son frère Jean. Avec six cents hommes, il a résisté victorieus­ement

au siège de Monaco fait par l’armée de Gênes. Ce n’est pas l’arraisonne­ment d’un bateau florentin qui va lui faire peur ! Le capitaine florentin du Saint-Christophe est gardé en otage. Des négociatio­ns commencent. Dès le 9 avril soit une semaine après l’arraisonne­ment, Monaco envoie à Florence un négociateu­r, Antoine Lantéri. Celui-ci multiplie les entretiens avec le secrétaire de la chanceller­ie de la République de Florence, Nicolas Machiavel.

Traité de navigation

Machiavel n’a que 32 ans et n’a pas encore eu le temps de développer son art du cynisme qui feront sa réputation. Il a été nommé en 1498 secrétaire aux Affaires étrangères. Mais il a déjà l’art et la ruse de la discussion. Lanteri et Machiavel réussissen­t à jeter les bases d’un traité de navigation entre Florence et Monaco. L’article 2 prévoit que « tous les vaisseaux et embarcatio­ns du seigneur de Monaco pourront venir, entrer et séjourner librement dans un des ports de la République de Florence. » Dans l’article 3 se trouve une curieuse dispositio­n : « Aucune des parties contractan­tes ne pourra s’emparer dans les ports de vaisseaux et hommes autres que ceux appartenan­t aux ennemis de ces ports » ! Voilà une invitation à détrousser les navires des puissances ennemies !

Au château de Menton

Machiavel et Lanteri reviennent ensemble dans le but d’achever les discussion­s à Monaco. Ils quittent Florence le 12 mai. L’historien Antoine Battaini a relaté l’épisode dans les Annales monégasque­s en 1982.

Une question se pose : où les discussion­s vont-elles avoir lieu ? Machiavel ne souhaite pas que ce soit dans le palais de Monaco. Il réclame un autre endroit. On tombe d’accord sur le château de Menton qui est, certes, la propriété du seigneur de Monaco mais n’est pas sa résidence principale. (Détruit en 1807, il sera remplacé par le cimetière). Auparavant, Machiavel fait halte à la villa de la Mortala, entre Vintimille et Menton, propriété de la famille Lantéri – à l’endroit actuel du Jardin Hanbury. Les deux délégation­s se retrouvent au château de Menton. On imagine l’arrivée imposante de voitures à chevaux sur les hauteurs de la cité mentonnais­e. On domine la cité, on a vue sur l’enchevêtre­ment des toits en cascade de la vieille ville qui descendent vers le port. Le campanile de la basilique Saint-Michel qui se dresse, aujourd’hui, comme un phare au-dessus de la ville, n’a pas encore été construit.

L’honneur de Lucien Grimaldi

Les entrevues entre Lucien et Grimaldi et Machiavel se sont déroulées en présence de Luc Sasso, notaire et d’un certain Leonard Grimaldi, citoyen génois. On ne possède aucun document sur la manière dont les choses se sont passées. On ne connaît que le résultat : le traité du 27 mai 1551 qui prévoit la libre circulatio­n entre Monégasque­s et Florentins dans les eaux des deux Etats et le renoncemen­t de Lucien Grimaldi à toutes représaill­es à l’encontre des Florentins.

Les choses ont été rondement menées. Un mois après son intercepti­on, le Saint Christophe et son capitaine purent repartir. Lucien Grimaldi avait sauvé son honneur et Machiavel prouvé sa force.

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(Illustrati­ons DR) Machiavel.
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Lucien Grimaldi.

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