David Gruson : « EN SANTÉ, L’IA SE PROPAGE À TOUTE VITESSE »
Le fondateur de l’opérateur d’accompagnement Ethik-IA a animé une conférence autour de l’intelligence artificielle en santé à l’hôpital des Sources de Nice. L’occasion de faire le point sur la transformation numérique qui s’annonce, ainsi que les enjeux é
Dans le domaine de la santé, sommesnous à l’aube d’une véritable révolution ? Les contours de la médecine du futur, guidée par l’intelligence artificielle (IA), semblent se dessiner de plus en plus clairement.
Depuis plusieurs années déjà, la chirurgie robotique facilite la gestuelle des médecins et des algorithmes, et permettent d’aider les cliniciens dans la prédiction des risques ou dans l’évaluation de l’efficacité thérapeutique d’un médicament. Dernièrement, d’autres innovations sont encore plus spectaculaires. Ainsi, le mois dernier, au grand congrès international d’oncologie d’Orlando (États-Unis), l’Institut Curie a présenté une intelligence artificielle capable d’identifier des cancers autrefois indécelables par les autres examens ! Parallèlement, un outil d’IA fait grand bruit et alimente ardemment les débats : ChatGPT. Robot conversationnel de la société californienne OpenAI, il a la capacité (déroutante) de répondre aux questions de santé. Ainsi, au quotidien, les patients pourraient obtenir un avis médical ou des conseils via cet outil. Plus déstabilisant encore, le robot conversationnel a même failli réussir un difficile examen de médecine aux États-Unis ! « Avec la médiatisation de ChatGPT, nous sommes dans un moment de buzz médiatique, mais aussi de réel : en santé, l’IA se propage à toute vitesse », confirme David Gruson, membre du comité de direction de la chaire Santé de Sciences Po Paris, et docteur en droit de la santé. Également fondateur de l’opérateur d’accompagnement Ethik-IA – qui vise au déploiement d’outils de régulation positive de l’IA et de la robotisation en santé –, David Gruson a animé, mercredi soir, une conférence à l’hôpital privé des Sources de Nice autour de cette thématique (1). L’occasion d’en savoir en peu plus sur les bouleversements qui attendent notre système de santé.
Tout d’abord, lorsque l’on évoque l’IA en santé, de quoi parle-t-on exactement ?
À ce jour, l’AI est perçue comme un outil qui vise à améliorer le diagnostic et le suivi du patient, et donc sa prise en charge. La technologie la plus opérationnelle est celle de « l’apprentissage machine » par reconnaissance d’image.
Très concrètement, en radiologie pour des scans ou IRM, un algorithme est entraîné a repéré les signes ou l’absence d’une pathologie. En ophtalmologie, cette méthode aide à reconnaître la rétinopathie diabétique, la dégénérescence maculaire liée à l’âge ou même le glaucome (une maladie chronique de l’oeil due à des lésions du nerf optique). En dermatologie, cette techologie permet de déceler des mélanomes ou des carcinomes. Pour tous ces usages, les résultats sont meilleurs que ceux d’un « diagnostiqueur » humain ! Désormais, en 2023, une nouvelle génération arrive : l’IA générative comme ChatGPT. Il s’agit d’un type d’intelligence artificielle qui est capable de générer de nouveaux contenus, tels que des images ou des vidéos à partir de données d’apprentissage. C’est une opportunité majeure de gain de prise en charge pour les patients. Mais il est également nécessaire d’instaurer un cadre et une régulation afin de respecter les règles d’éthique.
Où en est la France sur ces questions éthiques et juridiques ?
La France est pionnière. Elle a clairement une longueur d’avance sur ce sujet. Le principe d’une garantie humaine – c’està-dire d’une obligation de supervision de l'IA tout au long de sa vie, de la conception à la mise en place par le concepteur, en lien avec des professionnels de santé et des représentants des patients – a été intégré à la loi de bioéthique d’août 2021 et au futur règlement européen sur l’IA (qui sera finalisé ce mois-ci pour une entrée en vigueur effective en 2025).
Vous avez écrit deux dans lequel l’IA joue un rôle clef dans la résolution des crises sanitaires. Dans notre monde réel post-Covid, permettront-elles de prédire des foyers épidémiques ?
Oui, ces technologies pourront aider les scientifiques. D’ailleurs, il existe déjà des cas pilotes : l’IA est utilisé dans la détection de facteur de risque épidémique, notamment pour les territoires qui sont confrontés de manière récurrente à des vagues de Zika et de chikungunya.
Que penser de l’inquiétude de professionnels de santé concernant la suppression de postes ?
thrillers
Plus on avance dans l’opérationnel, plus les angoisses s’apaisent. Certes, il va y avoir une modification des métiers, mais la machine ne remplacera pas l’homme, et tout devra se décider en concertation avec les professionnels de santé. Pour que la transition se fasse au mieux, il faudra prévoir un accompagnement à la transformation des métiers.
Les innovations en santé pourront-elles nous permettre de résoudre des problèmes majeurs comme la saturation des urgences ?
Soyons honnêtes : ça ne sera pas la panacée. Néanmoins, l’IA pourrait s’avérer très utile, par exemple, pour prédire les flux d’arrivée de patients aux urgences. Les nouvelles technologies auraient la capacité d’aider à la régulation des appels du Samu. En effet, une IA peut être entraînée à identifier des mots-clefs et des intonations pour diriger au mieux la personne au bout du fil.
Avec ChatGPT, une nouvelle génération arrive ”
Et sur les déserts médicaux ?
La question de l’accès aux soins est complexe. Mais l’IA pourrait apporter un soutien. Par exemple, demain, un médecin généraliste – basé sur un territoire rural reculé – pourrait avoir accès à des outils de prédiagnostic de spécialité. Actuellement, avec Ethik-IA, on travaille dans le département de l’Aveyron sur le déploiement d’un dispositif qui permettrait de rapprocher le prédiagnostic des mammographies dans la prévention du risque du cancer du sein.
L’enjeu majeur : faciliter l’accès de l’IA au plus grand nombre”
A contrario, l’IA ne va-t-elle pas contribuer à creuser davantage les inégalités entre grandes et petites villes ?
Oui, en effet, c’est le risque. Cette vague de transformation devra être accompagnée d’une mesure globale d’égalité à l’innovation. L’un des enjeux majeurs sera de faciliter son accès au plus grand nombre.
Cela veut dire qu’il faudra une vraie stratégie nationale pour l’IA…
Il faudra une orientation politique et trouver des mécanismes de financement durables de ces nouveaux outils. Pour cela, Sécurité sociale, mutuelles et compagnies d’assurance devront jouer le jeu. 1. Durant la conférence, le Dr Marc-Olivier Gauci, chirurgien orthopédiste au CHU de Nice, a évoqué l’utilisation de l’IA dans la chirurgie de l’épaule. Rémy Collomp, chef de pôle pharmaciestérilisation du CHU de Nice, a questionné sur le positionnement de l’IA dans les activités pharmaceutiques. Enfin, Pierre Legros, doctorant en droit des données médicales à l’université
Nice Côte d’Azur, a rappelé les conséquences juridiques.