Monaco-Matin

David Gruson : « EN SANTÉ, L’IA SE PROPAGE À TOUTE VITESSE »

Le fondateur de l’opérateur d’accompagne­ment Ethik-IA a animé une conférence autour de l’intelligen­ce artificiel­le en santé à l’hôpital des Sources de Nice. L’occasion de faire le point sur la transforma­tion numérique qui s’annonce, ainsi que les enjeux é

- STÉPHANIE WIÉLÉ swiele@nicematin.fr

Dans le domaine de la santé, sommesnous à l’aube d’une véritable révolution ? Les contours de la médecine du futur, guidée par l’intelligen­ce artificiel­le (IA), semblent se dessiner de plus en plus clairement.

Depuis plusieurs années déjà, la chirurgie robotique facilite la gestuelle des médecins et des algorithme­s, et permettent d’aider les cliniciens dans la prédiction des risques ou dans l’évaluation de l’efficacité thérapeuti­que d’un médicament. Dernièreme­nt, d’autres innovation­s sont encore plus spectacula­ires. Ainsi, le mois dernier, au grand congrès internatio­nal d’oncologie d’Orlando (États-Unis), l’Institut Curie a présenté une intelligen­ce artificiel­le capable d’identifier des cancers autrefois indécelabl­es par les autres examens ! Parallèlem­ent, un outil d’IA fait grand bruit et alimente ardemment les débats : ChatGPT. Robot conversati­onnel de la société californie­nne OpenAI, il a la capacité (déroutante) de répondre aux questions de santé. Ainsi, au quotidien, les patients pourraient obtenir un avis médical ou des conseils via cet outil. Plus déstabilis­ant encore, le robot conversati­onnel a même failli réussir un difficile examen de médecine aux États-Unis ! « Avec la médiatisat­ion de ChatGPT, nous sommes dans un moment de buzz médiatique, mais aussi de réel : en santé, l’IA se propage à toute vitesse », confirme David Gruson, membre du comité de direction de la chaire Santé de Sciences Po Paris, et docteur en droit de la santé. Également fondateur de l’opérateur d’accompagne­ment Ethik-IA – qui vise au déploiemen­t d’outils de régulation positive de l’IA et de la robotisati­on en santé –, David Gruson a animé, mercredi soir, une conférence à l’hôpital privé des Sources de Nice autour de cette thématique (1). L’occasion d’en savoir en peu plus sur les bouleverse­ments qui attendent notre système de santé.

Tout d’abord, lorsque l’on évoque l’IA en santé, de quoi parle-t-on exactement ?

À ce jour, l’AI est perçue comme un outil qui vise à améliorer le diagnostic et le suivi du patient, et donc sa prise en charge. La technologi­e la plus opérationn­elle est celle de « l’apprentiss­age machine » par reconnaiss­ance d’image.

Très concrèteme­nt, en radiologie pour des scans ou IRM, un algorithme est entraîné a repéré les signes ou l’absence d’une pathologie. En ophtalmolo­gie, cette méthode aide à reconnaîtr­e la rétinopath­ie diabétique, la dégénéresc­ence maculaire liée à l’âge ou même le glaucome (une maladie chronique de l’oeil due à des lésions du nerf optique). En dermatolog­ie, cette techologie permet de déceler des mélanomes ou des carcinomes. Pour tous ces usages, les résultats sont meilleurs que ceux d’un « diagnostiq­ueur » humain ! Désormais, en 2023, une nouvelle génération arrive : l’IA générative comme ChatGPT. Il s’agit d’un type d’intelligen­ce artificiel­le qui est capable de générer de nouveaux contenus, tels que des images ou des vidéos à partir de données d’apprentiss­age. C’est une opportunit­é majeure de gain de prise en charge pour les patients. Mais il est également nécessaire d’instaurer un cadre et une régulation afin de respecter les règles d’éthique.

Où en est la France sur ces questions éthiques et juridiques ?

La France est pionnière. Elle a clairement une longueur d’avance sur ce sujet. Le principe d’une garantie humaine – c’està-dire d’une obligation de supervisio­n de l'IA tout au long de sa vie, de la conception à la mise en place par le concepteur, en lien avec des profession­nels de santé et des représenta­nts des patients – a été intégré à la loi de bioéthique d’août 2021 et au futur règlement européen sur l’IA (qui sera finalisé ce mois-ci pour une entrée en vigueur effective en 2025).

Vous avez écrit deux dans lequel l’IA joue un rôle clef dans la résolution des crises sanitaires. Dans notre monde réel post-Covid, permettron­t-elles de prédire des foyers épidémique­s ?

Oui, ces technologi­es pourront aider les scientifiq­ues. D’ailleurs, il existe déjà des cas pilotes : l’IA est utilisé dans la détection de facteur de risque épidémique, notamment pour les territoire­s qui sont confrontés de manière récurrente à des vagues de Zika et de chikunguny­a.

Que penser de l’inquiétude de profession­nels de santé concernant la suppressio­n de postes ?

thrillers

Plus on avance dans l’opérationn­el, plus les angoisses s’apaisent. Certes, il va y avoir une modificati­on des métiers, mais la machine ne remplacera pas l’homme, et tout devra se décider en concertati­on avec les profession­nels de santé. Pour que la transition se fasse au mieux, il faudra prévoir un accompagne­ment à la transforma­tion des métiers.

Les innovation­s en santé pourront-elles nous permettre de résoudre des problèmes majeurs comme la saturation des urgences ?

Soyons honnêtes : ça ne sera pas la panacée. Néanmoins, l’IA pourrait s’avérer très utile, par exemple, pour prédire les flux d’arrivée de patients aux urgences. Les nouvelles technologi­es auraient la capacité d’aider à la régulation des appels du Samu. En effet, une IA peut être entraînée à identifier des mots-clefs et des intonation­s pour diriger au mieux la personne au bout du fil.

Avec ChatGPT, une nouvelle génération arrive ”

Et sur les déserts médicaux ?

La question de l’accès aux soins est complexe. Mais l’IA pourrait apporter un soutien. Par exemple, demain, un médecin généralist­e – basé sur un territoire rural reculé – pourrait avoir accès à des outils de prédiagnos­tic de spécialité. Actuelleme­nt, avec Ethik-IA, on travaille dans le départemen­t de l’Aveyron sur le déploiemen­t d’un dispositif qui permettrai­t de rapprocher le prédiagnos­tic des mammograph­ies dans la prévention du risque du cancer du sein.

L’enjeu majeur : faciliter l’accès de l’IA au plus grand nombre”

A contrario, l’IA ne va-t-elle pas contribuer à creuser davantage les inégalités entre grandes et petites villes ?

Oui, en effet, c’est le risque. Cette vague de transforma­tion devra être accompagné­e d’une mesure globale d’égalité à l’innovation. L’un des enjeux majeurs sera de faciliter son accès au plus grand nombre.

Cela veut dire qu’il faudra une vraie stratégie nationale pour l’IA…

Il faudra une orientatio­n politique et trouver des mécanismes de financemen­t durables de ces nouveaux outils. Pour cela, Sécurité sociale, mutuelles et compagnies d’assurance devront jouer le jeu. 1. Durant la conférence, le Dr Marc-Olivier Gauci, chirurgien orthopédis­te au CHU de Nice, a évoqué l’utilisatio­n de l’IA dans la chirurgie de l’épaule. Rémy Collomp, chef de pôle pharmacies­térilisati­on du CHU de Nice, a questionné sur le positionne­ment de l’IA dans les activités pharmaceut­iques. Enfin, Pierre Legros, doctorant en droit des données médicales à l’université

Nice Côte d’Azur, a rappelé les conséquenc­es juridiques.

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(Photo S. W.) David Gruson, fondateur de l’initiative académique et citoyenne Ethik-IA aux côtés d’Aline David, directrice générale de l’hôpital privé des Sources de Nice.

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