Monaco-Matin

Corinne Masiero « UNE PÉRIODE OÙ LES CHOSES BOUGENT BEAUCOUP »

Dans « La Marginale » de Frank Cimière, la comédienne incarne une SDF qui entame un long voyage vers le Portugal pour rejoindre son fils. Un voyage qu’elle entreprend en compagnie d’un jeune homme autiste, campé par Vincent Chalambert.

- CÉDRIC COPPOLA magazine@nicematin.fr

Vous jouez dans “La Marginale”, mais au fond, quelle est votre définition de la marginalit­é ?

Je peux vous retourner la question en vous demandant ce que c’est la “normalité ?” C’est qui qui fixe les règles ? Qui décide de quelles normes ? Force est de constater qu’elles viennent souvent des différents pouvoirs qui nous gouvernent politiquem­ent, économique­ment ou socialemen­t. Ce peut être les normes de la famille, de l’école, des religions… Ces pouvoirs sont souvent aux mains des sexes masculins, de plus de 50 ans, hétéro et blancs. Donc, tout ce qui n’est pas dans ce cadre peut être considéré comme marginal. Et j’inclus làdedans tout ce qui est LGBT et tout ce qui est en dehors des codes de la beauté qu’on peut voir dans les musées, les films…. On est aussi considéré comme marginal parce qu’on est handicapé physique, il suffit de vouloir prendre le métro pour le voir… et ce n’est pas normal !

Idem pour les manières de se comporter pour une femme. La normalité c’est ne pas fumer, avoir des gosses, être marié(e), avoir un papa et une maman… On est tous marginal à un moment ou à un autre et c’est pour ça que ce film est important.

Lorsque vous avez reçu le scénario et que vous avez lu ce titre, quelle a été votre réaction ?

Je ne lis jamais les scenarii c’est un principe ! En conséquenc­e, je demande aux réalisateu­rs ce qu’ils veulent défendre. Ici, le titre a un double sens puisque c’est le nom d’une route et, par extension, c’est la route de la vie. Ça me parle d’autant plus qu’on m’a souvent qualifiée de marginale et dans la vie et dans le boulot… C’est également un joli clin d’oeil au film avec Belmondo. Frank Cimière est quelqu’un de très humaniste et très humain, très drôle. Ces aspects ressortent dans le film. On rit beaucoup, on pleure parfois, on s’interroge et ça amène beaucoup de questionne­ments sur soi, sur la vie de tous les jours, sur ces gens sur qui on a des a priori parfois négatifs ou avec des clichés en tête. Tout ça apparaît dans son film et j’espère, moi, que ce film changera le point de vue de beaucoup de gens.

Avez-vous souffert d’avoir été considéré comme marginale ?

Ça s’est transformé en force. À un moment donné, on est obligé de faire avec. Un peu comme avec les arts martiaux, on essaie de renverser cette force qui arrive pour nous pour détruire. On retourne la situation et on se reconstrui­t. Cela me permet de m’ouvrir à d’autres façons de penser et d’aller, à ma petite échelle vers quelque chose de durable, de plus juste.

Votre personnage, Michèle, est SDF. Vous avez aussi été confronté à cette vie. Se replonger dans le passé a-t-il été difficile ?

En ce qui me concerne, non. Pendant le tournage, j’étais à l’hôtel, en compagnie de gens sympathiqu­es et je faisais un métier qui me plaît. C’était même plutôt rassurant de se dire que le bout du tunnel est derrière moi. Ce qui est désolant, c’est de se rendre compte qu’il y a de plus en plus de gens qui vivent cette situation-là. Dans n’importe quelle ville, le nombre de sans-abris a été multiplié par 3, 4 ou 5. Et parmi eux, beaucoup de jeunes… Malgré toutes les promesses, peu de personnes sont là pour les défendre, les héberger et les soigner.

Avec des films comme “La Marginale” ou “Presque”, avec Bernard Campan et Alexandre Jollien, le cinéma français semble s’ouvrir ses derniers temps au handicap et à

l’autisme… Sentez-vous une prise de conscience de la part de la profession ?

Il n’y a pas un film qui ne soit pas le reflet de ce qui se passe dans la société. Tout ne va pas aussi vite qu’il le faudrait mais de plus en plus de réalisatri­ces et de réalisateu­rs s’intéressen­t à des sujets plus vastes, liés à la vraie vie. Ce ne sont pas seulement des gens déjà implantés dans le monde du cinéma qui se disent : ‘‘Tiens, on va faire plus de films sur les SDF’’, mais des personnes comme Frank Cimière qui se battent pour écrire sur ce sujet et pour que le projet voit le jour. Cependant, chacun fait ce qu’il veut et ne rien faire ou ne produire que des films de divertisse­ment, c’est aussi un engagement… Mais s’engager sur les plans politiques, sociétaux ou sociaux, c’est aujourd’hui possible parce que les mentalités évoluent. En ce moment, on est dans une période qui bouge beaucoup et tant mieux !

« Il n’y a pas un film qui ne soit pas le reflet de ce qui se passe dans la société »

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