Monaco-Matin

« L’info tous azimuts détruit la mémoire »

Prix Albert-Londres 1967 et figure de l’émission 52 sur la Une, Jean Bertolino profite d’une nouvelle escale à Antibes pour rencontrer ses lecteurs. Le journalist­e sera en dédicace le 6 mai.

- RECUEILLI PAR MARGOT DASQUE mdasque@nicematin.fr

Il a couru le monde. Par soif de le comprendre, appétit de le raconter. Prix Albert-Londres 1967 – « Je suis sûrement le plus ancien lauréat encore en vie ! » –, Jean Bertolino a occupé le petit écran des Français durant 13 ans. Avec l’émission 52 sur la Une diffusée sur TF1, le journalist­e a popularisé le grand reportage. Un amour du terrain que ce globe-trotter raconte à travers son ouvrage autobiogra­phique Roues libres (éditions De Borée). Livre qu’il dédicacera dans sa ville de coeur, Antibes, samedi 6 mai à la librairie La Joie de Lire.

Dans cet ouvrage vous avez choisi d’évoquer votre propre parcours : pourquoi ?

Je ne suis pas un philosophe, je ne suis qu’un journalist­e. Fort de l’expérience de ce merveilleu­x métier où j’ai pu apprendre des pays que j’ai pu traverser, j’y ai bâti des romans. Dans Madame l’étoile (éditions Flammarion, 1998) j’évoquais mon enfance, celle d’un gamin né en 1936, l’année du front populaire. Je trouvais ça intéressan­t vers la cinquantai­ne de raconter cette période, d’autant que ma mémoire de l’occupation reste assez vive.

Et aujourd’hui ?

J’ai 87 ans. Ce que j’ai pu vivre fait partie d’un monde anéanti. La mémoire disparaît petit à petit, malgré la technologi­e qui nous entoure. L’informatio­n tous azimuts détruit la mémoire.

Le fameux « c’était mieux avant » ?

Ah… Je n’irais pas jusqu’à dire que les vieux qui disaient ça quand j’étais jeune portaient la vérité mais… ils devaient avoir un peu raison ! Quand j’étais petit, ma mère me mettait l’été chez l’agriculteu­r du coin pour garder les vaches. Depuis, la paysanneri­e s’est industrial­isée, l’homme est devenu jetable.

Le monde évolue vite et il serait impossible de revivre les mêmes voyages que vous avez pu faire…

Paris - Saïgon en auto-stop oui, ce n’est plus possible. J’ai des souvenirs d’un autre monde.

Paradoxale­ment, malgré toutes les guerres que j’ai connues, j’ai ce sentiment que le monde d’avant n’était pas forcément mieux non, mais il était plus humain.

Comment vous informez-vous ?

J’écoute beaucoup la radio : France Inter, RFI, France Culture, Radio Classique. Je suis moins assidu qu’avant face à la presse écrite. À l’époque j’étais un grand lecteur du Monde, mais je vous parle du temps de Beuve-Méry, de Fontaine. Il y avait aussi la cinquième page du Figaro consacrée aux grands reportages.

C’est d’ailleurs ce qui m’a donné envie de faire ce métier, quand je lisais Max Olivier-Lacamp [Ndlr. Prix Albert-Londres 1958].

Pourquoi lisez-vous moins la presse ?

Ce n’est plus la même chose que lorsque j’étais jeune. Avant, les titres appartenai­ent à des patrons de presse. Aujourd’hui ils appartienn­ent toujours à des patrons, mais qui ne sont pas des hommes de presse. Ce n’est plus la même liberté.

Si vous aviez 20 ans aujourd’hui,

auriez-vous envie d’être journalist­e ?

Oh, ça, c’est une foutrement bonne question [sic]. Je comprends les gens qui manifesten­t à l’heure actuelle. Dans mon cas, j’ai pris ma retraite la mort dans l’âme à 67 ans.

Pourquoi ?

À ce moment, TF1 me proposait de maintenir 52 sur la Une, mais avec une enveloppe. Ce qui induit le fait que l’équipe qui travaillai­t sur l’émission n’allait plus percevoir un salaire classique versé par la chaîne, je devais faire la répartitio­n moi-même. Je ne voulais pas devenir un taulier, on était la « bande à Berto », je ne voulais pas que les rapports changent.

Et si c‘était à refaire ?

Je recommence­rais aussitôt ! J’ai la réponse à votre question précédente : oui je pense que malgré tout je deviendrai­s journalist­e aujourd’hui. J’irais chercher les peuples qui sont en voie de disparitio­n, je dénoncerai­s ce qui ne va pas… C’est comme ça, c’est ma passion. D’ailleurs j’écris

toujours. Tous les jours. Des alexandrin­s.

J’ai pris ma retraite la mort dans l’âme à 67 ans”

Vraiment ? Des alexandrin­s ?

Ce sont mes abdominaux du cerveau [rires] ! Tous les matins, pour ne pas devenir gâteux je m’oblige à en créer. Certains sont bons, d’autres moins, je les poste sur ma page Facebook. J’ai des jeunes lectrices de 70 à 80 ans qui me suivent…

Et vous continuez à avoir la bougeotte !

C’est grâce à ma compagne qui a 11 ans de moins que moi et qui me fait bouger ! Cela fait un certain temps que j’aimerais retourner en extrême orient pour un pèlerinage aux sources. Je ne crois qu’à la terre.

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(Photo DR) Jean Bertolino est l’heureux habitant du quartier du Safranier à Antibes.

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