À Sospel, la piste qui rêvait de devenir route
Cinq ans après l’effondrement de la route qui menait à trois quartiers de Sospel, les habitants vivent encore en fonction des aléas et des travaux d’une piste difficilement carrossable
Ils viennent de fêter le triste anniversaire de l’effondrement de la route qui les menait jusque chez eux. Et aujourd’hui encore, ils se sentent délaissés. Non pas de la mairie qui a hélas peu de moyens, mais des pouvoirs publics. Les habitants des quartiers de Beroulf, Sainte-Sabine et Serre de Saretta n’ont jamais retrouvé leur vie d’avant ce 14 avril 2018 où, au petit matin, 200 000 m3 de montagne s’écroulaient, bouleversant profondément la vie paisible de quelque cinquante familles. Aujourd’hui encore, pas de tournée du facteur, pas de conteneurs poubelles, une piste difficilement praticable avec une petite voiture citadine.
La commune vient de se lancer dans une nouvelle tranche de travaux pour poursuivre le goudronnage d’une partie de la piste tracée sur une vingtaine de parcelles de terrain rachetées par la mairie aux riverains.
Cette voie d’un kilomètre, péniblement carrossable, serpente en flanc de montagne avec un dénivelé de 18 %, deux fois plus raide qu’auparavant, et sa surface est si irrégulière qu’il est préférable de posséder un 4X4 pour éviter d’esquinter son véhicule.
270 000 euros de budget au total
40 000 euros (qui englobent des fonds du département) sont alloués cette année par la mairie de Sospel pour aplanir la surface de la piste et goudronner un peu plus de 150 mètres durant ce mois de mai. « C’est un tiers du budget communal de voirie », souligne le maire JeanMario
Lorenzi.
D’ici trois ans, l’intégralité de la voie devrait être recouverte d’un enrobé. Au total, cet ouvrage aura réclamé huit ans d’efforts et une enveloppe globale de 270 000 euros pour la commune. Pharaonique à la dimension du village de Sospel.
« On essaie de se débrouiller comme on peut, poursuit le maire. On se rend bien compte que le revêtement initial à base de chaux ne tient pas. À chaque pluie, des creux se forment. »
Des habitants qui s’impatientent
Michel Daigneau, 70 ans, président de l’association (non déclarée officiellement) des déroutés, habite à Béroulf. Il a travaillé durant vingt-cinq ans dans le bâtiment.
Il se rappelle : « Pendant un an et demi, on a traversé la forêt à pieds par un tout petit sentier. Je le faisais parfois deux fois par jour. Il y a eu des accidents. Moi-même, je suis tombé et me suis écorché le visage. Et puis j’ai eu une hernie discale. C’est l’hélicoptère qui m’a sorti de chez moi. Les travaux qui sont faits aujourd’hui ne vont pas résoudre notre problème. La piste continuera d’avoir des nids-de-poule et est tant escarpée qu’elle abîme toutes les voitures citadines. »
Ludovic Talarida était le plus jeune propriétaire quand la route s’est effondrée en 2018.
Lui, développeur web, vit avec son épouse et son fils de 4 ans dans le quartier Serre de Saretta. « Ici, on est comme coupés du monde. On n’a ni eau courante, ni tout-à-l’égout. Depuis l’effondrement
de la route, la Poste refuse de nous délivrer le courrier et les poubelles sont à 5 km de ma maison. »
Il analyse la situation sans animosité : « La piste est très insuffisante eu égard au nombre d’habitants et du trafic généré. Sa qualité est largement inférieure à la route qui existait auparavant et beaucoup trop raide. Mon épouse a pris une voiture rehaussée. Moi, j’explose mon embrayage avec les nids-depoule. Beaucoup de gens ont abîmé leur châssis, leurs amortisseurs,... Et le niveau de crasse est considérable. » Le jeune papa n’en veut pas à la mairie, qui « fait ce qu’elle peut », mais plutôt à « un pays centralisé qui ne comprend pas la réalité du terrain. »
« On a le sentiment d’être délaissés, d’être mis au ban de la société. La mairie n’est
pas inactive. Mais elle est limitée par les subventions. » Claude Guidi habite avec sa compagne à Sainte-Sabine. « L’accès est très difficile avec une pente à 18 %. Dès qu’il pleut, c’est une catastrophe. Je roule avec un véhicule chargé. Inévitablement, je patine. Il y a des trous partout sur cette piste et seulement des tronçons goudronnés. Je ne comprends pas pourquoi les pouvoirs publics n’ont pas débloqué 200 000 euros pour que les habitants aient une piste. » Amélia da Costa travaille à Monaco de 17 heures à minuit.
Elle dit avoir dépensé 30 000 euros pour répondre à une situation d’urgence et qui dure depuis cinq ans. J’ai dû louer un appartement à Sospel durant 18 mois parce qu’il était impossible de rentrer chez moi. Encore aujourd’hui,
les jours de fortes pluies, on doit monter à pied. Avant, on avait une vie normale. Et depuis cinq ans, c’est la galère. J’ai pris un avocat, ai fait établir des constats d’huissiers,... J’ai l’impression d’être délaissée
par les pouvoirs publics. » Aujourd’hui, Michel, Ludovic, Amélia et Claude attendent avec impatience le goudronnage intégral de la piste. Pour que cette voie