Monaco-Matin

Trois Niçois Dans un volcan

Le 13 mai 2003, le trio Veissière, Arnault, Izzo dirigeait une demi-finale retour de Ligue des champions explosive entre l’Inter de Cannavaro et le Milan de Maldini. 20 ans après, les arbitres azuréens ont revu le match à Nice-Matin.

- Par William HUMBERSET

M« Avec 4 cartons à la pause, Shevchenko me sauve »

ilan-Inter, un pur classique de la Serie A. Un bijou d’exception en Ligue des champions. Le derby de la Madonnina (Vierge Marie de Milan ndlr) lance sa troisième représenta­tion européenne demain, la seconde en demie. Pile poil vingt ans après les premiers frissons de 2003.

Un monument en deux actes qui a opposé des monstres sacrés du football. Toldo, Zanetti, Crespo, Maldini, Nesta, Pirlo... Au milieu de trois Ballons d’or (Cannavaro, Shevchenko, Rivaldo), un trio d’arbitres niçois a vécu le rêve éveillé de tout passionné.

« On attendait ‘‘L’équipe du Dimanche’’ pour voir ces joueurs », rembobine Frédéric Arnault, assistant de Gilles Veissière pour la demifinale retour. « C’était un autre sport comparé à la Ligue 1. On avait commencé à parler de ce match quinze jours avant. Partager nos ressentis, nos expérience­s, raconte Jean-Philippe Izzo, qui complète le trio. Puis quand tu vois les présidents Berlusconi et Moratti entrer dans le vestiaire le jour J, tu comprends où tu es ! »

90 000 spectateur­s et « la suprématie de Milan en jeu »

« C’est le match le plus compliqué de ma carrière » résume Veissière après avoir connu un championna­t du monde, un Mondial, deux Euros et une finale de Coupe de l’UEFA.

Carlo Ancelotti, coach milanais sacré cette année-là et vainqueur de trois éditions supplément­aires depuis, a dit n’avoir jamais connu pareille pression pour une finale au sujet de cette demie. Gattuso dormait dans le canapé du salon pour échapper à la pression quand d’autres n’en pouvaient plus de devoir supporter les commentair­es de la caissière du supermarch­é pendant cette semaine de ‘‘l’Euroderby’’. « C’est la suprématie de Milan qui se jouait », abonde Frédéric Arnault.

San Siro est archi-bondé justement, ce 13 mai 2003. La pression est irrespirab­le. « Six amis venus billets en poche ont eu des problèmes à l’entrée du stade. Ils sont finalement entrés sans » ,se marre Izzo. « Les mêmes places étaient utilisées plusieurs fois. Il y avait au mois 10 % de plus que la capacité du stade. Soit 90 000 spectateur­s, facile, poursuit Arnault. L’ambiance était exceptionn­elle. »

« C’était une église dans le couloir, tranche Gilles Veissière. On sentait une concentrat­ion extrême, les gars regardaien­t tous droit devant. Nous, on faisait corps à trois, prêts à entrer dans le chaudron. »

A quelques secondes de batailler le ballon à Gattuso, Di Biagio tape sur l’épaule du central. « Beaucoup de joueurs étaient des gentlemen. Et nous étions perçus comme des arbitres qui ne laissaient rien passer, » traduit Frédéric Arnault. Sauf le temps. Veissière attend trois minutes et trente secondes pour siffler la première faute. « Avec une telle qualité technique, le ballon ne sort pratiqueme­nt jamais du terrain. L’intensité de jeu me permet de monter le curseur de tolérance très haut. Disons peut-être à 8. Laisser le jeu se dérouler permet d’égrainer le temps. Le sablier coule en notre faveur. »

L’intensité des courses est folle, l’engagement dans les duels est total. « Quelles équipes, quel football ! », lâche Veissière devant l’écran. Dix minutes plus tard, Di Biagio sèche sévèrement Gattuso. C’est un simple rappel à l’ordre dans la petite lucarne.

« Si je mets le premier carton jaune aussi vite, j’en mets 18. Par contre, Gattuso, il a droit à un coup gratuit. »

Le caractérie­l Transalpin utilise son avantage, le 4-3-1-2 milanais marche sur son voisin. « On sent qu’ils cherchent le but à l’extérieur. L’Inter ne voit pas le jour en première mi-temps » observe Izzo, plus ironique sur la manière de gérer un Inzaghi. « Il est horsjeu et fait des microfaute­s 99 % du temps, il faut avoir un strabisme divergent. »

A un quart d’heure de lapause, Super Pippo est en position licite quand il part en duel avec Toldo. Pas son coup de pied sur Cordoba. « Il me met le bordel, je suis obligé de sortir le premier avertissem­ent, » explique Veissière, mêlé dans un début d’échauffour­ée. «Le carton de management » (Arnault) ne plaît pas au fougueux Gattuso. « Une fois, pas deux ! Il m’a chauffé, je dois aussi sanctionne­r Di Biagio plus tard pour reprendre de la crédibilit­é dans la gestion du match. Avec quatre cartons jaunes à la pause (Rui Costa aussi), je suis dans la merde. Un rouge peut faire basculer le match, sans compter que je peux priver un joueur de la finale derrière. Mais Shevchenko me sauve. »

Lancé par Seedorf, l’Ukrainien crochète Cordoba et réussit à placer le ballon sous la barre dans sa chute. « Je siffle penalty s’il ne marque pas, révèle l’arbitre central, en détaillant pourquoi ce but est crucial. L’Inter est obligé de marquer deux fois, on sait qu’ils seront concentrés sur le jeu et qu’ils ne perdront pas de temps dans les contestati­ons ou les provocatio­ns. Plus de jeu veut dire moins de situations sensibles

à gérer. »

Les cigarettes que fume Hector Cuper sur le banc de touche font marrer Jean-Philippe Izzo avec le recul. Les changement­s à la pause du coach enflamment le 3-5-2 intériste et ravivent les souvenirs de l’assistant.

« La vitesse d’Obafemi Martins avait fait mal au Milan. Par contre j’avais oublié à quel point Emre était un bon joueur », souffle le supporter du Gym devant «un match fermé à l’italienne. » A l’heure de jeu. Zanetti tente de s’infiltrer dans la surface milanaise. Seedorf le fauche et les Niçois prennent encore la bonne décision : coup franc. « Un coup de sifflet compliqué parmi la fourchette de 70-85 décisions à prendre au cours d’un match, » reconnaît Veissière. « On regardait Gilles avant de lever notre drapeau et en un coup d’oeil, on savait s’il en avait besoin ou non, embraye Frédéric Arnault .On se connaissai­t par coeur à force de s’entraîner 3-4 fois ensemble par semaine. »

Le maillot de Toldo, la chaîne d’Abbiati et le raté Materazzi

Remuant, même trop pour l’immense Paolo Maldini, Martins finit par égaliser à moins de dix minutes de la fin. « On sait que ça va être Fort Alamo dans le camp du Milan. Je vois que je suis tendu » s’autoanalys­e Gilles Veissière. Ce qu’il redoutait le plus ? Les corners. « Des situations confuses dans la surface de réparation. Tu sais qu’ils peuvent tricher pour obtenir un penalty. » L’ex-adjoint aux sports de la ville de Nice n’en sifflera pas. Pas pour autant qu’il n’a pas exprimé quelques regrets en refaisant le match. «Le maillot jaune de Toldo, comme nous. On a laissé passerça?» Fred Arnault, désormais président de Contes, rappelle que les torts étaient partagés avec l’Inter dans l’histoire.

La chaîne en or qui dépasse du maillot d’Abbiati, le portier du Milan, alors que c’est réglementa­irement répréhensi­ble ? Un détail qui fait sourire le trio aussi. Veissière ne rigole plus, en revanche, quand il revoit le coup de pied violent de Materazzi sur Shevchenko peu avant l’égalisatio­n.

« Je l’ai loupé, c’est un raté incroyable. J’aurais dû l’allumer, c’est orange ! Il avait accroché les maillots, donné un coup de poing plus tôt aussi. Celui-là, je n’ai jamais réussi à l’attraper. Je ne le vois pas le coup de pied. Je dois être en apnée ! »

Il n’y avait pas de Var en 2003 et le trio niçois ne s’en plaint surtout pas. Les acteurs de l’époque non plus selon Fred Arnault. « Volker Roth, arbitre allemand rigoureux, était le superviseu­r. A la fin du match, il a dit à Gilles : ‘‘ Je n’aurais jamais arbitré comme vous, ni pris les mêmes décisions. Mais vous l’avez fait à la satisfacti­on générale’’. »

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 ?? ?? Shevchenko et Nesta en finale. (Photos Epa)
Shevchenko et Nesta en finale. (Photos Epa)
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Débat Crespo-Maldini...
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Duel Conceicao-Pirlo.
 ?? ?? Gilles Veissière, Frédéric Arnault et Jean-Philippe Izzo 20 ans après le choc. (Photo François Vignola)
Gilles Veissière, Frédéric Arnault et Jean-Philippe Izzo 20 ans après le choc. (Photo François Vignola)

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