Monaco-Matin

Deux cheffes à l’abordage DES CUISINES DE LA FLIBUSTE

La Flibuste, restaurant étoilé situé dans le complexe de Marina Baie des Anges à Villeneuve-Loubet, a recruté deux cheffes de talents que l’on a suivies pendant une matinée.

- LUDOVIC MERCIER lmercier@nicematin.fr La Flibuste. 1001, avenue de la Batterie, à Villeneuve-Loubet. Tél. 04.93.20.59.02. restaurant­laflibuste.fr

Sous les ondulation­s blanches de Marina Baie des Anges, se niche un repaire de pirates. N’allez pas imaginer une grotte recouverte de filets de pêcheurs. À La Flibuste, pas besoin de bateau pour partir à l’abordage. Ce sont vos papilles qu’on prend en otage.

Roger Martins, le propriétai­re des lieux depuis plus de six années, et restaurate­ur dans la marina depuis trente-cinq ans, a décidé d’emporter son restaurant vers les étoiles. C’est avec Eugénie Béziat qu’il commence cette ascension en 2018. Elle décroche la première étoile de l’établissem­ent. « Je n’ai pas de mot pour expliquer l’émotion qu’on ressent à ce moment-là », confie Roger Martins. Mais l’étoile se fait filante. Débauchée par le Ritz, Eugénie Béziat s’envole pour Paris. Elle sera remplacée par Nicolas Thomas, un ancien violoncell­iste devenu chef. Il conserve l’étoile, et s’en va lui aussi vers d’autres cieux. Roger Martins le dit lui-même : « Ce restaurant, c’est une pépinière de talents. » Et comme un père, il complète : « S’ils ont un parcours à poursuivre ailleurs, je ne peux pas les retenir. »

Une cheffe à quatre mains

La famille, ça peut coller les chocottes quand on cherche un environnem­ent de travail. Mais ça peut aussi stimuler. Protéger. Aujourd’hui, dans les cuisines il y a deux cheffes : Clio Modaffari et Anne Legrand. Mais si vous leur demandez, elles vous diront qu’elles sont plutôt un seul chef avec quatre mains. Ensemble en cuisine comme à la ville, ces deux filles du nord de la France pour Anne, de l’Italie pour Clio, se sont rencontrée­s au Trianon, à Paris. Clio, qui a étudié les langues et la protection de l’environnem­ent marin, se donne alors une chance de faire carrière aux fourneaux : « J’adorais la cuisine, mais je n’avais jamais envisagé d’en faire mon métier. Et quand je suis arrivée à Paris, j’ai eu l’impression qu’il y avait autant de restaurant­s que d’habitants. Et toute l’ébullition qu’il y avait autour de ça m’a donné envie de m’y mettre. »

Pour Anne, l’histoire est différente. Pour elle, la question ne s’est jamais posée : « La cuisine c’est presque inné chez moi. J’ai toujours su que c’est ce que je voulais faire. Je ne me suis pas vraiment posé de question. La première fois, c’était avec ma grandmère. J’ai plein de souvenirs de jardin avec elle, à la ferme. » Aussi brune que l’autre est blonde, ces deux-là ressemblen­t à une définition de la complément­arité. « Pour moi, on n’est qu’une personne, explique Anne. Cette cuisine, on l’a construite à deux. On n’a pas besoin de beaucoup en parler. On ne se dit même pas cheffes. »

De son côté, Clio confie que travailler avec Anne l’a adoucie : « On fait des efforts que l’on ne ferait pas pour un collègue. On peut toujours refaire des binômes solides avec d’autres chefs. Mais retrouver une confiance aveugle, comme c’est le cas entre nous, c’est vraiment compliqué. » Alors travailler ensemble reste l’évidence.

Parce que c’était lui, parce que c’était elles

Quand elles débarquent dans la région, après un petit séjour à Niort où elles ont aidé un ami à lancer son resto, elles décident de se mettre en pause. Mais le destin en décide autrement. «On a eu des entretiens, avec des salaires de dingues, mais qui ne nous correspond­aient pas, raconte Anne. Pour nous, tout n’est qu’évidence. On attend de trouver les bonnes personnes. Tout arrive en temps et en heure. On avait besoin de la liberté que Roger nous donne. C’est hyper précieux. Toute notre cuisine fonctionne autour de ça. »

La liberté de choisir ses fournisseu­rs, comme Loïc, le pêcheur de Golfe-Juan. Ou Fabrice, le maraîcher de la Ferme des Grenouille­s, à Villeneuve-Loubet. « Pour nous, la cuisine c’est le goût, l’assaisonne­ment

« Pour nous, la cuisine c’est le goût, l’assaisonne­ment et le taillage. C’est tout »

et le taillage, détaille Clio. Juste avec ça, on peut faire des choses magnifique­s. Mais pour ça, on a besoin d’être accompagné de producteur­s sincères, qui ne salissent pas la terre et la mer. Si on a des bonnes choses et qu’on se contraint à bien travailler et à respecter les produits que l’on touche, on peut faire des merveilles. »

Pour elle, « les légumes mi-cuits, ça n’existe pas. Il faut que ce soit juste cuit. Avec précision. » Pour Anne aussi, la précision est le motclé. Et la spontanéit­é. Ce jour-là, je les accompagne au port de GolfeJuan pour récupérer la pêche du jour et la cuisiner ensemble. Mais la pêche est mauvaise et nous repartons avec du rouget. Pas l’ombre d’une inquiétude dans le regard de Clio. Ni dans celui d’Anne. Elles font avec ce que la nature leur donne.

À l’arrivée en cuisine, elles se regardent, échangent quelques mots. Rares et efficaces. Et, en quelques minutes, un plat qui n’était pas prévu naît sous mes yeux. Ou quand l’alchimie transforme le plomb d’une mauvaise pêche en or pour les papilles.

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(Photo Franz Chavaroche) Clio Modaffari et Anne Legrand.

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