Monaco-Matin

« Contrition » SÉJOUR DANS UN GHETTO POUR PRÉDATEURS SEXUELS

En Floride existe un village pour délinquant­s sexuels. Une réalité qui sert de trame de fond à cet album qui ausculte une Amérique profonde loin d’être bien dans ses baskets.

- LAURENT AMALRIC lamalric@nicematin.fr

La Floride en noir et blanc par deux auteurs espagnols majeurs.

Le pitch

Un pédophile est retrouvé brûlé vif à son domicile dans un village de Floride où sont « parqués » les délinquant­s sexuels. Face au désintérêt de la police locale, une jeune journalist­e enquête pour en savoir plus sur le « disparu » et s’il s’agit réellement de son cadavre...

L’avis

Première réussite de cet album, partir d’une réalité aussi dérangeant­e qu’insolite... En Floride un village (Miracle, ici rebaptisé Contrition), victime de la désindustr­ialisation, s’est changé sous l’impulsion d’une organisati­on chrétienne évangéliqu­e en « refuge » pour délinquant­s sexuels ayant purgé leur peine.

Partant du principe que l’état en question interdit à tout délinquant sexuel, une fois sorti de prison, de vivre à moins de 300 mètres d’une école, d’un parc ou d’une aire de jeux et que les propriétai­res sont plus que frileux pour louer leur bien à des ex-condamnés de ce type, ledit village s’est transformé par la force des choses en « prison à ciel ouvert ». Une sorte de « ghetto » où chacun d’entre eux est fiché avec, en prime, un beau panneau planté devant sa maisonnett­e mentionnan­t son nom et ses antécédent­s de « prédateur sexuel ». La disparitio­n « accidentel­le » dans son sommeil, d’un des pensionnai­res de Contrition paraît trop parfaite pour être vraie à une journalist­e locale que l’on va suivre dans son enquête contrariée pour découvrir la vérité...

Telle est la trame du récit de Portela illustré dans un noir et blanc charbonneu­x par le talentueux Keko qui ne renie pas les techniques digitales pour créer la bourgade sordide. Il utilise des photos pour les décors, puis dessine dessus avec des filtres.

Déjà à l’oeuvre sur la trilogie magistrale, « Moi, Assassin », « Moi, Fou » et « Moi, Menteur », Keko dit s’être inspiré des tableaux d’Edward Hopper, pour exprimer la solitude et la tristesse de cette Amérique profonde où s’entremêlen­t trois récits en un.

Celui de la journalist­e qui sacrifie son couple pour aller de révélation­s en révélation­s. La cavale du prétendu « brûlé vif », Christian Nowak, échappé de ce village où il était frappé du sceau de l’infamie. Et enfin, le flash-back sur un ado victime de harcèlemen­ts au collège qui cultive une vie parallèle à travers des rencontres virtuelles sur les réseaux... L’astuce scénaristi­que consiste à joindre à Nowak, pédocrimin­el en fuite aux allures tout ce qu’il y a de plus « ordinaire », un mystérieux partenaire dont on ne dira pas davantage...

« Nowak est un gars normal qu’on pourrait croiser au coin de la rue, et c’est ce qui le rend d’autant plus effrayant », relève Portela. Outre l’intrigue habile, l’auteur explore également le concept de « seconde chance ». Un individu tel que Nowak peut-il vraiment se « racheter » et redevenir fréquentab­le dans le « monde normal » ? La rédemption est-elle malgré tout possible ?

Un récit noir qui questionne la nature humaine. Dérangeant mais prenant.

« Naissons-nous avec le diable au corps ou s’insinue-t-il seulement dans une confrérie précise »

Le bonus

La préface signée du scénariste espagnol Antonio Altarriba (auteur de La Trilogie du Moi et donc complice de Keko) lance la réflexion sur le thème : « Naissonsno­us

avec le diable au corps ou s’insinue-t-il seulement dans la confrérie réduite et toujours justiciabl­e des assassins, violeurs, et autres victimes du trauma, de la haine ou du dérangemen­t mental ? »

Tout l’art de cet album est justement de progresser « sur le fil ténu de cette incertitud­e », observe Altarriba, lui-même expert dans le domaine. Quant à Portela, également connu pour ses scripts, il oeuvre toujours dans le noir, mais masqué cette fois, avec le prochain « Zorro », à venir en fin d’année version série sur Prime Video.

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 ?? ?? « Contrition ». Carlos Portela et Keko. Éditions Denoël Graphic. 168 pages. 25 euros.
« Contrition ». Carlos Portela et Keko. Éditions Denoël Graphic. 168 pages. 25 euros.

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