Présidentielle en Turquie : vers un second tour inédit
Donnant d’abord le Président sortant, Recep Tayyip Erdogan, élu dès le 1er tour, les résultats officiels – d’emblée contestés par l’opposition – ont basculé hier en milieu de soirée.
Une soirée historique et haletante. La Turquie, qui s’est massivement pressée aux urnes, a été prise hier soir dans des montagnes russes émotionnelles, suspendue à la bataille de chiffres engagée entre le Président Recep Tayyip Erdogan, d’abord donné victorieux dès le 1er tour par les médias officiels, et son adversaire Kemal Kiliçdaroglu, qui a aussitôt revendiqué lui-même l’avantage. C’était avant que les résultats officiels – mais toujours non définitifs, donc n’excluant pas totalement un possible nouveau retournement de situation – ne donnent désormais Erdogan sous la barre des 50 %. Seuil synonyme, cette fois, de second tour le 28 mai, ce qui serait une première pour la République turque, centenaire cette année.
Selon les chiffres donnés vers 23 h 30 par l’agence étatique Anadolu, sur 93,7 % des bulletins dépouillés, le chef de l’État de 69 ans ratait en effet la marche de peu, à 49,6 %. Un score, toutefois, en baisse constante depuis le début de la soirée : il était au début à plus de 52 %. Son adversaire Kemal Kiliçdaroglu, 74 ans, était donné à 44,6 %, et le troisième candidat, Sinan Ogan, à 5,3 %.
Participation massive
Qui plus est, dès les premiers résultats connus, vers 19 heures, l’opposition les a immédiatement dénoncés : « Nous sommes en tête », a affirmé Kemal Kiliçdaroglu. L’une des figures de l’opposition, le maire d’Istanbul Ekrem Imamoglu, s’exprimant au siège du parti « au nom de Kiliçdaroglu » , a appelé « les citoyens à ne pas tenir compte des chiffres donnés par Anadolu » L’agence de presse privée Anka, donnait, elle un tableau plus serré. Vers 23 h 40, sur 98,8 % des bulletins selon elle, le Président sortant obtenait 49,24 % des suffrages et Kemal Kiliçdaroglu 45,05 % (5,29 % pour Sinan Ogan).
Une certitude : dans un pays où le taux de participation est traditionnellement très élevé, autour de 80 %, celui-ci était hier encore plus haut, à environ 88,5 %. Il faut dire que les électeurs devaient trancher entre deux hommes et deux projets de société très différents : un islamo-conservateur, Erdogan, 69 ans, au pouvoir de plus en plus sans partage depuis 20 ans ; et son rival social-démocrate Kiliçdaroglu, représentant du parti laïque du fondateur de la République, Mustafa Kemal Atatürk, s’appuyant sur un assemblage allant de la droite nationaliste à la gauche libérale.
« On veut la Révolution française : “Égalité, liberté, fraternité”, parce que ces 20 dernières années, tout ça a disparu », estimait, depuis un quartier huppé d’Istanbul, Ulvi Aminci, 58 ans, jean bleu et tatouage sur la main. « Je dis : continuons avec Erdogan », martelait au contraire Nurcan Soyer, foulard sur la tête, devant le bureau de vote d’Erdogan.