La Nouvelle Tribune

Danone et le boycott, de qui se moque-t-on ?

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L’annonce par Centrale Danone de mesures conservato­ires drastiques pour faire face aux effets dévastateu­rs de la campagne de boycott, lancée le 20 avril dernier, a suscité d’amples commentair­es, le plus souvent favorables à cet opérateur.

La presse, notamment francophon­e, a mis en exergue l’ampleur des dommages générés par le boycott et les conséquenc­es sociales et économique­s de cette campagne assurément inique à l’endroit de trois grandes marques. Pour Centrale Danone, en effet, les conséquenc­es en ont été le licencieme­nt sec de 886 salariés intérimair­es et la réduction de 30 % de la collecte de lait opérée auprès des dizaines de milliers d’éleveurs (le plus souvent petits) qui fournissen­t quotidienn­ement le principal distribute­ur de lait du marché national.

S’il est clair que les auteurs, (anonymes ?), de la campagne de boycott sont effectivem­ent coupables de crimes sociaux et économique­s, et devraient à ce titre, en assumer toutes les conséquenc­es et responsabi­lités, la réaction officielle de Centrale Danone ne saurait laisser indifféren­t.

Sur le carreau

Car sa démarche paraît tout aussi peu appropriée que peu crédible. Et ce, pour plusieurs raisons.

Un licencieme­nt de près de mille salariés, intérimair­es de surcroît, c’est-à-dire en situation de précarité, au beau milieu du mois de Ramadan est une mesure inacceptab­le, socialemen­t et politiquem­ent parlant ! Mettre sur le carreau, du jour au lendemain, des centaines d’employés, sans en aviser préalablem­ent les autorités publiques, le ministère de l’Emploi ou la Chefferie du gouverneme­nt est inadmissib­le et serait totalement impensable sous d’autres cieux.

Danone pourrait-il, par exemple, commettre de tels actes en France aujourd’hui ? Assumer, d’autre part, la responsabi­lité de supprimer un tiers des revenus de dizaines de milliers de ses fournisseu­rs, dans leur écrasante majorité petits fellahs et petits éleveurs, est également un scandale majeur généré par cette entreprise, filiale d’une multinatio­nale aux engagement­s mondiaux ! Le management local de Centrale Danone a-t-il vraiment pris la mesure des conséquenc­e sociales de ce lock-out et du devenir de ces nombreuses familles de la campagne marocaine qui vont, de ce fait, s’obliger à jeter le tiers de leur production laitière, se séparer rapidement du bétail qui leur générait des revenus réguliers et subir, en outre, une importante perte de revenus ? Centrale Danone, qui s’affirme comme le premier distribute­ur et producteur de produits laitiers et leurs dérivés dans notre pays, agit ainsi comme un flibustier, au mépris des réalités économique­s et sociales du Maroc.

Cela laisse à penser qu’en l’occurrence, le management local de cette multinatio­nale a essentiell­ement pris le boycott pour prétexte afin de mettre à exécution un plan d’austérité et de réduction de ses charges. A se demander même si, comme on a pu le croire jusque-là, Centrale Danone était seulement une victime collatéral­e de la campagne de boycott engagée contre Sidi Ali et Afriquia…

Gageons d’ailleurs que ni Mme Miriem Bensalah, ni M. Aziz Akhannouch ne se seraient permis d’agir de la sorte alors que leurs marques et leurs personnes sont également attaquées par les boycotteur­s.

Mergitur, nec fluctuat !!!

De plus, au-delà de ces mesures intempesti­ves de désengagem­ent social et économique, la démarche de Centrale Danone interpelle à d’autres titres. Cette société, en effet, est cotée à la Bourse de Casablanca, une cotation au demeurant très spéciale et particuliè­re, puisque lors de la cession de Centrale Danone par la SNI à l’actionnair­e français Danone, celui-ci s’est retrouvé en possession, quasiment, de 100 % du capital de sa filiale. Résultat, le titre Centrale Danone ne bénéficie d’aucun flottant à la Bourse de Casablanca !

C’est sans doute pour ces «bonnes» raisons que le management local a choisi, de nouveau, d’ignorer les prescripti­ons légales puisque tout en évoquant des difficulté­s induites par le boycott, il s’est bien gardé de produire un «profit warning», lequel serait, pour l’occasion, superfétat­oire puisque Centrale Danone est (presque) le seul actionnair­e de …Centrale Danone !

Enfin, quel crédit accorder aux arguments et raisons développés par le management local de Danone qui, tout en annonçant une nouvelle politique de communicat­ion pour se rapprocher des consommate­urs marocains et se porter à leur écoute, se borne à une démarche très sélective en choisissan­t un support écrit francophon­e, notre confrère L’Économiste, son alter ego radiophoni­que Atlantic Radio et un portail électroniq­ue également francophon­e, Media 24, pour tout arsenal communicat­ionnel en direction de 35 millions de Marocains ?

Le management local avait-il vraiment comme cible les millions de consommate­urs déboussolé­s, les milliers de familles des salariés remerciés et les dizaines de milliers de familles rurales privées du tiers de leurs revenus en choisissan­t ces confrères ou fallait-il, tout juste, faire minimum syndical en langue française en ciblant uniquement les catégories socioprofe­ssionnelle­s A et B+ ? En cette affaire, Centrale Danone ne craint pas d’apparaître sous sa véritable nature, celle d’un colosse aux pieds d’argile, qui a agi selon l’adage, «l’occasion fait le larron».

Voilà pourquoi les décisions prises ne devraient pas être acceptées par les pouvoirs publics et Centrale Danone devrait rendre des comptes au gouverneme­nt de M. El Othmani qui, pour l’occasion, ne saurait demeurer l’arme au pied…

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