Gestion passive et gestion active, concurrentes ou complémentaires ?
Dans le secteur de la gestion d’actifs, le débat entre les partisans de la gestion passive et ceux de la gestion active dure depuis le début des années 1970, et qui divise jusqu’aux plus éminents experts du domaine. Selon Eugene Fama, Prix Nobel d’économie en 2013, la gestion active n’est jamais une bonne idée, et selon Robert Chiller, qui a reçu le même prix la même année, le marché ne peut fonctionner que si des personnes essaient de le surperformer.
C’est donc autour d’un sujet particulièrement important que s’est tenu le 2ème Investment Management Forum du Groupe CDG, à savoir «Les nouvelles solutions d’investissement face aux défis de la gestion institutionnelle : Gestion Active VS Gestion Passive».
Alpha ou beta ?
Selon M. Thierry Roncalli, Responsable de la Recherche Quantitative chez Amundi Asset Management, la gestion passive, selon l’industrie en 2018, comprends les gestions basées sur les indices de capitalisation boursière, ainsi que les gestions systémiques et quantitatives qui sont basées sur des modèles quantitatifs et sur des facteurs de risque (qui peuvent donc s’écrire sous la forme d’un indice). La gestion active englobe le reste. Par ailleurs, les indicateurs qui permettent de comparer la performance et la volatilité d’un actif à celles d’un indice sont l’alpha et le beta. Alpha est un indicateur de sur ou sous performance d’un fonds ou d’un actif par rapport à son indice de référence. L’alpha permet donc de voir dans quelle mesure un fonds ou une action, par exemple, bat son indice de référence. Beta est un coefficient qui permet de calculer la volatilité du prix d’un actif par rapport à son indice de référence.
Selon M. Roncalli, l’alpha n’est pas extensible, ce qui n’est pas le cas des facteurs de risque, et ces derniers sont les seuls paris qui sont compatibles avec la diversification. En étudiant certaines tendances de la gestion active, par exemple les stratégies de faible volatilité implémentées à partir de 2003–2004, ou les stratégies de qualité implémentées à partir de 2009-2010, M. Roncalli conclut qu’en s’imposant sur le marché, les stratégies d’alpha deviennent des facteurs de risques, quand elles sont globalement suivies par les acteurs du marché.
Un marché efficient profite à la gestion passive
Par contre, plus un marché est efficient, plus la gestion passive donne de bons résultats. C’est ainsi qu’aux Etats-Unis en 2017, seulement 15,7% des gestionnaires actifs ont surperformé le marché.
Par contre, de nombreux risques sont associés à la gestion passive. En premier lieu, on trouve les risques systémiques, liés à l’homogénéisation des mécanismes de marché, les régimes de volatilité accentuée, et les périodes de stress. Ainsi, «la gestion passive signifie backward-looking (regarder vers l’arrière, ndlr), donc trend-following (suivi des tendances, ndlr), donc momentum. Et ainsi, pour qu’un marché existe, il a besoin d’investisseurs contrariants», explique M. Roncalli. Dans la même lignée, c’est la gestion active qui relance le marché après une crise. Quand la gestion passive prend le pas sur la gestion active, on aboutit à une inefficience du marché, car elle ne participe pas à l’allocation de capital, elle ne fait que suivre. Cela mène à un écrasement du marché, et il suffit qu’une poignée d’investisseurs ne suivent pas la tendance pour créer un stress sur le marché, et augmenter la volatilité, comme cela fut le cas au mois de février 2018 au niveau des bourses mondiales. Ainsi, il conclut que la gestion passive ne peut être efficiente que si la gestion active l’est déjà. Il regrette par contre que l’efficience de la gestion active soit mesurée par la performance relative plutôt que par la performance absolue, et donc que l’on puisse seulement savoir si un gestionnaire a performé par rapport aux autres, et non s’il est vraiment efficient.
«La gestion passive répond à un besoin spécifique des clients», avance pour sa part M. Yann Neto, Sales and Relationship Manager pour Allianz Global Investors, qui ne fait que de la gestion active. Si 18% des actifs globaux sont gérés passivement, avec une proportion qui a doublé en 10 ans, cela est dû à un biais domestique historique (par exemple, l’euro et les indices européens), à la théorie des marchés efficients (et des échecs de la gestion active en période de crise, comme en 2008), et au coût des investissements extérieurs.
Adapter la gestion aux besoins
Mais, selon M. Neto, quatre grandes tendances favorisent la gestion active. Tout d’abord, la différenciation est fortement avantageuse, surtout depuis que l’on sait que les risques de défaut peuvent toucher tous les types d’actifs. Ensuite, le beta «bon marché» n’exclut pas les rendements négatifs. La gestion active ouvre la voie à l’ISR (Investissement Socialement Responsable). Enfin, la gestion active, audelà du rendement, permet de mettre en pratique l’optique de l’investisseur. On aura compris ainsi, à travers ces interventions, que MM. Neto et Roncalli, tous deux adeptes de la gestion active, considèrent qu’elle est essentielle à la bonne santé du marché. Elle est garante de son évolutivité, de sa réactivité en cas de crise, elle permet au gestionnaire d’offrir la plus grande valeur ajoutée à ses clients, et elle est la force motrice derrière l’innovation financière. Peut-on pour ainsi en conclure que la gestion passive n’a pas lieu d’être ? Sûrement pas, tant qu’on garde en tête qu’elle est destinée à une certaine catégorie de clients, avec des besoins spécifiques en termes d’exposition au risque, de protection du capital, et autour d’une stratégie à long-terme qui n’a pas vocation à être souvent redéfinie.