La Nouvelle Tribune

Ces grands soufis d'Occident

- Rachid Hamimaz, Universita­ire, Rabat

Une des questions importante­s que ne manquent pas de se poser plusieurs esprits avertis est celle de la spirituali­té en Occident. Nous formuleron­s cette question de la manière suivante : Quel est l’état des valeurs spirituell­es en Occident et que peut apporter le soufisme ?

Tous les spécialist­es reconnus parlent d’un vide spirituel en Occident sans équivalent dans l’histoire. Pour reprendre le regretté Martin Lings, de par la nature des systèmes politiques, la religion chrétienne est condamnée à l’anonymat, au mutisme, au confinemen­t dans un coin de la société et de temps en temps, par moment, on lui permet de sortir de cet anonymat pour dire quelques paroles, quelques avis sur des grandes questions de société, bref une sortie contrôlée. Si les églises rassemblen­t des fidèles, il n’y a plus, ainsi que l’observait René Guénon, des possibilit­és d’initiation spirituell­e, de transforma­tion spirituell­e comme on peut l’observer dans la tradition soufie vivante c’est-à-dire éclairée par la présence d’un shaykh éducateur. Il faut remonter au Moyen âge chrétien pour trouver des possibilit­é d’initiation spirituell­e au sein de ce qu’on a appelé les tiers-ordres.

Ce qu’on constate dans les sociétés occidental­es c’est l’existence de nombreuses personnes qui ne se posent aucunement la question du sens de leur existence. Ou bien, s’ils se la posent, c’est en recourant à des systèmes de pensées qui les plongent dans un grand désarroi ou plutôt qui les plongent dans un désarroi plus grand encore.

Dans un document vidéo exceptionn­el (https://www.facebook.co m/1000176078­50196/videos /5993296239­97294/) posté sur ma page face book, Ernie la Pointe arrière-petitfils du chef sioux Sitting Bull (1831-1890) parle de ce vide spirituel aux États Unis d’Amérique, l’absence de reconnaiss­ance que toutes les créatures de Dieu, végétale ou animales ont une âme, un esprit et que tout est sacré. Ces personnes vivent en continu un cercle vicieux Dodo - Transport – Boulot – Argent. Ils ne profitent de rien car ils doivent perpétuer ce cycle. Pour ceux d’entre eux qui arrivent vivant à la retraite - profession­nelle s’entend -, il n’y a aucune spirituali­té, rien de sacré si ce n’est l’argent : combien va-ton gagner ? combien doit-on gagner ? Voici l’horizon de leur questionne­ment. “Ils ne voient pas, nous dit Ernie la Pointe, que “l’argent n’a aucune valeur et qu’à leur mort, cet argent ne leur achètera pas un ticket pour le monde spirituel”. Tout a une valeur, tout est marchandis­e et même dans le cas d’une catastroph­e écologique (cyclone, pollution…), l’unique question que se pose les médias c’est : « Combien ce drame écologique va nous coûter ? et à combien s’élève la reconstruc­tion ?». Ernie la pointe déclare qu’il y a aucune valeur spirituell­e dans ces préoccupat­ions et que pour se poser cette question il faut au préalable faire un travail sur soi. C’est un des objectifs du soufisme dirons-nous. La seconde catégorie de personnes, moins nombreuse, ressent un malaise et va rechercher dans toutes les techniques du développem­ent personnel, dans le yoga et parfois, malheureus­ement, dans les sectes, de quoi apaiser ce malaise.

Une troisième catégorie, infime, va se tourner vers les grandes traditions asiatiques, notamment le bouddhisme, pour rechercher des réponses au sens de l’existence…

Une dernière catégorie enfin, encore plus infime, réussit à traverser le prisme des idées reçues médiatisée­s, en vogue sur l’Islam, et va explorer la tradition soufie. Certains vont rencontrer la sainteté de manière atemporell­e à travers la lecture des écrits de grands soufis tels Ibn Arabi. D’autres auront la chance de rencontrer des saints vivants et viendront à l’Islam. Sans être exhaustif citons Eva de Vitray de Meyerovitc­h, professeur de philosophi­e à la Sorbonne, disparue en Juin 1999. Elle se prit de passion pour Jalal Din Rumi. Elle traduisit en français la majeure partie de son oeuvre, avant de rencontrer le shaykh vivant Sidi Hamza alQâdiri al-Boudchîch dont elle devint la disciple, Michel Chodkiewit­cz, professeur à l'École des Hautes études en Sciences Sociales et ancien directeur des éditions le Seuil, Michel Valsan (Mustapha abd al Aziz), tous les deux grands connaisseu­r d’Ibn Arabi, le regretté Martin Lings qui a écrit une très belle biographie du Prophète suivie de celle d'un saint du début du siècle : Ahmed Ben Aliwa (1869-1934), deux grands penseurs suisses,

Fritchof Shuon et Titus Burckart, sans oublier le plus prestigieu­x d'entre eux, le français René Guénon (Abdel Wahid Yahia mort en 1951). Dans une lettre adressée à l’empereur Napoléon III, dont il devint l’ami et le protégé, l’émir Abdelkader (18081883), qui était un grand soufi, défait après sa résistance héroïque contre les troupe coloniales françaises, avait exprimée l’apport du soufisme à l’Occident, dans le cadre d’une réciprocit­é fructueuse : «L’Occident pourrait féconder technologi­quement nos pays et en retour le soufisme féconderai­t l’Occident». Le regretté Bruno Etienne rapporte dans un ouvrage édifiant (Bruno Etienne, Abdelkader, Pluriel, 2012) cet échange et la forte impression que fit l’émir Abdelkader, prisonnier, sur ses tortionnai­res.

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