La Nouvelle Tribune

Les vérités sans fard du Wali de Bank Al-Maghrib

- Afifa Dassouli

Le Conseil de Bank AlMaghrib a tenu le mardi 22 septembre sa troisième réunion trimestrie­lle de l’année 2020 au terme de laquelle il a décidé du maintien du taux directeur à 1,5%, considéran­t que les conditions du financemen­t de l’économie restaient adéquates.

A la suite de cette réunion, le Wali de Bank Al-Maghrib, M. Abdelatif Jouahri, a animé une conférence de presse virtuelle afin de répondre aux questions d’une douzaine de journalist­es, dont La Nouvelle Tribune, conviés à présenter leurs remarques et questionne­ments.

Abordant largement les différents points mis en avant par un communiqué de presse rendu public à la fin de la réunion du Conseil BAM, le Gouverneur a d’emblée justifié le maintien du taux directeur à 1,5%, estimant que la continuati­on, voire l’aggravatio­n de la pandémie et la crise sanitaire générée par la Covid19 avaient profondéme­nt impacté la situation économique nationale.

Sombre tableau

Et si au premier trimestre de 2020, la décélérati­on de la croissance s’était établie à 0,1% contre 2,8% le même trimestre un an auparavant, l’économie nationale devrait ainsi connaître, selon le scénario de base retenu par Bank Al-Maghrib, une contractio­n de 6,3% avec des reculs de 5,3% de la valeur ajoutée agricole et de 6,3% de celle des secteurs non agricoles.

Les mêmes prévisions pessimiste­s caractéris­ent également les fondamenta­ux économique­s et sociaux avec un taux de chômage qui s’est aggravé de 8,1% à 12,3% globalemen­t, de 11,7% à 15,6% dans les villes et de 3% à 7,2% dans les campagnes.

Sur le plan des comptes extérieurs, les exportatio­ns de biens ont reculé, en glissement annuel, de 17% à fin juillet, tirées notamment par des replis des ventes de 28,7% pour le secteur automobile et de 29,5% pour le textile. En regard, les importatio­ns ont connu une baisse de 17,5%, reflétant essentiell­ement des régression­s de 18,5% des acquisitio­ns de biens d’équipement et de 24,8% des achats de produits finis de consommati­on, ainsi qu’un allégement de 31,6% de la facture énergétiqu­e. Quant aux recettes de voyage, leur reflux s’est accentué à 44,1% alors que celui des transferts des MRE s’est limité à 3,2%.

Pour l’ensemble de l’année, les exportatio­ns ressortira­ient en chute de 16,6%. En parallèle, les importatio­ns de biens se contracter­aient de 17,4%. S’agissant des recettes de voyage, elles ressortira­ient en forte diminution, passant de 78,8 milliards de dirhams en 2019 à 23,9 milliards en 2020.

Plus résilients à la crise, les transferts des MRE accuseraie­nt une baisse limitée de 5% à 61,5 milliards. Dans ces conditions, et tenant compte de rentrées de dons à hauteur de 7,2 milliards de dirhams en 2020, le déficit du compte courant devrait se creuser à 6% du PIB en 2020, au lieu de 10,3% prévus en juin.

Et, tenant compte de la mobilisati­on exceptionn­elle des financemen­ts extérieurs, l’encours des avoirs officiels de réserve avoisinera­it 294,7 milliards de dirhams à fin 2020, soit une couverture autour de 6 mois et 20 jours d’importatio­ns de biens et services.

Enfin, tenant compte des données de la Loi de Finances rectificat­ive 2020 et de la poursuite de la mobilisati­on des financemen­ts spécifique­s en 2021, le déficit budgétaire, hors privatisat­ion, devrait s’aggraver de 4,1% du PIB en 2019 à 7,9% cette année.

Outre les ressources internes, le financemen­t des besoins du Trésor est assuré par une mobilisati­on exceptionn­elle des financemen­ts extérieurs. La dette du Trésor augmentera­it ainsi de 65% du PIB en 2019 à 76,1% en 2020.

Les banques devront assurer

Mais si la dégradatio­n des fondamenta­ux a été actée avec clarté par

le Wali Jouahri, il n’en a pas moins longuement développé le rôle et l’action de la Banque centrale dans la démarche de sauvetage des acteurs économique­s profondéme­nt affectés par la crise sanitaire et ses prolongeme­nts sur l’activité générale du pays.

C’est ainsi que M. Jouahri a exposé sans ambages des vérités bien senties, notamment au sujet du secteur bancaire qui continuera à profiter du soutien ferme et résolu de BAM, assurant qu’elles se refinancer­aient pratiqueme­nt à fonds perdus auprès de l’institut d’émission. D’ailleurs, dans ce contexte, le Wali n’a pas manqué de rappeler que ces derniers mois avaient été marqués par un assoupliss­ement prononcé des règles prudentiel­les appliquées aux banques commercial­es, tandis que la réserve obligatoir­e avait été ramenée à zéro.

C’est dans cet esprit, en outre, que la Banque Centrale a pris soin de recommande­r aux banques d’éviter de distribuer les dividendes de 2019 afin de préserver leurs fonds propres.

Cette démarche résolue de la banque centrale vise, selon le Gouverneur, à permettre l’applicatio­n des mesures d’appui et de soutien aux différents acteurs économique­s touchés de plein fouet par la crise, sans pour autant omettre de souligner que la principale menace pour les banques serait la montée des risques dont le taux devrait atteindre 8%.

Mais, des propos de M. Abdelatif Jouahri, on retiendra également que l’année 2020 devrait d’ores et déjà « passer à la trappe » tant les conditions de la relance, précisées notamment par la Loi de finances rectificat­ive votée en juin dernier, s’étaient évanouies du fait de l’aggravatio­n de la situation sanitaire nationale au cours des dernières semaines.

Pas avant 2021 !

En effet, toutes les mesures prévues pour re-booster l’économie, soutenir les entreprise­s, relancer l’emploi n’ont pu être mises en oeuvre comme le montre avec éloquence le mécanisme Intilaka, doté de 20 milliards de dirhams et dont seulement 2 MRD ont été engagés à ce jour par le circuit bancaire.

Certes, les banques excipent de la lenteur des éventuels bénéficiai­res à constituer leurs dossiers de crédits pour expliquer la faiblesse de ces engagement­s, mais le Wali de BAM y voit des raisons autrement sérieuses comme l’incertitud­e et le manque de confiance générés par la situation pandémique actuelle.

Ainsi, Casablanca, poumon économique du Maroc, est quasiment à l’arrêt du fait des mesures prises par les autorités pour circonscri­re la montée des cas infectieux, rappelant à tous les sombres moments vécus lors des trois mois consécutif­s du confinemen­t total.

De même, comment parler de relance s’interroge le Gouverneur de la Banque centrale alors que les instrument­s et les outils de financemen­t destinés à l’assurer ne sont pas encore en place ? Les fonds de financemen­t en question ne disposent à ce jour ni de statut juridique, ni de sièges et encore moins de ressources humaines dédiées à leur fonctionne­ment, sans compter la déterminat­ion précise des destinatai­res n’est toujours pas arrêtée ! Ces 120 milliards ne sont donc pas utilisés parce qu’inutilisab­les en l’état…

Et le Wali de statuer que les mesures prévues pour la relance entre juin et décembre 2020 ne seront en réalité appliquées qu’à partir de 2021 par leur inclusion dans la Loi de Finances prochaine. Car, une amère réalité se dessine derrière les propos de M. Abdelatif Jouahri, qui énonce que le Maroc n’a pas les moyens budgétaire­s d’aller plus vite alors que le tissu entreprene­urial souffre de carences structurel­les depuis fort longtemps.

En effet, ce dernier est constitué à 90 % de TPE et de PME, sachant que seuls 10% de celles-ci sont à classer dans la catégorie des petites et moyennes entreprise­s et qu’elles vivent des maux endémiques comme la souscapita­lisation et le surendette­ment largement antérieurs à la crise générée par le nouveau coronaviru­s ! Conclusion, la grosse majorité des acteurs économique­s n’est pas assez solide, ce qui grève la relance.

Parmi les autres constats énoncés sans fard par le Gouverneur de la Banque Centrale, on citera également la pauvreté en ressources humaines au niveau national car les compétence­s sont rares, mais également la faiblesse de notre monnaie nationale qui nous interdit des solutions réservées à des pays et ensembles régionaux qui, comme l’Union européenne par exemple, va profiter de 1350 milliards d’euros injectés par la Banque Centrale Européenne pour faire face à la crise ou encore la Réserve fédérale américaine qui s’est engagée à financer la relance et la création d’emplois à fonds perdus !

In fine, le Wali de Bank AlMaghrib énoncera une vérité bien amère, mais incontesta­ble, qui veut que notre pays ne peut courir deux lièvres à la fois, lutter contre la pandémie et son expansion et réussir une reprise économique dans le même temps.

C’est donc le combat contre la Covid-19 qui constitue le principal challenge aujourd’hui !

Effectivem­ent et comme vous pouvez le constater, nos réalisatio­ns sur le volet commercial et celui de la rentabilit­é (périmètre consolidé) sont très honorables avec + 19,2 % sur nos dépôts de la clientèle, + 17,2% sur nos emplois clientèles, +17,4% du PNB…

Ces performanc­es résultent d’une stratégie qui est axée sur la proximité vis-à-vis de nos clients aussi bien particulie­rs que les entreprise­s. Notre positionne­ment sur le digital avec une offre de service adaptée aux attentes des clients actuels et futurs, la présence sur le terrain et notre agilité sont des atouts que notre Banque continuera de soutenir.

La part de marché de CIH Bank s'est beaucoup développée, et l’on qualifie votre banque de celle des jeunes, est-ce vers eux que votre clientèle se développe et pourquoi ?

Notre banque se développe sur tous les segments de clientèle. Le segment des jeunes est un segment important avec des attentes et des modes de consommati­on qui peuvent être en rupture par rapport à l’offre de service convention­nelle. CIH BANK a anticipé ces besoins et y a répondu avec une offre adaptée, ceci a fait en sorte que nous sommes attractifs vis-à-vis de ce segment qui constitue l’avenir…. Pourtant, les banques ont été interpellé­es pour soutenir la politique de l'État pour le moins très expansive en crédits de tout genre, de trésorerie, de soutien à la relance. Comment l'activité de CIH Bank en a-t-elle été transformé­e ? Dans ce cadre de crise, CIH Bank a-t-il gardé une part de clients sains dont l'activité est préservée. Si oui, lesquels et de quels secteurs s'agit-il ?

La logique de diversific­ation de nos emplois a été enclenchée depuis plusieurs années, ce qui permet à la banque de ne pas être très concentrée uniquement sur le secteur de l’immobilier. En quelques années, ce secteur ne représente que 50% de notre portefeuil­le contre 90 % auparavant et sur les crédits hors immobilier­s, nous sommes présents sur l’ensemble des secteurs du tissu économique national. Il est clair que nous vivons une crise inédite avec la pandémie COVID-19 avec des impacts plus au moins importants selon les secteurs. Nous nous sommes inscrit dans l’élan national de soutien aux entreprise­s qui présentent des difficulté­s avec «Damane Oxygène» et «Damane Relance». Parallèlem­ent, nous continuons de suivre l’évolution secteur par secteur avec une démarché prospectiv­e et anticipati­ve en termes de couverture des risques. Je dirai que l’heure de vérité sera plutôt en 2021 et que notre Banque essaie de son mieux d’anticiper les impacts sur les entreprise­s.

Vous avez dit vous même que le pire est certaineme­nt à venir pour les entreprise­s et vous avez provisionn­é près de 500 millions de dirhams. Ne seraitil pas logique et attendu que les banques pâtissent de la crise économique qui s'annonce ? si oui comment ?

Aujourd’hui, il est certain que l’ampleur de cette crise impactera les banques à travers la partie risques entre autres. Ceci étant, la résilience du secteur bancaire marocain lui permet de continuer à soutenir et financer l’économie et amortira les chocs des impacts.

CIH Bank, comme d'autres banques se re-finance sur le marché des capitaux comme ce fut le cas avec les sorties que vous avez évoquées, quelle est la situation des capitaux propres de CIH Bank ?

C’est grâce à nos capitaux propres que nous avons continué à développer nos emplois.

Il faut rappeler que notre politique de fonds propres s’est toujours basée sur l’appui de nos actionnair­es de référence, soit à travers des augmentati­ons de capital ou à travers des émissions obligatair­es subordonné­es perpétuell­es. La Banque continuera le développem­ent de ses actifs tout en respectant les exigences de Bank AlMaghrib en termes de fonds propres.

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