La pandémie du COVID-19 a replacé la Santé au coeur des préoccupations de tous
Allocution d’ouverture du Trésorier général du Royaume lors du webinaire de la TGR et de la Fondafip La Trésorerie Générale du Royaume, au nom du Ministère de l’Économie et des Finances, a organisé à Rabat le 26 septembre dernier, un webinaire, COVID-19 oblige, en partenariat avec l’Association pour la Fondation internationale de Finances publiques, Fondafip, avec le soutien de la Revue Française de Finances publiques. Cette manifestation, avait pour thème générique : « Financement de la Santé, Territoires et Intelligence artificielle, quel droit à la santé au Maroc et en France ? » Ci-après de très larges extraits de l’allocution de M. Noureddine Bensouda, Trésorier général du Royaume, cheville ouvrière de ce séminaire, qui a magistralement présenté les différentes facettes de cette problématique aussi cruciale que stratégique :
“…Il
est, sans doute, peu de combats plus nobles que celui du droit des citoyens à la santé ; et c’est pour cette raison que nous avons tenu à consacrer cette matinée, à ce sujet délicat et sensible, aussi bien pour le Maroc que pour la France.
En effet, la pandémie du COVID-19, a laquelle le monde entier fait face depuis plusieurs mois, a replacé les questions sociales et particulièrement la Santé au coeur des préoccupations de tous les pays.
Des faiblesses objectives
Elle a aussi eu l’effet d’un électrochoc, en nous rappelant d’une manière brutale, la nécessite de reconsidérer la dimension sociale qui s’était partiellement effacée, depuis longtemps, derrière les seuls impératifs économiques et financiers... » Et M. Bensouda de préciser que « …Le Maroc a alloué au titre de la loi de finances de l’année 2020 près de 22,7 milliards de DH de crédits au secteur de la santé, dont 18,7 milliards de DH de crédits de paiement.
Sans compter les dotations budgétaires exceptionnelles allouées en cours d’année dans ce secteur dans le cadre de la lutte du pays contre la pandémie COVID19,
ce montant représente environ 6,2% des dépenses du budget général de l’État au titre de l’année 2020.
Toutefois, malgré son amélioration constante d’année en année, ce taux demeure en deçà des recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé qui préconise généralement un taux entre 10 et 12% des dépenses publiques. Et, rapportées au PIB, les dépenses totales de sante oscillent généralement entre 5 et 6%, tauxjugé trop bas par rapport à celui observé dans plusieurs pays de notre voisinage ou ayant un niveau de développement économique comparable au nôtre ».
Par ailleurs, constate le Trésorier général du Royaume, « ce taux cache une autre faiblesse de notre système de sante puisque les paiements directs des ménages y représentent plus de 50%, ce qui est juge trop enlevé. A titre de comparaison, les paiements directs des ménages financent moins de 10 % des dépenses de santé en France et environ 35% en Grèce. L’insuffisance relevée au niveau des dépenses de santé est également
observée en matière de ressources humaines et concernerait tous les corps du personnel de santé (médecins, pharmaciens, infirmiers, etc.). ». Cependant, à ces constats s’ajoutent d’autres remarques de M. Noureddine Bensouda qui précise : « Mais les problèmes dont souffre notre système de sante ne se limitent pas à une question de moyens ou de ressources.
La gouvernance en question
Au-delà de tout aspect quantitatif, les secteurs sociaux d’une manière générale, et le secteur de la sante en particulier, nécessitent davantage de cohérence, aussi bien dans la vision stratégique qu’en termes de gouvernance des politiques publiques. A titre d’exemple :
• - Notre carte sanitaire ne garantirait toujours pas le degré recherché de démocratisation d’accès aux soins ;
•-La politique nationale d’approvisionnement en médicaments, vaccins et autres dispositifs médicaux dépendrait sensiblement de l’étranger, tantôt en termes de matières premières, tantôt en termes de produits finaux;
• - L’utilisation des nouvelles technologies, notamment dans les formations sanitaires publiques, serait assez limitée ; •-Le projet d’un dossier-patient unique informatisé tarde encore à voir le jour, ce qui se répercute directement sur la coordination et la qualité de l’offre de soins.». Concrètement, «Nous constatons, ainsi, que les difficultés auxquelles est confronté notre système de santé sont nombreuses…»
Ce qui amène la remarque suivante : « Visibles a l’oeil nu, leurs symptômes sont pointes du doigt au quotidien, aussi bien par les citoyens que par les praticiens et les gestionnaires. La sécurité sociale au Maroc, grande composante du système de sante, traverse également une période assez difficile. Les rapports de la Cour des comptes de 2018 sur les régimes de couverture médicale de base en disent long sur cette situation. Quant aux projets visant la couverture sociale des indépendants, y compris les professionnels de la sante, ils gagneraient à voir le jour le plus rapidement possible. »
Ces remarques pertinentes sur la nécessité des réformes à mettre en oeuvre de toute urgence sont rendues encore plus prégnantes alors que constate M. Bensouda, " …Le taux de couverture de la population au Maroc, tous régimes confondus, est d’environ 68% et le mécanisme d’éligibilité au Régime d’Assistance Médicale aux personnes Economiquement Démunies (RAMED) est confronté aux difficultés que nous connaissons tous".
Voilà pourquoi le « patron » de la TGR estime qu’il : «…reste donc du chemin a parcourir pour mettre en place la Couverture Sanitaire Universelle, un des axes stratégiques de coopération entre le Maroc et l’Organisation Mondiale de la Santé, qui vise, notamment, la réduction des paiements directs des ménages qui aggravent les inégalités et la vulnérabilité des populations.
Sachant que « … La concrétisation et la réussite de ce chantier ambitieux de couverture sanitaire universelle passent, d’abord et avant tout, par la mise en place des préalables nécessaires en termes de mise a niveau de l’offre de soins.
En effet, la généralisation de la couverture sociale aura nécessairement pour effet de créer une demande supplémentaire en termes de soins de santé, si ce n’est une amplification de cette demande.
Revoir l’architecture du système de santé
Il devient, dès lors, impératif de mettre en place de la cohérence dans l’investissement à engager, entre les différentes composantes du système de sante, afin de garantir les conditions de réalisation de l’objectif visé.
Cela permettra de mieux gérer la forte demande en matière de santé par rapport à l’offre qui risquerait de compromettre la réussite de ce chantier et d’asphyxier le système de santé actuel. Certes, l’aspect quantitatif de l’offre de soins est important, mais son aspect qualitatif l’est aussi. Il serait opportun, à ce titre, de s’assurer que les efforts engagés en termes de ressources humaines, d’infrastructures et de matériel et consommables, soient accompagnés d’une amélioration de la qualité des soins. C’est à ces conditions, et à ces conditions seulement, que nous pourrons prétendre a la réussite de ce chantier stratégique... ». Cependant d’autres urgences concrètes se profilent pour améliorer globalement le système de santé et les performances exigées pour satisfaire les besoins de la population.
C’est ainsi que pour le Trésorier général du Royaume : «… Audelà même de la problématique du financement, la réussite de la réforme de ces programmes sociaux est également tributaire de l’approche et de la méthodologie adoptées, mais aussi et surtout, du système de gouvernance mis en place».
Assurer le futur et l’équité fiscale
C’est donc un appel que lance M. Bensouda pour la mobilisation autour d’objectifs précis : « Nous devons donc nous concentrer sur les défis que nous réserve le futur. Un futur qui sera caractérisé par davantage de contraintes pour la mobilisation des ressources publiques et une menace sérieuse pour les équilibres budgétaires de L’Etat, des collectivités territoriales et des caisses de prévoyance sociale.
Ceci nécessite une réelle cohérence de la politique de la sante, une volonté ferme de coordination entre les différents acteurs et une bonne répartition des tâches. Le maitre-mot est la rationalisation de la dépense, tout en cherchant de nouveaux modes de financement qui ne pèseraient pas trop sur les budgets publics et in fine sur les citoyens.
Plus clairement, il s’agit de mettre de l’ordre dans les prélèvements fiscaux avec comme principe, l’universalité de l’impôt ou tout simplement le respect du principe édicté par l’article 39 de la Constitution : « tous supportent, en proportion de leurs facultés contributives, les charges publiques que seule la loi peut, dans les formes prévues par la présente Constitution, créer et répartir ».
« L’idée force de ce principe est la solidarité qui se trouve dans ces temps de crise plus fortement sollicitée. La conséquence, comme le recommandent plusieurs institutions internationales, est la réduction des incitations fiscales, notamment, celles qui s’appliquent sur les bénéfices de certains secteurs d’activité et qui laissent, par conséquent, toute la pression fiscale supportée par le reste de la collectivité.
Dans la même logique, et en faveur de la santé, c’est toute la fiscalité environnementale pour lutter contre la pollution, la consommation des tabacs...qui participerait à réduire les effets néfastes sur la santé de la population et diminuerait également en amont les dépenses de santé... ». Mais, dans ce contexte, le Trésorier général du Royaume ne peut omettre de replacer ces objectifs et nécessités dans le contexte actuel « … Notre futur sera également marqué par l’omniprésence du digital et de l’intelligence artificielle.
Un futur où les interactions et les liens de causalité entre divers secteurs seront encore plus complexes, nécessitant l’intégration de la santé dans toutes les composantes des politiques publiques tel que recommande par la déclaration d’Adélaïde.
Le modèle de développement qui est en cours d’élaboration actuellement devrait, entre autres, apporter des réponses claires aux questions liées au droit a la santé » devait conclure l’orateur invitant les différents intervenants à s’inspirer de ces analyses pour nourrir leurs réflexions sur la problématique générale énoncée par la thématique de ce colloque.
Clairvoyance et réalisme
In fine donc, on soulignera que l’allocution d’ouverture de M. Noureddine Bensouda a le mérite de dresser un bilan clair, honnête et objectif des impératifs qui s’imposent à l’État et à ses finances publiques afin de donner au système de santé national les moyens exigés pour la satisfaction des besoins de la population.
Mais, avec pertinence et réalisme, le Trésorier général du Royaume énonce des constats qui soulignent l’impossibilité pour la puissance publique de remplir de tels objectifs sans de profonds réaménagements en termes de gouvernance, mais aussi et surtout de fiscalité directe, dans la perspective de la justice et l’équité fiscale, conditions sine qua non de la résolution des problématiques posées pour la réussite des réformes envisagées.