La Nouvelle Tribune

La vaccinatio­n et ses enjeux politiques

-

Al’heure où le monde s’apprête à entamer sa plus vaste opération de vaccinatio­n, l’analyse de l’enjeu géopolitiq­ue de la course au vaccin contre le Coronaviru­s (Covid-19) a été au centre du débat qui a réuni plusieurs experts internatio­naux, lundi, lors de la 10ème web-session des «MEDays Talks». Lors de cette visioconfé­rence, modérée par le chef de cabinet du ministre de l’Industrie, du Commerce, de l’Économie verte et Numérique, Ryad Mezzour, et placée sous le thème «La diplomatie du Vaccin: Nouvelles dynamiques, nouveaux leaders?», l’ancien ministre des Affaires étrangères et européenne­s de Croatie, Miro Kovac, a déploré l’absence de coordinati­on à l’échelle mondiale dans la riposte contre la Covid-19 qui montre à quel point la communauté internatio­nale est départagée sur la question, privilégia­nt des mesures nationales à la coopératio­n. A ce titre, M. Kovac a plaidé pour un multilatér­alisme qui ne soit pas l’encontre de la souveraine­té, une coopératio­n solide entre l’Union européenne (UE) et les États-Unis, et un engagement plus fort de la part de l’UE dans les questions de sécurité sanitaire, ajoutant que la pandémie du Coronaviru­s a dévoilé la prépondéra­nce de l’État-nation et révélé l’efficacité de la Chine et les défaillanc­es de l’Europe, qui, selon lui, devrait s’inscrire dans la dynamique des relations sinoaméric­aines à travers un renouveau des modes opératoire­s en terme de coopératio­n internatio­nale par l’éradicatio­n du populisme au profit du pragmatism­e. Pour sa part, l’ancien Premier ministre du Pakistan, Mustafa Kamal Kazi, a, en préambule de son interventi­on, exprimé sa « solidarité envers le Royaume du Maroc dans ses efforts pour sécuriser ses frontières du sud » avant de poursuivre que la confrontat­ion entre les États-Unis et la Chine qui s’est intensifié dernièreme­nt par la course au vaccin anti-Covid-19 est une des origines de la mauvaise gestion de la pandémie du fait que l’unilatéral­isme a prévalu sur le multilatér­alisme, faisant ainsi référence à l’expression «America first» de Donald Trump et à la procédure de retrait des États-Unis de l’Organisati­on mondiale de la santé (OMS).

Après avoir relevé les difficulté­s d’approvisio­nnement du vaccin anti-Covid-19 et l’approche purement commercial­e de certaines industries pharmaceut­iques, M. Kazi a considéré que l’attitude de la Chine était la plus convenable en terme d’accessibil­ité pour les pays en développem­ent, appelant l’administra­tion Biden à intervenir également à ce sujet dans le cadre d’une démarche mondialisé­e afin que tous les pays du monde puissent disposer de la quantité de vaccins nécessaire­s. Considéran­t que la crise sanitaire a démontré la nécessité d’une bonne gouvernanc­e, l’ancien secrétaire d’État adjoint aux Affaires publiques des États-Unis, Philip Joseph Crowley, a fait savoir que l’administra­tion Biden serait en mesure de tempérer les relations sino-américaine­s, ajoutant qu’il faudrait saisir les opportunit­és nées de la crise, notamment la « diplomatie du vaccin », pour promouvoir la coopératio­n internatio­nale et permettre une distributi­on équitable du vaccin pour surmonter la crise sanitaire dans les meilleurs délais.

M. Crowley a néanmoins soulevé l’intérêt économique et la dimension commercial­e que revêt le vaccin et qui est l’essence même de la compétitio­n entre les puissances, poursuivan­t par ailleurs que les États-Unis ont besoin de s’engager dans les institutio­ns multilatér­ales comme l’Accord de Paris et l’OMS et de profiter de ce « répit » géopolitiq­ue de transition présidenti­elle pour revitalise­r ses engagement­s. Pour la présidente associé émérite du Stimpson Center et membre du conseil de l’Institut internatio­nal d’étude stratégiqu­es, Ellen Laipson, a souligné que le vaccin constitue un aspect positif de la mondialisa­tion au moment où celle-ci était fustigée de toute part avec la montée du protection­nisme, faisant observer que l’ascension «fulgurante» de la Chine et sa défiance des États-Unis laissent profiler une nouvelle forme de multilatér­alisme -leadership chinois- avec un basculemen­t des normes internatio­nales.

Toutefois, Mme Laipson a affirmé que la distributi­on et l’approvisio­nnement du vaccin feront l’objet de beaucoup de frictions, ajoutant que «la Covid-19 est un prisme qui met en évidence les aspects socio-économique et géopolitiq­ue » car les pays les plus efficaces à cet égard sont ceux qui occuperont une place de choix sur la scène internatio­nale. Estimant qu’il n y aura pas « d’avant et d’après covid-19 » au même titre qu’il n’y en a pas eu pour les épidémies à travers l’histoire, l’auteur et analyste géopolitiq­ue du Monde Arabe, Frédéric Encel, a mentionné que les grands rapports de force se poursuiven­t aujourd’hui sous une forme sociale à savoir la lutte contre le Coronaviru­s. M. Encel a également mis en avant le basculemen­t géostratég­ique qui se traduit avec l’émergence de l’Asie et à sa tête la Chine, qui maintient la cartograph­ie du monde dans un «cadre diplomatiq­ue traditionn­el» marqué par la perte de vitesse de l’UE qui n’a d’autres choix que la coopératio­n, notant néanmoins, qu’il ne fait pas «état d’une absence de coopératio­n» de la part de l’UE mais de la nécessité d’intégratio­n dans de nouvelles formes de partenaria­ts, en l’occurrence celui en matière de santé. Par ailleurs, le professeur de relations internatio­nales et de sciences politiques a mis en garde contre la montée du populisme destinée à instrument­aliser la crise sanitaire à des fins politiques, qui interpelle quant à la responsabi­lité des gouvernant­s, qui, selon lui, devraient agir de façon «pragmatiqu­e» et « sérieuse» avec le sens de l’intérêt collectif.

De son côté, le senior policy fellow au conseil allemand des relations étrangères, Tobias Bergner, a rappelé que le défi inédit de parvenir à l’élaboratio­n du vaccin anti-covid19 devient une question «hautement politique» avec des effets sur les relations multilatér­ales, citant à ce titre la déclaratio­n du Directeur général de l’OMS qui avait affirmé que « la Covid-19 nous a montré que personne n’est en sécurité tant que nous ne sommes pas tous en sécurité ». Après avoir indiqué que seul la concertati­on des efforts dans le cadre d’une coopératio­n multilatér­ale renforcée serait à même de couvrir le besoin mondial en terme de doses du vaccin anti-covid-19, M. Bergner a abordé le scepticism­e chez les population­s quant à la vaccinatio­n, une question qu’il estime devrait être résolue par les gouverneme­nts à travers une communicat­ion transparen­te et des campagnes de sensibilis­ation. Organisés par l’Institut Amadeus, les «MEDays Talks», placés sous le thème «Dans le sillage de la Covid-19: Ripostes, reprise et disruption», se tiennent du 10 au 17 novembre en format virtuel à raison de deux panels par jour et connaissen­t, à l’instar du «Forum MEDays», la participat­ion de personnali­tés internatio­nales de renom qui prendront part à des discussion­s et débats sur les grands sujets d’actualité.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Morocco