La Nouvelle Tribune

La réponse aux insultes et autres caricature­s, le silence, la patience et la miséricord­e

- Rachid Hamimaz, Universita­ire

Emmanuel Macron disait il y a quelques mois que l’Islam était en crise. Il a été mal conseillé. Il aurait dû dire, les musulmans sont en crise et non l’Islam. L’Islam est, et il doit être compris. Lorsqu’on est président de la République française et qu’on a 7 millions de concitoyen­s d’origine musulmane, il est impardonna­ble qu’on ne connaisse pas leurs croyances et leur religion. Le Président américain Barak Obama a montré qu’il connaissai­t assez bien la religion de ses concitoyen­s musulmans. Emmanuel Macron aurait dû s’en inspirer. Examinons maintenant la biographie du Prophète, (sur lui le salut et les prières de Dieu). Jamais un Prophète de l’ancien ou du nouveau Testament n’a été insulté et violenté comme ce fut le cas du Prophète Muhammad. A-t-il répondu aux insultes ? A t’il incité ses compagnons à le faire? Au pire moment de sa vie, lorsque les exactions de son peuple atteignire­nt leur paroxysme, une virulence inimaginab­le, et que Dieu lui envoya l’ange lui dire : «Si tu le veux, Dieu est prêt à réunir sur eux ces deux montagnes», Il répondit : «Non, Ô Seigneur, pardonne-leur car ils ne savent ce qu’ils font, peut-être susciteras-tu d’entre eux une descendanc­e qui croira en toi et t’unifiera». Un grand orientalis­te, connaisseu­r de la religion musulmane, comme Régis Blachère, qu’on ne peut taxer de partial, il n’était pas musulman, eut cette réflexion sur le Prophète : «Quoi qu’on en ait dit, l’homme fut bon et généreux». Ses valeureux compagnons qui sont des modèles de sainteté et de comporteme­nt nobles pour des centaines de millions de musulman, prenaient leur mal en patience, et à l’image de leur Prophète, ne répondaien­t pas aux injures et offenses incessante­s. Je retiendrai un fait dans cette biographie qui est révélateur de ce que nous disons.

Cette histoire est rapportée dans le «musnad» de l’Imam Ibn Hanbal et les «sunan d’abi Daoud». Autant dire que ce hadith est des plus authentiqu­es. Un jour alors que le Prophète était assis avec son compagnon Abou Bakr (qui deviendra après sa mort le premier calife de la nation musulmane), un homme vint sermonner

Abou Bakr. Il ne cessa de l’injurier et de l’insulter. Le compagnon resta impassible et l’écouta en silence. A un moment donné, il se leva et commença à répondre à son accusateur dans les mêmes termes. Le Prophète s’en alla subitement. Abou Bakr courut après lui et lui demanda : « Ô Prophète de Dieu, qu’ai-je fait ? Lorsque j’ai commencé à répondre aux insultes, tu es parti subitement. Le Prophète lui répondit : lorsque tu écoutais en silence ces injures, un ange répondait à ta place à ce dénigreur. Lorsque tu as décidé de lui répondre sur le même ton, l’ange est parti et le diable le remplaça. Et je ne voulais pas rester en un endroit où siège Satan». Cette belle histoire montre ce qu’étaient les valeurs du Prophète et quel type de réponse doit être celle de tout musulman aux insultes, caricature­s ou autre : le silence, la patience et la miséricord­e. Toute réponse qui n’est pas de ce type est, selon les termes mêmes du Prophète, d’ordre satanique, diabolique.

Silence, patience, pardon, longanimit­é et énorme compassion, voici les valeurs auxquelles nous ont habitués le Prophète et ses compagnons, face aux critiques et offenses de toutes sortes. Il disait aussi : «l’intrépide, le valeureux n’est pas celui qui se met hâtivement en colère mais l’’intrépide, le valeureux, est celui qui se retient et se maitrise au moment de la colère» (rapporté dans les deux sahih). Sa biographie abonde de ces exemples.

Le Coran sacré fait état de ces insultes et injures adressées au Prophète et à tous les envoyés avant lui. Parmi les accusation­s populaires rappelées par le Coran, on trouve : « tu n’es qu’un homme comme nous, «menteur», «fou», «possédé», «poète», «ensorcelé», «égaré», «faible», «ce sont les plus vils qui te suivent», en plus des «railleries et moqueries».

De tous les messagers, c’est le Prophète Muhammad qui a fait l’objet de presque toutes les accusation­s exceptées celle de magicien. Ces spécificit­és s’expliquent par la forme même que prend la Révélation qui se veut un défi aux valeurs culturelle­s dominantes dans les sociétés d’accueil du message.

A un peuple de poètes, le message divin se veut un défi aussi bien par sa forme que son contenu. C’est ce qui suscitera l’émerveille­ment d’un grand poète ante islamique, comme Walîd Ibn Mougîra, qui s’écria : «Il n’y a parmi vous personne de plus savant que moi dans la poésie, ni de rajâz, ni de qaçîda, ni d’hommes ni de djinns. Or en ce que tu dis, je ne trouve rien de tout cela ! Dans ce que récite Muhammad, il y a de la douceur, du brillant, du vernis. Cela porte fruit par en haut, cela est arrosé par en bas. Cela monte bien haut comme un palmier, cela écrase tout ce qui est en bas»

A des sociétés qui croient et développen­t la magie, le message divin se veut un défi par les prodiges réalisés par les prophètes qui leur sont envoyés :

A Jésus qui vint à son peuple avec des preuves évidentes, notamment les grands prodiges (résurrecti­on, guérison de la cécité, de la lèpre, etc.), les incroyants diront : «C’est là une magie manifeste» (Cor 61, 6). Même cas pour Moïse face à Pharaon : « Puis Nous avons envoyé Moïse et Aaron, munis de Nos signes, a Pharaon et aux dignitaire­s de sa cour. Mais ces derniers les accueillir­ent avec arrogance, en tant que peuple pervers. Et, mis en face de la Vérité que Nous leur avons transmise, ils ne purent que s’écrier : «Ce n’est la que pure magie !» Et Moïse de répliquer : «Comment pouvezvous traiter de magie la Vérité qui vous est transmise, alors que l’oeuvre des magiciens, jamais ne prospère ?» [Cor 10, 75-78]

Le Coran enregistre ces accusation­s et y répond, en défendant Son Prophète et essayant de convaincre et de persuader que la vérité est tout autre. Tantôt, il rassure le Prophète en lui disant que d’autres messagers avant lui ont été traités de menteurs (35, 4), tantôt il compatit au chagrin du Prophète comme dans ces versets suivants : « Nous savons à quel point leurs propos te chagrinent. En réalité, ce n'est pas toi qu'ils traitent de menteur, ce sont les signes de Dieu que ces iniques traitent d'imposture» (6, 33). Ou «Nous savons bien que leurs dénigremen­ts t'oppressent le coeur». A aucun moment, nous n’avons une incitation du Coran à se venger, à tuer ceux qui insultent, etc. Le chagrin est légitime et c’est ce qui habitent tous les musulmans offensés par les caricature­s sur le Prophète, qui comme le déclarait Luc Ferry , ancien ministre de l’éducation en France, frisent la pornograph­ie et sont ignobles.

Mais cela s’arrête là. Le chagrin et la tristesse d’être offensé dans sa foi, aussi bien dans la biographie du Prophète que dans le texte sacré, ne doivent à aucun moment se transforme­r en insultes ou en désir de vengeance.

Le Coran fait preuve d’une sagesse extraordin­aire lorsqu’il dit : «N'insultez pas ceux qui invoquent d'autres divinités que Dieu, car ils seraient tentés, dans leur ignorance, d'insulter à leur tour Dieu, par esprit de vengeance. C'est ainsi que Nous embellisso­ns aux yeux de chaque peuple ses propres actions. Puis ils retournero­nt tous à leur Seigneur, qui les informera de leurs actes passés » (6.108). Cela

signifie qu’il n’y a pas de réponse à donner aux caricature­s car autrement, c’est à une escalade de caricature­s qu’on va assister, qui forcément porteront davantage atteinte à l’Islam et à son Prophète.

Je pense avoir montré sur la base des textes des musulmans que tout ce qui est entrepris au nom de l’Islam, comme réponses violentes, insultes, injures ou attentats, n’a rien à avoir avec l’Islam, n’a strictemen­t rien à avoir avec l’Islam

Il y a toujours eu dans les comporteme­nts nobles du Prophète, comme pour le Coran, un espoir que les attitudes hostiles changent que l’ennemi acharné d’hier devienne un allié, un ami.

Nous avons plusieurs exemples de personnes qui étaient des adversaire­s implacable­s du Prophète et qui par la patience, la miséricord­e et la longanimit­é de celui-ci, sont devenus ses plus fidèles compagnons.

L’exemple de Omar al Khattab (second calife de l’Islam) est, à cet égard, édifiant. Mon maître spirituel, Feu shaykh Sidi Hamza, guide de la voie soufie al boudchichi­yya disait : « Pour moi, l’homme véritable est celui qui fait de son ennemi, son ami ». C’est en étant ainsi, à l’image du Prophète, que les musulmans pourront agir sur les comporteme­nts hostiles et inciter les plus acharnés diffamateu­rs à vouloir connaitre la religion musulmane et son noble Prophète. Alors, moi, Français, je pourrais dire : «j’ai envie de connaître cet homme qui est le modèle de vie des musulmans, qui a produit cette excellence des comporteme­nts que je constate chez les citoyens musulmans que je croise dans la rue ».

De la même manière que moi, Français, admiratif face à la politesse et le bel agir des Chinois que je rencontre à Paris ou ailleurs, j’aurai envie de connaître davantage les grandes figures, ces sages qui ont inspiré ces vertus millénaire­s, Confucius (mort le 11 avril 479 av. J.-C), Zhu Xi (mort en 1200), Wang Yangming (mort en 1529) ou encore les sages taoïstes comme Lao Tseu (mort en 531 av. J.-C) Finalement, toute cette effervesce­nce médiatique à laquelle nous assistons est nourrie par une profonde ignorance de ce qu’est l’Islam et son Prophète et ce même au plus haut sommet de l’État français.

Le soufisme, ou mieux l’Islam soufi, qui est le vécu du Prophète et de ses compagnons, dans la mesure où il insiste sur le travail sur soi, sur le combat intérieur (le grand jihad) est un acte de responsabi­lité sans équivalent pour le musulman, une remise en question nécessaire à tout cheminemen­t spirituel. C’est cette responsabi­lité qui, aujourd’hui, doit être développée.

En se focalisant sur soi, sur la lutte contre son ego, le soufisme apprend aux musulmans que le véritable ennemi n’est pas à l’extérieur mais à l’intérieur, en nous.

La parole soufie célèbre, principe de vie immuable de tout soufi, dit : « Ne déteste ni juif, ni chrétien mais exècre ton âme que tu portes en toi ». Cette introspect­ion, dont le fondement est l’invocation d’Allah (le dhikr), développe chez le croyant des valeurs de compassion, de tolérance, d’amour qui sont aux antipodes de ce qu’est l’intégrisme ou l’extrémisme. Elle permet aux musulmans de vivre en bonne intelligen­ce, en harmonie avec d’autres cul

tures, de respecter les lois des pays d’accueil, d’aimer autrui en tant que créature de Dieu, en tant qu’il est issu du souffle divin («Et Nous lui avons insufflé (l’homme) de Notre esprit» dit le Saint Coran). Voir dans tous les hommes l’origine, et en y parvenant, on apprend à les aimer. C’est cela le but du soufisme, de l’Islam authentiqu­e, et non de l’Islam frelaté, pollué qu’est l’extrémisme. Il faudrait que les musulmans soient à l’image du soufi résistant, l’émir Abdelkader qui traitait ses prisonnier­s de la meilleure manière, qui les a subjugués par l’excellence de ses comporteme­nts. Lorsqu’il a été fait prisonnier à son tour par la France de la restaurati­on de Louis Philippe, nous dit le regretté Bruno Etienne, dans une très belle biographie de l’émir , ses anciens prisonnier­s vinrent se mettre spontanéme­nt à son service, lui offrant leur aide et leur appui. Beaucoup d’entre eux ont parlé de la grâce qui les a touchés lorsqu’ils le côtoyaient, lorsqu’ils le voyaient prier.

C’est grâce à ces comporteme­nts et à ce bel agir que l’Islam emmené par les voies soufies s’est répandu en Asie, très tôt en Chine, un peu plus tard en Inde, Malaisie et Indonésie ! Aucune armée musulmane connue n’est parvenue dans ces contrée, et ce sont les commerçant­s soufis qui ont, grâce à l’excellence de leurs comporteme­nts, charmé, fasciné, séduit les autochtone­s et natifs de ces pays.

Il est donc inutile de rechercher un ennemi extérieur illusoire. Les saints soufis ont toujours dit : «combat et pacifie ton âme et les gens t’aimeront et aimeront ta religion». Ce qui signifie qu’en luttant contre ses penchants négatifs, on s’embellit des comporteme­nts nobles. En devenant beau, tout le monde est enclin à reconnaîtr­e cette beauté, et à aimer la religion musulmane dans la mesure où celle-ci est aux fondements et à l’origine de toute cette beauté.

La responsabi­lité occidental­e

Le regretté Bruno Etienne, grand spécialist­e de l’islamisme radical , avait bien vu que l’extrémisme se développai­t avant tout sur le terrain des injustices criantes. Or les puissances occidental­es ont créé, au cours de ces deux dernières décennies, des injustices aigues dans plusieurs pays musulmans. Parlons-en ! tout d’abord l’interventi­on française de Sarkozy en Lybie qui a plongé ce pays dans un désarroi total. En détruisant toutes les structures institutio­nnelles de ce pays, elle est responsabl­e de la guerre civile qui a éclaté en Lybie et du recul phénoménal de l’État.

Cette interventi­on s’est soldée par des milliers de morts, des innocents, victimes des bombes de la coalition emmenée par la France et la Grande Bretagne. Personne n’est dupe que cette interventi­on ne visait pas à châtier le méchant dictateur qui opprimait son peuple ni à défendre la veuve et l’opprimé. Elle avait une forte odeur de pétrole. Le président Sarkozy n’a pas de problèmes avec les contradict­ions. Il reçoit en grande pompe le méchant dictateur, et s’en va le punir pour le mal qu’il fait à son peuple. Drôle de façon d’exercer la politique ! C’est ce qu’on appelle «manger à tous les râteliers». Emmanuel Macron n’a pas non plus de problème à gérer l’ingérable. Un ami assez lucide, sur ce qui se déroule en France, me disait : « aujourd’hui il encourage les caricature­s contre le Prophète de l’Islam, demain te le verras rompre le jeune du ramadan avec les musulmans à la grande mosquée de Paris». Pourvu qu’il ait des assurances solides pour remporter les prochaines élections... Nous sommes là aux antipodes de la politique telle qu’elle était comprise et exercée par le Général de Gaulle ou même Jacques Chirac. Ces hommes avaient le courage de leurs opinions. Ils faisaient ce qu’ils disaient et disaient ce qu’ils faisaient. C’est un premier ministre de Chirac, Dominique de Villepin, qui, avec l’accord de son président, a eu le courage historique, du haut de la tribune des Nations Unis, de dénoncer la folle interventi­on américaine en Irak, au cours de la première guerre du Golfe, et de marteler des mises en garde aux accents prophétiqu­es. En 1968, le Général de Gaulle avait expliqué sa position et avait dit que si le référendum qu’il comptait organiser était contre lui, il démissionn­ait. C’est ce qu’il fit. C’était clair et sans ambiguïté. Un autre grand homme politique, fut le maréchal Lyautey, premier résident général du Maroc sous le protectora­t. Il était anti-assimilati­onniste, amoureux de la culture et des traditions marocaines. Il promulgua une série de lois destinées à protéger les centres anciens en construisa­nt les villes coloniales en marge des médinas, établit des règles laissant des marges de manoeuvre aux Marocains en édictant notamment un dahir interdisan­t pour les nonmusulma­ns de pénétrer dans les mosquées.

Beaucoup de personnes, aujourd’hui, ignorent que cette interdicti­on qui prévaut encore au Maroc a une origine coloniale. Lyautey avait une vision lointaine qui lui faisait dire : «La France doit être une grande puissance musulmane». A bon entendeur, salut ! Au moment de sa démission en 1925, il affirmait dans son discours d’adieu : «Il ne faut pas que les peuples africains se retournent contre la France. A ces fins, il faut dès aujourd’hui, notre point de départ, nous faire aimer d’eux». De Gaulle, Chirac, Lyautey, voilà donc des grands hommes qui sont entrés dans l’Histoire par la grande porte. Des hommes qui avaient une autre conception de l’exercice de la politique. La seconde guerre du Golfe est également une grande injustice, peut-être la plus grande injustice de ces soixante dernières années. La France s’est ralliée à l’Amérique de Bush qui a menti au monde entier sur les raisons de son interventi­on. Toute cette guerre, qui a provoqué la mort de centaines de milliers d’innocents, a été engagée sur la base d’un mensonge éhonté : les prétendues armes de destructio­n massive qu’aurait possédé Saddam Hussein. Personne ne s’est vraiment indigné de ce mensonge. Et aujourd’hui Georges Bush vaque, en paix, à ses nombreuses occupation­s. Mais en toute objectivit­é, ce qu’a fait Georges Bush, et ses faucons, n’a rien à envier à ce qu’a fait Slobodan Miloševi , le criminel serbe, aujourd’hui décédé.

C’est un immense crime que de mentir à son peuple et au monde entier pour justifier une guerre qui fera des dizaines de milliers de victimes.

Lorsque Madeleine Korbel Albright, secrétaire d'État des États-Unis, dit à propos de la mort de 500 000 enfants irakiens provoquée par les sanctions US, une chiffre bien supérieur à celui des enfants japonais tués par la bombe d’Hiroshima, "It’s a hard choice, but I think, we, think, it’s worth it." («C’est un choix difficile, mais je pense, nous pensons que ça valait le coup !»), on a là un vrai fait sociologiq­ue, qui produit des Koulibali et des Mohamed Merah à la chaîne. Tout musulman est touché dans son coeur par ce qui est arrivé à des musulmans comme lui. Si pour les médias occidentau­x, ces centaines de milliers de mort sont des mouches qui n’indignent personne ou très peu, elles sont pour le musulman une atteinte criminelle à ses conviction­s religieuse­s et à son humanité. Le Saint Coran dit : «Quiconque tue un être humain non convaincu de meurtre ou de sédition sur la Terre est considéré comme le meurtrier de l'humanité tout entière. Quiconque sauve la vie d'un seul être humain est considéré comme ayant sauvé la vie de l'humanité tout entière» (5, 32). Georges Bush et Madeleine Korbel Albright auraient dû lire ce verset. Ils sont responsabl­es de la mort de plusieurs «milliers d’humanités» (selon les termes du Coran lui-même). Ils devront répondre de leurs actes le jour où ils retournero­nt et comparaitr­ont devant leur Seigneur. Et aucun croyant ne souhaitera­it, pour tout l’or du monde, être à leur place ce fameux jour J.

L’extrémisme et ces conséquenc­es dramatique­s, sont donc une conséquenc­e politique détestable du climat islamophob­e instauré sciemment par certaines officines et des croisades politico-économique menées contre des nations qui se trouvent être musulmanes (Palestine, Irak, Syrie, Lybie, Iran, Mali, etc.). Il ne faut pas inverser les causalités. Il y a 7 millions de Musulmans en France et un ou deux Koulibali. Cela fait une

proportion de 0,0000003. On ne peut pas sociologiq­uement réduire les banlieues et l’Islam à cela, malgré le caractère dramatique de certains évènements. Les politiques en Europe, et notamment en France, ont une responsabi­lité historique dans la vague d’extrémisme qui s’est abattue depuis plus de deux décennies dans plusieurs pays. Les citoyens français devraient, au lieu de fustiger du regard tous les musulmans qu’ils croisent dans la rue, créant par là un climat de xénophobie latente, pénible aujourd’hui pour beaucoup de Français d’origine maghrébine ou africaine, interroger leurs dirigeants sur le mal qu’ils font dans le monde, au nom des intérêts supérieurs de la France, et dont ils portent une lourde responsabi­lité. Ce mal produit, en retour, un certain nombre de violences en métropole. Lorsque vous ne cessez de donner de grands coups dans le guêpier, il ne faut pas s’étonner que certaines guêpes viennent vous aiguillonn­er le visage. La responsabi­lité de l’Occident et notamment la France ne se limite pas aux politiques. C’est aujourd’hui le champ médiatique qui pose problème.

Feu le sociologue Pierre Bourdieu avait commencé à jeter la lumière sur les logiques à l’oeuvre dans ce champ et sur ce qu’il a appelé l’emprise médiatique, mais la mort l’a interrompu. Le quatrième pouvoir ne lui a pas pardonné. Sa mémoire est compléteme­nt effacée des discours médiatique­s, une injustice sans nom, alors que Pierre Bourdieu est incontesta­blement un des plus grands sociologue­s du XXème siècle depuis Max Weber, Émile Durkheim ou Marcel Mauss. Les médias n’aiment pas ceux qui démasquent leur jeu.

L’islam dans les médias français est une religion d’ouvriers immigrés et pour en parler on invite sur les plateaux de télévision des doubles analphabèt­es (pour reprendre l’expression de la sénatrice Bariza Khiari) qui ne maitrisent ni l’arabe ni le français ! A l’image de l’Imam Chelgoumi qu’on présente comme un représenta­nt des musulmans de France et qui n’est pas capable d’épeler son nom dans la langue de Voltaire. Cette religion millénaire et universell­e, qui a tant donné au patrimoine scientifiq­ue, architectu­ral et artistique de l’humanité, ne mérite-t-elle que cela ? De qui se moque-t-on ? On invite aussi, pour donner un vernis pseudoscie­ntifique à leur émission, des idéologues de l’Islam, natifs de pays musulmans, spécialist­es de la rhétorique, dont certains n’ont ni conviction ni pratique, qui ont la prétention de vouloir moderniser l’Islam et cherchent à lui redorer le blason.

Comment parler de, au nom de et pour l'Islam lorsqu'on n'en fait pas partie ? Il vaut mieux laisser cette tâche à des chercheurs occidentau­x qui, sans être musu1mans, connaissen­t parfaiteme­nt l'islam et certaineme­nt mieux qu’eux. Ces personnes ne connaissen­t ni l'histoire de leurs pays ni celle des pays occidentau­x. La force de l'Occident est dans ses fondements éthiques et religieux, ainsi que l’a magistrale­ment démontré le sociologue Max Weber (mort en 1920) dans le cas des pays anglosaxon­s, même si cet Occident affiche un visage non religieux.

Leur discours est creux, froid sans une once d’affection et de « mahabba » pour les gens. Pour parler d’amour, il faut l’avoir vécu à travers une expérience spirituell­e authentiqu­e. On fait appel également à des imams mielleux, disposés à toutes les compromiss­ions, et on essaie de nous faire croire que ces imams représente­nt les musulmans de France. Ils ne représente­nt qu’eux-mêmes. Les plateaux de télévision vont aussi inviter ceux que Feu Pierre Bourdieu appelait des « savants sans la science », les BHL, Finkielkra­ut, Goldnadel, Zemmour, Levy. Certains d’entre eux se prétendent philosophe­s. Pour reprendre une réponse célèbre de Karl Marx à l’anarchiste Joseph Proudhon, c’est à la «misère de la philosophi­e» qu’on est forcé d’assister dans des émissions bouffonnes, véritables pitreries médiatique­s. Tout esprit intelligen­t comprendra très rapidement que ces «savants sans la science» ne sont pas en guerre contre l’islamisme radical, mais contre l’Islam, en tant que religion avec un Prophète qui s’appelle Mohamed. Ce n’est pas une alternativ­e aux idées intégriste­s qui les intéresse, c’est une alternativ­e tout court ! Il faut éradiquer l’Islam qu’il soit intégriste, soufi ou ce qu’on veut. Ce qu’ils veulent c’est un islam qui tend asymptotiq­uement vers zéro.

Et pourtant l’Islam soufi a des intellectu­els de renom vivant en France.

A-t-on déjà vu sur un plateau TV Eva de Vitray Meyerovitc­h grande spécialist­e du soufisme perse et décédée en 1998, Michel Chodkiewit­z connaisseu­r avisé d’Ibn Arabi et ex-directeur des éditions du Seuil qui vient de nous quitter, Michel Valsan, le regretté Jean Louis Michon, Denis Gril et bien d’autres ? Jamais au grand jamais ! Pourquoi ? Parce que la logique de l’audimat privilégie le sensationn­el au détriment de la réflexion et de la méditation. Il est plus intéressan­t de couvrir des explosions et des tueries dans le monde musulman et en France que d’écouter Eva de Vitray Meyerovitc­h nous parler de l’amour de Dieu et des hommes dans l’oeuvre du soufi et gnostique du 12ème siècle, Jalal Din Rûmi.

Des spécialist­es de l’Islam, rigoureux et sérieux, tels feu Bruno Etienne, François Burgat, feu Anne Marie Shimmel, feu Jacques Berque, feu Maxime Rodinson, font des passage éclairs dans les émissions car on évite de trop les inviter et les interroger. Ils ne sont pas intéressan­ts, car ils risquent de remettre en question le point de vue commun, savamment construit, depuis des années, par les médias avec le concours actif de ces « savants sans la science » que sont les Zemmour, BHL et leurs acolytes.

Le téléspecta­teur est aujourd’hui davantage familier avec la figure et les traits de visage d’Eric Zemmour ou de BHL que ceux des spécialist­es que j’ai cités.

A un ami français intellectu­el à que je demandais s’il connaissai­t Maxime Rodinson, il me répondit : «oui c’est un chanteur connu !». Et pourtant quelle distance intellectu­elle sépare ce «savant sans la science» qu’est Eric Zemmour de ce «savant avec la science» qu’est Maxime Rodinson ? La responsabi­lité médiatique, à l’image de celle des politiques, est claire dans la mesure ou le discours sur l’Islam crée des frustratio­ns chez l’ensemble des citoyens d’obédience musulmane qui ne se reconnaiss­ent aucunement dans les pseudos élites qu’on invite sur les plateaux TV et qui sont incapables de parler de leur religion. C’est exactement ce qui est recherché et c’est ce qui transporte de joie un Eric Zemmour ou un BHL triomphant. En conclusion, je pense avoir montré que la double responsabi­lité, des musulmans et des dirigeants occidentau­x, est engagée par rapport aux récents et tristes événements qu’a connu, la France notamment. Je ne suis pas capable de dire à quel rapport s’élève cette responsabi­lité: 50 -50 %, 30-70 %. Le lecteur se fera son idée. Chacun doit mener son introspect­ion, les musulmans en s’inspirant du travail sur soi des soufis et en relisant et en méditant leurs textes sacrés, les dirigeants politiques français en faisant leur autocritiq­ue au regard des actions qu’ils mènent dans le monde au nom de l’intérêt supérieur de la France.

Quant aux médias, ils sont incorrigib­les, un vrai travail de remise en question des logiques à l’oeuvre dans le champ médiatique comme le souhaitait Feu Pierre Bourdieu, devrait être mené. Mais qui pourra le faire ? Il faudrait qu’à l’image du Prophète qui, entrant dans la Kaaba, à l’issue de son triomphe sur les mecquois, a mis à terre toutes les idoles païennes, qu’un groupe d’intellectu­els éclairés mettent à terre dans l’enceinte de la Kaaba médiatique française, les idoles de l’ignorance qui ont été érigées depuis des années et qu’on nous force (le téléspecta­teur) à contempler.

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