Le secteur de la pêche, de fortes lacunes qui brident ses potentialités
La Direction des Etudes et Prévisions Financières (DEPF) du ministère de l’Economie et des Finances a publié cette semaine une étude riche en enseignements sur le secteur de la pêche et de l’aquaculture au Maroc, ses forces, ses faiblesses, et ses perspectives de développement.
Le fil moteur de cette étude est le déséquilibre entre l’importance du secteur et sa faible contribution ay développement socio-économique du Royaume. En effet, la production halieutique contribue peu à la croissance (17,3 MMDH de valeur ajoutée en 2019, soit 1,7% de la VA nationale), mais génère d’importantes devises (environ 22 MMDH) car majoritairement exportateur, contribue aux échanges extérieurs (avec une part de près de 45% des exportations agroalimentaires) et assure près de 700.000 emplois directs et indirects. De plus, le Maroc occupe, selon le dernier rapport de la FAO, la 1ère place en matière de pêche de poissons et de fruits de mer au niveau arabe et africain et le 17ème rang mondial en termes de richesses halieutiques, explique la DEPF. Et le Royaume est classé premier producteur et exportateur mondial de la sardine et fait partie des trois plus importants exportateurs de poulpes aux côtés de la Mauritanie et de la Chine.
Un secteur peu intégré
Une des premières pistes d’amélioration relevées par la DEPF est la nécessité d’améliorer le linkage (la densité des interactions sectorielles) de la branche avec les autres secteurs porteurs de l’économie marocaine. Ce linkage est faible en amont, et de tendance baissière (le secteur est classé 19ème sur ce critère en 2018, contre 11ème en 2000). En aval, il est encore plus faible. Selon la DEPF, cela démontre la faible connectivité de la branche pêche et aquaculture en aval et donc un besoin de renforcement de la valorisation de la production halieutique. Il faut toutefois relever que l’importance du secteur réside dans son rôle d’approvisionnement de la branche la plus connectée de l’économie marocaine, à savoir la branche des industries alimentaires et plus spécifiquement de l’industrie de poisson.
L’étude préconise également une optimisation de la chaîne de valeur du secteur halieutique. En effet, la DEPF a remar
qué que si la marque Maroc, pour les produits de la mer, est très reconnue à l’international, de nombreux obstacles entravent le fonctionnement fluide de sa chaîne de valeur. Le manque de modernité de l’outil d’extraction provoque régulièrement des blocages d’approvisionnement de l’industrie du poisson, et s’y rajoutent la mauvaise qualité des infrastructures portuaires et la faible performance de la chaîne du froid. De plus, 57% des captures ne sont pas transformés, et le Royaume continue d’importer farine et huile de poisson (et même des anchois ces dernières années !). Au niveau commercial également, la DEPF note une mauvaise maîtrise de la chaîne du froid, et des défaillances de traçabilité. Et si les Marocains consomment nettement moins de poisson que la moyenne mondiale, cela viendrait, en plus d’une tradition de viande rouge, des prix élevés venant du grand nombre d’intermédiaires. L’offre nationale pêche également au niveau de la quantité et de la qualité…
La DEPF recommande aussi de diversifier les marchés de destinations, car la très grande majorité des exportations va vers l’Europe, et l’Espagne en particulier, ainsi qu’à moindre mesure vers l’Afrique. Les marchés américains et asiatiques sont délaissés, alors que ce sont les plus grands importateurs mondiaux. La modernisation du secteur faciliterait l’export vers ces destinations. En somme, explique les analystes, de multiples opportunités de développement du secteur des pêches s’offrent au Maroc dans un contexte mondial caractérisé par une demande en produits de la mer en pleine croissance. De même, la richesse du patrimoine culinaire marocain, les possibilités de synergie avec d’autres industries constituent un atout fondamental et un avantage certain pour développer de nouveaux produits compétitifs. En effet, il existe de nombreuses possibilités de synergie entre les industries des produits de la mer et les industries agroalimentaire, pharmaceutique, parachimique et chimique pour la conception de nouveaux produits et la valorisation des déchets.
Si la crise sanitaire a plus faiblement impacté la pêche que d’autres secteurs, la forte présence de l’informel a mis en évidence, selon la DEPF, «la vulnérabilité de la population de la pêche artisanale et le faible niveau d’instruction et de qualification de la main-d’oeuvre féminine au niveau des industries de transformation des produits de la mer avec un accès limité aux facteurs de production».
Des recommandations concrètes
L’étude se conclut par une série de recommandations qui aideraient à dynamiser un secteur dont le potentiel, pour les années à venir, est extrêmement prometteur. La première est de développer des projets innovants pour mieux valoriser les produits, l’augmentation des captures n’étant pas une solution, sous peine de se retrouver face à l’amenuisement des ressources, comme dans les années 80. Ensuite, la DEPF recommande d’investir dans la formation pour une industrie plus innovante et compétitive. Elle préconise également de promouvoir l’investissement dans le secteur à travers une stratégie volontariste. En effet, si les dépenses de fonctionnement augmentent d’année en année, celles d’investissement stagnent et ne peuvent permettre de moderniser le secteur. Par exemple, la DEPF juge opportun de concevoir, dans le cadre du Programme “Intelaka”, un plan d’action spécifique aux porteurs de projets et entreprises opérant dans ce secteur, combinant à la fois une offre de financement et d’accompagnement. Concernant la gouvernance du secteur, qui est très éparpillée en ce moment, elle soulève la nécessité d’élaborer une stratégie transversale devenue pressante face à la multiplication et le chevauchement des stratégies maritimes. Enfin, elle recommande d’inciter à l’utilisation des circuits formels, et de veiller à l’amélioration de la consommation intérieure du poisson.
Le Maroc dispose de tous les atouts nécessaires pour développer une vraie industrie de la pêche moderne, inclusive et compétitive, il serait dommage de s’en priver…