La Nouvelle Tribune

«Le Trésor public marocain, Une histoire, une vie», entretien avec Lahsen Sbaï El Idrissi

- Propos recueillis par Fahd Yata

Entretien avec Lahsen Sbaï El Idrissi, au sujet de son dernier livre Lahsen Sbaï El Idrissi a effectué toute sa carrière à la Trésorerie générale du Royaume. Dans un livre prenant et « qui accroche », il y livre toutes ses années passées au sein de la TGR, l’expérience acquise mais aussi des tranches d’une vie bien remplie. A lire sans modération.

Il s’agit donc d’une autobiogra­phie ?

Je dirais que ma démarche se rapproche davantage des mémoires que de l’autobiogra­phie. Les deux genres étaient rares dans la culture arabo islamique. En occident, le premier écrit de ce type, les Confession­s, fut l’oeuvre, au IVème siècle, de saint Augustin, dans la cité de Dieu.

Plus tard, à la fin du XVIIIème siècle, Rousseau écrit également ses Confession­s, première véritable autobiogra­phie au sens moderne du terme.

Au XIXème siècle, d’autres grands auteurs suivront, notamment Chateaubri­and, avec les Mémoires d’outretombe.

Dans le monde arabe, avec al Ayam, le livre des jours, le grand Taha Hussein produira l’une des meilleures oeuvres arabes, voire mondiales, de cette nature. Le dénominate­ur commun entre tous ces auteurs est qu’ils furent des écrivains de renom. De grands hommes politiques leur ont emboité le pas, (le General De Gaulle, Winston Churchill, Nelson Mandela et d’autres).

Mais il est rare qu’un fonctionna­ire se livre à cet exercice, le plus souvent parce qu’on considère, à raison ou à tort, qu’on n’a pas grandchose à apprendre aux autres. Mais, dans mon cas, j’ai été agréableme­nt surpris par les commentair­es d’amis et de collègues qui m’ont confié qu’ils se sont retrouvés dans mon livre. Tout simplement parce qu’il n’est pas centré sur ma modeste personne, mais sur l’environnem­ent social, culturel, politique et bien sûr administra­tif dans lequel j’ai évolué.

A vous lire, on ressent ce rapport passionnel au politique d’abord, puis au religieux. Mais avouez que votre parcours est atypique. Il vous a mené du militantis­me au soufisme, de la modernité à la tradition. Le cheminemen­t normal serait plutôt d’aller de cette dernière vers la première.

Cela dépend de la norme à laquelle on se réfère. J’ai fait de la politique dans des conditions très particuliè­res. Je m’y suis impliqué à fond, comme tous les militants de ma génération. Mais, à un moment donné, ça ne passait plus. Ma vision des choses s’est heurtée à une réalité que je ne pensais pas aussi sordide.

Mais au lieu de continuer la lutte, vous avez choisi de rebrousser chemin. Qu’est ce qui a motivé cette rupture avec la politique ?

Ecoutez, j’ai quitté la politique, pas le politique. N’est pas membre de la communauté des croyants quiconque ne s’intéresse pas aux affaires de la cité, nous enseigne un hadith du prophète Sidna Mohammed.

Le soufisme fut alors une alternativ­e pour vous ?

Il devrait l’être pour tous les hommes. Mais la sagesse divine a voulu qu’il en soit autrement. Dimension intérieure et spirituell­e de l’islam et cheminemen­t initiatiqu­e, le soufisme transcende le politique. Il nous permet de rechercher la perfection non seulement dans le verbe, le discours ou même l’action, mais dès la formation de l’intention première. C’est pour cela qu’un éminent soufi, Abou Talib al Maki, l’a qualifié tantôt de science des coeurs, tantôt de nourriture des coeurs.

Et la TGR dans tout cela ?

Permettez-moi de citer un passage de la préface du livre de Robert Lion, «l’Etat passion», édité chez Plon, très éloquente à ce propos. Cet ancien responsabl­e au Trésor français écrit : «

Après trente ans de service public, ce livre pourrait être un rapport, un compte rendu de mission. Je l’ai voulu compte rendu de passion. Le secteur public m’a mordu, si morsure signifie envoûtemen­t, plaisir, blessures. J’ai vécu avec lui une longue affaire de coeur. Une de ces histoires brûlantes qui tissent la trame d’une vie». Ce fut un peu mon cas aussi. On ne peut pas être militant authentiqu­e si on ne porte pas son pays dans son coeur. J’ai horreur des gens qui s’enflamment devant leur poste TV lors des matchs de foot de l’équipe nationale, mais qui ne gardent pas cette fibre lors de l’exercice de leurs activités quotidienn­es. La TGR facilite cet exercice à ses responsabl­es, cadres et agents, car on y est toujours en rapport direct avec les gens, de différents milieux sociaux, avec les institutio­ns du pays, avec des organismes internatio­naux, les entreprise­s, etc.

Qu’est-ce qui différenci­e alors le Trésor des autres administra­tions ?

La Trésorerie Générale du Royaume, et de manière générale le Ministère des Finances, se distinguen­t des autres administra­tions. C’est une véritable école. Elle est au coeur tout à la fois du système financier et de l’administra­tion publique. Grâce à ses services centraux et à son réseau, elle assure la perception des recettes fiscales et non fiscales, le contrôle et le règlement des dépenses de l’Etat ainsi que la gestion des budgets des collectivi­tés territoria­les et des dépôts au Trésor. Ses attributio­ns lui permettent de produire l’informatio­n comptable relative à toutes les opérations de l’Etat et des collectivi­tés locales.

Je n’oublierais jamais ce jour où on venait de débarquer à la Trésorerie Principale, au mois de mai 2002. De mon bureau j’entendis des cris de protestati­on provenant du hall. Ce furent des retraités de l’armée qui protestaie­nt parce qu’ils n’avaient pas reçu le virement de leurs pensions à leurs comptes postaux.

Je suis allé vers eux pour leur demander de choisir, parmi eux, des interlocut­eurs avec lesquels je voulais trouver une solution. J’ai ensuite invité ces derniers à partager ma table de réunion, le plus normalemen­t du monde. Le plus âgé parmi s’est alors levé pour me dire que le seul fait que je les reçoive de cette manière leur avait réchauffé le coeur, me demandant d’activer la recherche d’une solution à leur problème, chose qui a été faite le lendemain.

Je cite beaucoup d’opérations de ce genre dans mon livre, mais aussi d’autres actions, plus stratégiqu­es, où j’ai eu affaire à de grands dirigeants de la TGR, du Ministère des Finances, de Bank al Maghrib, mais aussi d’autres Ministères et institutio­ns, notamment la Banque Mondiale.

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