Ex-nihilo ou ex-fidus, la fabrique de la monnaie revisitée
La stabilité des prix, n’est-ce pas là l’essence de la politique monétaire mise en oeuvre par la banque centrale. Qu’à cela ne tienne, la politique monétaire est là pour être contra-cyclique et le spectre de la récession est le pire des maux. Ni la reconfiguration des contreparties de la monnaie, ni le risque de convertibilité qui s’en suit ne doivent détourner l’attention des autorités monétaires de l’enjeu majeur, la stabilité macroéconomique. Du moins, c’est ce que les adeptes de la planche à billets paraissent comprendre et s’évertuent de nous le faire comprendre.
Il n’est pas lieu ici de déconstruire ce discours simple et candide, et qui s’appuie sur l’analogie avec la banque centrale étatsunienne. Encore faut-il rappeler que le dollar américain diffère substantiellement des autres monnaies. Au vu du poids géopolitique de son émetteur et de la convertibilité incontestable dont il jouit de par le monde, le dollar se tient au plus haut rang de la hiérarchie fiduciaire et se veut être une créance transcendantale (In God We Trust). Quand bien même le Dollar demeure une monnaie-créance libérée de tout asservissement aux contreparties de sa création, la Fed n’oserait jamais en créer plus qu’il le faut.
Tout compte fait, l’accroissement de la masse monétaire par la planche à billets est une reconfiguration patente des contreparties de la monnaie et une détérioration latente de sa qualité. Parallèlement à une telle modalité de création de la monnaie, et en vue d’en assurer la contrepartie, les créances sur l’intérieur vont devoir compenser les créances sur l’extérieur au niveau du bilan agrégé du secteur bancaire. Conformément au principe de la partie double, au passif monétaire des institutions de dépôt, correspondra un actif de plus en plus dominé par les créances sur le secteur privé et sur le gouvernement.
La qualité de la monnaie s’en trouve dégradée, et ce, à double égard. D’abord, cette monnaie faite de confiance en soi est coupable du déni de l’autre. Dans un pays à balance commerciale structurellement déficitaire, la monnaie ainsi créée finira entre les mains d’importateurs qui demanderont à la convertir auprès d’un système bancaire dont le bilan agrégé ne contient que peu de créances sur l’extérieur (Réserves de changes et autres avoirs extérieurs). Le pouvoir d’achat qui en résulte ne peut guère s’étendre au-delà des frontières du pays en question. Il demeure un pouvoir d’achat domestique servant à consommer les biens et les services non échangeables pour, in fine, consumer la balance commerciale. L’intimité de ce pouvoir d’achat, créé par soi-même et pour soi-même, se heurte au regard intimidant de l’autre, qui n’y croit point. Ensuite, cette monnaie est générée en contrepartie de créances dont le remboursement est tout au mieux probable. Les débiteurs instigateurs de cette monnaie, agents des secteurs privé et public, peuvent s’avérer douteux et indignes de confiance, ou systémiquement incapables d’honorer leurs engagements. De ce fait, et eu égard à la fragilité de ses contreparties, auxquelles on ne peut se fier que très peu, la monnaie ainsi créée est de moins en moins fiable, de moins en moins «fiduciaire». Par ailleurs, si ce lien social qu’est la monnaie tire sa consistance de la souveraineté de l’État émetteur, il n’en demeure pas moins qu’une monnaie affaiblie ne peut que décrédibiliser l’État et, par incidence, fragiliser sa souveraineté.
Vanter opiniâtrement et à coup de synonymes les mérites de cette possibilité dont la banque centrale aurait été dépossédée, en l’occurrence la planche à billets, c’est perdre son latin à vouloir lire le fait macroéconomique à la faveur des équilibres partiels. C’est sans doute se cantonner au mode de la pensée unique et cautionner l’idée chaplinesque d’une économie autarcique et cloisonnée. À bonne école, la confiance en soi passe par l’estime de l’autre. Déclencher de manière ignorée et ignorante une quelconque planche à billets, c’est se replier sur soi-même dans un monde globalisé et globalisant. C’est virer vers l’excès de confiance, nourrir un sentiment de supériorité et oublier que nous sommes dans la sollicitude de l’autre. C’est livrer le récit tragique d’une économie où tout est permis et se livrer, in fine, à la solitude. Somme toute, l’idée de la planche à billets renvoie à une création de la monnaie ex-nihilo et c’est là où le bât blesse, car, à y penser, la création monétaire est toujours et partout «ex-fidus».