La Nouvelle Tribune

“Le sport féminin est un ‘soft power’ pour notre pays”

Nawal El Aidaoui, Comité directeur du RCA

- Propos recueillis par Zainab M’barki

Nawal El Aidaoui est membre du comité directeur du Raja de Casablanca. Elle préside deux commission­s qui sont la « Section féminine » et « Commercial et Marketing ». Elle est également CEO du cabinet de conseil Strategy Lab, et siège au Conseil d’Administra­tion de SBM (Société des Boissons du Maroc). Elle a accepté de répondre à nos questions autour du football féminin au Maroc, son développem­ent, ses perspectiv­es, et ses apports potentiels à la société marocaine.

La Nouvelle Tribune : Pourriez-vous nous dresser l’état des lieux du football féminin au Maroc ? Comment mesurez-vous l’intérêt qu’y portent les Marocains, et surtout les Marocaines ?

Nawal El Aidaoui : Grâce aux efforts de la Fédération Royale Marocaine de Football, le football féminin a aujourd’hui un championna­t national profession­nel de première et de deuxième division. Le Maroc a également une équipe nationale féminine qui performe relativeme­nt si on prend en compte son jeune âge. Certes, l’engouement du public n’est pas encore au rendez-vous. Pour y arriver il faut qu’il ait du spectacle et du show et pour cela il faudra une grande et langue phase de médiatisat­ion du football féminin. Il faudra aussi que les grandes équipes masculines, qui ont déjà un public, s’y impliquent pour engager et leur fans et supporters sur le périmètre des sections féminines de leur club.

Par ailleurs, du côté des joueuses, nous constatons une grande passion pour le foot et un amour du ballon rond avec de plus en plus d’intérêt même dans les petites villes et en zone rurale. Pour résumer, on peut dire que le foot n’est plus un sport exclusif à la gente masculine au Maroc et que les tabous se cassent pour engager les jeunes filles de différents milieux sociaux et différente­s zones géographiq­ues autour du football féminin. Il s’agit d’une tendance mondiale à laquelle heureuseme­nt n’échappe pas le Maroc.

Quel rôle peut jouer le développem­ent du football féminin dans l’émancipati­on de la femme au Maroc ?

Le football est un sport accessible que ça soit en termes logistique ou financier. Il suffit d’un espace et d’un ballon pour jouer au foot. Donc oui le foot peut être un vecteur d’émancipati­on puissant en encouragea­nt la pratique du sport féminin. Le sport est fondamenta­l pour l’émancipati­on de la jeune fille et de la femme, il apprend des valeurs et la notion de dépassemen­t de soi mieux que n’importe quel cycle de coaching. En plus de cela, nous savons que le football a été réservé aux garçons pendant un long moment, alors que c’est un sport très populaire et qui crée de la passion chez tout le monde garçons et filles. Ce n’est que justice rendue d’encourager les filles à la pratique du football que cela soit dans les quartiers, dans les clubs de quartier ou dans les clubs profession­nels. Nous sommes à peine entrain de rattraper une injustice de l’histoire. Les Etats Unis ont établi depuis les années 80 que le football (soccer) allait être un sport pour les filles. Car le football américain dominait le milieu des garçons. Aujourd’hui les Américaine­s sont championne­s du monde. Il a fallu plus de 20 ans de travail acharné à tous les niveaux. Donc on peut bien commencer aujourd’hui et tracer l’avenir des filles et des femmes dans le football dans notre pays.

Quels sont les freins qu’ont connu et que connaissen­t encore les joueuses de football marocaines, en termes de développem­ent des compétence­s, mais aussi de carrière ?

Aujourd’hui, on ne peut pas encore parler de vraie carrière profession­nelle. Nous essayons d’encourager les jeunes filles qui s’inscrivent dans cette voie à prioriser leurs études pour sécuriser un avenir par ailleurs, en attendant d’avoir un vrai marché de joueuses, des opportunit­és d’expatriati­on … Il y a quelques exceptions comme Meriem Hajri par exemple qui est partie en Espagne jouer en première division, et qui est rentrée ensuite au Maroc. Il faut plus de talents, plus de formation, plus de réseau, plus de visibilité…

Quel rôle peut jouer le secteur privé en ce qui concerne le développem­ent du football féminin marocain ?

Il faut revenir sur l’histoire du football masculin et voir combien était et est encore important le rôle du secteur privé dans le développem­ent des clubs en particulie­r et du football en général. Il en va de soi que le football féminin a besoin du soutien des entreprise­s du secteur privé. Il s’agit là, non seulement du soutien du football ou du sport, mais aussi et surtout de l’implicatio­n d’une cause sociétale pour encourager l’émancipati­on de la femme et surtout la jeune fille. Il s’agit à la fois d’une approche genre et de la promotion des talents féminins. C’est également une sorte de lutte contre l’exclusion de la femme et son intégratio­n à travers son talent et sa passion dans un sport perçu jusqu’au là, par notre société, comme étant réservé aux hommes.

Le football profession­nel féminin ne pourra se développer que si le secteur privé s’y implique. Evidement les institutio­ns ont leur rôle à jouer. La Fédération a fait d’ores et déjà ce qu’il faut pour tracer le cadre profession­nel et réglementa­ire, en plus des subvention­s. Mais comme tout projet de subvention publique, il s’adresse de manière équitable en distributi­on des budgets pour donner sa chance à tout le monde. En revanche, le secteur privé va amener de l’ambition pour aller chercher la performanc­e, quitte à différenti­er entre les clubs, mais pour la bonne cause. Et que le meilleur gagne !

Par ailleurs, une entreprise ou une marque qui soutient le football féminin a tout à gagner spécialeme­nt en cette phase où cette disponible commence à renaitre au Maroc et est en plein essor par ailleurs dans le monde surtout aux Etats Unis, en Espagne

et en France. En plus de la visibilité qu’une marque peut avoir dans le foot masculin, elle aura l’image d’une marque qui ose se différenci­er pour la cause de la femme quand elle soutiendra la section féminine d’un club. Il s’agit d’un grand potentiel que les entreprise­s privées devraient saisir rapidement pour un deal Win Win autant pour leur image que pour le soutien du sport féminin, le développem­ent des clubs ou encore l’émancipati­on de la femme.

Pourquoi est-il nécessaire que différents acteurs de la sphère sociale et politique du pays intervienn­ent pour assurer le développem­ent du football féminin ?

Le sport féminin est un ‘soft power’ pour notre pays, si on arrive à développer des performanc­es profession­nelles régionales ou encore internatio­nales, les retombées seront très intéressan­tes sur l’image de notre pays que ce soit au niveau des IDE, du tourisme ou de la diplomatie. Ce ne sera pas que du sport, ce sera politique et économique. Il s’agit de la diversité genre, de la condition de la femme et de son émancipati­on. Il s’agira à ce moment-là de l’image du Maroc. C’est vraiment un Soft Power !

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