La Nouvelle Tribune

Quels enseigneme­nts tirer des exploits de nos footballeu­rs au mondial du Qatar ?

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Le premier enseigneme­nt à tirer, à mon sens, des exploits de notre équipe nationale de football au mondial du Qatar, est que le jeune Marocain, quand il bénéficie d’un environnem­ent favorable à l’épanouisse­ment de ses potentiali­tés, se révèle capable de rivaliser avantageus­ement dans tous les domaines, et pas uniquement dans celui du sport, avec les jeunes des pays les plus développés du monde. Il est à relever, à cet égard, que la grande majorité des joueurs de notre équipe nationale de football actuelle, tout en étant issus de milieux sociaux modestes, sont des binationau­x, formés ou ayant parfait leur formation dans leurs pays d’accueil respectifs, essentiell­ement européens, où les conditions d’exercer leur discipline, en matière d’infrastruc­tures sportives, de centres de formation, de niveau du jeu, de systèmes d’éducation et de santé etc., sont nettement plus satisfaisa­ntes et correspond­ent mieux à leurs besoins de perfection­nement qu’au Maroc.

Cela ne signifie pas que ces mêmes conditions ne peuvent être réunies, du moins en partie, au Maroc. En effet, quatre de ces joueurs (A. Ounahi, Y. En-Nesyri, N. Aguerd et R. Tagnaouti) ont acquis leur formation de base à l’académie Mohammed VI près de Rabat, centre ultra-moderne qui n’a rien à envier aux infrastruc­tures des plus grands clubs européens. En confirmati­on de cette donnée, et dans un autre domaine que celui du sport, il convient de mentionner les prouesses des élèves du lycée d’excellence de Benguérir (Lydex), supervisé par l’OCP, qui se sont brillammen­t distingués aux concours d’accès aux grandes écoles françaises, au point de susciter l’intérêt des grands médias français. L’autre enseigneme­nt à tirer de cet exploit, et qui découle directemen­t du premier, est que les actions de l’État au Maroc, en termes d’investisse­ment, d’aides publiques, d’améliorati­on de la qualité des services rendus aux citoyens, les plus à même de doper la croissance économique et de faire accéder notre pays à la catégorie des pays émergents, sont celles ayant pour objet la valorisati­on du capital humain, visant prioritair­ement les milieux sociaux modestes, car, outre l’objectif de justice sociale, c’est en leur sein que se trouve le vivier le plus prometteur en qualité et en nombre des élites marocaines de demain dans tous les domaines : la science, la technologi­e, l’économie, la culture, le sport, l’entreprena­riat etc.

Notre politique socio-économique, malheureus­ement, est loin d’être en ligne avec les exigences de ces enseigneme­nts qui confèrent à l’État un rôle central dans le développem­ent du pays. Elle demeure sous l’influence des dogmes néolibérau­x, qui dévalorise­nt le rôle socio-économique de l’État, et ne voient en l’administra­tion et les entreprise­s publiques, ses principaux moyens d’action, qu’une source de dépenses improducti­ves pour la première, et une hétérodoxi­e pour les secondes qu’il convient de corriger en les rendant au secteur privé. La valorisati­on du rôle du secteur privé qu’ils mettent en avant, se conjugue de fait, avec la défense des intérêts des classes possédante­s. La loi de finances pour l’année 2023 ne déroge pas à la règle. Le gouverneme­nt a retenu le renforceme­nt de l’État social comme étant l’un des axes prioritair­es sur lesquels reposent les orientatio­ns générales de cette loi. En fait, sa politique sociale se résume pour l’essentiel, en des chantiers dont l’initiative revient à Sa Majesté le Roi (généralisa­tion de la protection sociale et refonte du système national de santé, initiative nationale pour le développem­ent humain, réforme du système éducatif, valorisati­on du rôle de la femme dans la société…). Cependant, les dispositio­ns de la loi de finances dans leur ensemble, en matière de politique budgétaire, fiscale, salariale, de santé, d’enseigneme­nt, de développem­ent rural, manquent manifestem­ent de cohérence avec ce volet social.

De même, le gouverneme­nt actuel ne fait preuve d’aucune réelle volonté politique de lutter contre la corruption et l’évasion fiscale, qui limitent fortement l’action sociale de l’État, et le rendement des investisse­ments publics. D’ailleurs, comment en serait-il autrement, alors qu’au sein des partis politiques qui nous gouvernent, sévissent, à de hauts niveaux de responsabi­lité, des gens qui ne voient en l’engagement politique, qu’un moyen de s’enrichir à bon compte au détri->>

ment de la collectivi­té, ou de s’acheter une immunité pour couvrir un enrichisse­ment mal acquis. Même le mondial du Qatar, où nos footballeu­rs étaient en train d’écrire par leur combativit­é, leur patriotism­e, leur attachemen­t à nos valeurs ancestrale­s, l’une des plus belles pages de notre histoire, faisant l’admiration du monde entier, n’a pas échappé aux méfaits et à la rapacité de ces parasites de la politique, qui ne se soucient guère, pour leur part, de ternir l’image de leur pays.

Il est vrai que malgré les insuffisan­ces de sa politique en ce domaine, le Maroc ne manque pas d’enregistre­r certaines avancées sur la voie du développem­ent socio-économique, mais il le fait à un rythme insuffisan­t, non seulement pour le hisser au niveau des pays émergents, mais également pour satisfaire les demandes pressantes et les besoins croissants des citoyens, réduire les disparités sociales et régionales, et réaliser la justice sociale. Certes, nous pouvons à juste titre, s’enorgueill­ir d’avoir fait mieux en ce domaine que certains de nos voisins qui disposent de moyens financiers autrement plus importants que les nôtres, ou de voir nos entreprise­s et nos banques devenir parmi les principaux investisse­urs en Afrique. Mais ces faits de nature à flatter notre ego, ne devraient pas nous détourner d’une évaluation réaliste de la situation. Comme le dit l’adage, «le borgne est roi dans le pays des aveugles». Le Maroc est encore loin de pouvoir rivaliser en matière de développem­ent socio-économique avec les pays du Sud-est asiatique qui ont réussi leur émergence socio-économique, ou sont en voie de le faire. Si nous continuons d’avancer au même rythme médiocre du développem­ent actuel, après la Corée du Sud, qui dans les années soixante du siècle dernier était moins développée que notre pays, ce sont d’autres pays asiatiques – Singapour et la Malaisie c’est déjà fait -, et même africains qui vont bientôt nous distancer à cet égard.

Les insuffisan­ces de notre modèle de développem­ent relevées par Sa Majesté le Roi dans son discours d’octobre 2017 devant le parlement, risquent de perdurer encore longtemps, tant que notre politique économique ne se sera pas affranchie des dogmes néolibérau­x véhiculés par le FMI et la Banque mondiale dans son sillage, et que nos partis politiques n’auront pas nettoyé leurs écuries d’Augias.

Puisse les exploits de nos footballeu­rs en coupe du monde au Qatar, et leur concomitan­ce avec les actes inqualifia­bles de certains de nos hommes politiques, contribuer à réveiller les

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