L’avis du Blick
Combattre le racisme sur le terrain de l’école: c’est l’objectif affiché par l’Institut Vinícius Jr. Cette structure est le fruit de l’imagination du joueur brésilien, cible fréquente d’insultes racistes en Espagne. Reportage dans un établissement bénéfic
Antoine Bernede, au-delà des chiffres.
Le Parisien de 24 ans brille au Lausanne-Sport, non pas grâce à ses statistiques, mais par son rayonnement au coeur du jeu. Aura-t-il encore sa chance à très haut niveau? Il le mériterait, en tout cas.
Le refrain est connu: le Lausanne-Sport n’a pas de directeur sportif. Même l’arrivée de Stéphane Henchoz ne vient pas combler ce vide, puisque l’ancien entraîneur de Xamax et du FC Sion est présenté comme un membre de la commission sportive, en attendant, peut-être, que les contours de son rôle s’affinent. Mais, même en ayant posé le constat de l’absence d’un patron du secteur sportif, une évidence s’impose: le Lausanne-Sport sait recruter. Le chef scout Tony Chauvat a l’oeil pour les championnats et joueurs francophones et nordiques, ce qu’il a prouvé à de nombreuses reprises, comme dans le cas d’Antoine Bernede.
Le Français de 24 ans est ainsi l’une des grandes réussites des derniers mercatos du Lausanne-Sport, lui qui s’affirme semaine après semaine comme l’un des meilleurs milieux de terrain de Super League. C’est vrai, il n’a pas les statistiques qui claquent, et il n’est pas aussi spectaculaire qu’un Filip Ugrinic ou qu’un Ardon Jashari, mais son travail de l’ombre, soit devant la défense, soit un cran plus haut, ne peuvent laisser aucun technicien indifférent. Un but et quatre passes décisives, voilà un bilan bien maigre et qui ne rend pas hommage à ce qu’il présente depuis le début de la saison. Et c’est là, justement, que se situe le talent d’un recruteur potentiel d’un club des quatre grands championnats européens, voire venu de France, son pays. En regardant au-delà des statistiques, il y a sans doute un bon coup à effectuer cet été pour un club du style de Montpellier, Las Palmas ou Augsbourg, pour citer trois exemples un peu au hasard. Et pourquoi pas des clubs européens issus de championnats moins cotés ? Difficile d’imaginer que le joueur que l’on voit rayonner à Lausanne depuis le début de la saison ne trouve pas sa place dans le collectif du Sparta Prague, de l’Olympiakos ou des Rangers, là aussi pour prendre trois clubs dans lesquels on l’imaginerait bien s’intégrer.
Formé au PSG, recruté par Salzbourg, le Français n’a pas été épargné par les blessures et n’a sans doute pas eu la carrière que son talent méritait. Est-il trop tard? Non. D’autant qu’il a la mentalité nécessaire, lui qui ne fait pas un bruit dans le vestiaire et se montre extrêmement intelligent, posé, calme et intéressé par d’autres horizons que le football. Antoine Bernede a tout pour plaire, pour qui sait voir au-delà d’une ligne impersonnelle de statistiques.
«Goaaaaaaaaal!» Un concert de voix aiguës s’échappe d’un recoin de l’école municipale Francisco Benjamim Gallotti, située à l’entrée de la plus ancienne favela de Rio de Janeiro, Morro da Providência. Derrière la porte de la salle d'où émanent les cris, ce n'est pas un match de football qui se déroule, mais une ribambelle d’enfants aux yeux rivés sur l’écran d’un smartphone.
Leur victoire ? Avoir trouvé la solution à un quiz proposé par l’application de l’Institut Vinícius Jr. Un avatar représentant le célèbre footballeur brésilien célèbre chacune de leurs bonnes réponses comme un but. Ces élèves font partie de l’un des 10 établissements scolaires dans lesquels son ONG a posé ses valises depuis sa création, il y a trois ans.
L’application qu’ils ont sous les yeux a été pensée par l’association elle-même. Dès ses débuts, Vinícius et sa famille ont eu à coeur de développer une activité philanthropique dans le domaine de l’éducation. Le nom du jeune attaquant du Real est placardé sur la porte.
Vinícius comme modèle
«L’application utilise le caractère ludique du football pour capter l’attention des élèves. C’est un outil supplémentaire que l’on met à disposition des professeurs, cela ne les remplace en aucun cas», tient à préciser Victor Oliveira, directeur de l’Institut Vinícius Jr. Le programme développé par ce dernier a été baptisé «Base», en référence aux centres de formation des clubs professionnels. Chaque année scolaire représente une «saison». Chaque matière constitue un «match», avec différentes ligues en fonction des niveaux. Le contenu est calqué sur le programme officiel de l’Éducation nationale brésilienne. Mathématiques, portugais et sciences sont testés à travers plus de 2’000 questions, souvent en lien avec le football. «Combien de fois le Brésil at-il gagné la Coupe du monde?» «Cinq», tapent les élèves sur le clavier numérique. «Cela en fait des penta-champions», continue l’application. Les élèves se tournent vers leur institutrice, un air ébahi peint sur le visage. «C’est comme les polygones que l’on étudie en cours!», s'exclament-ils à l’unisson, avant de s’affaler sur des poufs en forme de ballon rond.
Sol en gazon synthétique, murs bleu électrique: cette pièce aux airs de terrain de football a été installée dans chacune des écoles partenaires. L'idée est de proposer un espace dédié aux nouvelles technologies, où utiliser les contenus éducatifs proposés par l’institut. Chaque salle est dotée d’un écran télévisé et de plusieurs smartphones à disposition des élèves.
Des photos géantes de Vini Jr complètent le décor et observent d’un regard bienveillant les jeunes Brésiliens présents ce jour d’avril. «Il est important de mettre en valeur une personnalité noire au sein de l’école», souligne Victor Oliveira, qui tient les rênes de l’association. En effet, la majorité des élèves de primaire des écoles publiques du pays sont noirs.
«NORMALEMENT, QUAND ON UTILISE LE TÉLÉPHONE, C’EST POUR DES LOISIRS ET CELA REPRÉSENTE DU TEMPS PERDU POUR ÉTUDIER, MAIS LÀ ON MÉLANGE LES DEUX: ON APPREND EN S’AMUSANT!» AIRAN 8 ANS
La figure de l’ancienne recrue du Flamengo accompagne les écoliers dans leur apprentissage au quotidien. «Normalement, quand on utilise le téléphone, c’est pour des loisirs et cela représente du temps perdu pour étudier, mais là on mélange les deux: on apprend en s’amusant! Quand il dit «Goaaal» dans l’application, on dirait qu'il est là avec nous et qu'il nous parle», se réjouit Airan, 8 ans, qui confie que Vinícius est son joueur préféré.
L’ailier du Real Madrid est considéré comme un exemple à suivre par de nombreux petits Brésiliens. À travers leurs parents, ils sont au courant des épisodes racistes dont souffre le sportif depuis son arrivée à la Maison Blanche en 2018.
«L'ENVIRONNEMENT SCOLAIRE EST DÉSIGNÉ PAR 64% DES JEUNES BRÉSILIENS COMME LE LIEU OÙ ILS SUBISSENT LE PLUS DE RACISME.»
Le 25 mars dernier, les images des larmes de Vinícius Jr en conférence de presse ont fait le tour des réseaux sociaux. À la veille du match amical entre l'Espagne et le Brésil, l’attaquant brésilien a déclaré devant les caméras que son «envie de jouer» au football «diminue» au fur et à mesure que les attaques racistes à son encontre s’accumulent en Europe.
«Je vois cela depuis longtemps, et à chaque fois que cela arrive, je me sens plus triste, à chaque fois j’ai moins envie de jouer», déplore le membre de la Seleção. La rencontre entre les deux pays a alors été organisée en réponse à cette vague raciste. «Je suis désolé. Je veux juste jouer au football. Je veux tout faire pour mon club et pour ma famille et que les personnes noires ne souffrent plus jamais», a promis le joueur, dont l’émotion était palpable.
Le combat contre le racisme en héritage
«En voyant ça, je me suis senti triste, c’est comme si quand ils l’attaquaient, ils m’attaquaient en même temps que lui», confie Airan, jeune métis de 8 ans, lunettes jaunes posées sur le nez. «On m’a déjà traité de singe, comme Vinícius. Ça a brisé mon coeur. Le racisme, ça fait mal», constate sa camarade Ana Lisa, en passant sa main dans ses cheveux bouclés. Elle jette un oeil au portrait du joueur imprimé derrière elle. Bras croisés et sourire aux lèvres, le Brésilien de 23 ans y porte un maillot à l’effigie de son association. «Je me sens bien près de sa photo, il m’inspire. Quand il est triste, on essaie de lui remonter le moral», souritelle. Les enfants de l’école ont tenu à lui envoyer une vidéo de soutien en mars dernier. «Nos élèves s’identifient énormément à Vinícius et le considèrent comme un exemple dans la lutte contre le racisme», souligne Maria Rosa Mendes, directrice de l’école Francisco Benjamim
Gallotti depuis 14 ans.
Devenu une figure de proue de la lutte antiraciste de l'autre côté des Pyrénées, Vini entend bien mener ce combat dans son propre pays. En s’adressant aux enfants des quartiers populaires brésiliens, il a choisi de prendre le problème à la racine. L'environnement scolaire est désigné par 64% des jeunes Brésiliens comme le lieu où ils subissent le plus de racisme, d’après un sondage du Projet SETA. L’Institut Vinícius Jr a créé un programme dédié à ce fléau, destiné aux enseignants du Brésil. Un manuel de pédagogie antiraciste, fruit de mois de travail acharné aux côtés de professeurs, a été publié il y a peu. Solitude des enfants noirs au sein du système éducatif, racisme religieux, genre, cheveux: les thèmes abordés sont nombreux. Disponible gratuitement en ligne, ce guide propose des ressources au corps éducatif brésilien, parfois désemparé face à ces questions. L’institut a formé une petite centaine de professionnels de l’éducation à la pédagogie antiraciste depuis un an.
Une conscientisation des enfants
«Les élèves me demandent très souvent de parler du racisme. On utilise les exemples des attaques visant Vinícius comme cas pratiques, que l’on étudie en classe», décrit Silviana Lucia Lacerda, professeure âgée de 65 ans. «Cette initiative au sein de l’institut fait partie d’une volonté plus large d’intégrer les questions liées au racisme dans l’éducation brésilienne», explique la directrice de l’école municipale, Maria Rosa Mendes. «Lors de l’inscription de leurs enfants dans notre établissement, beaucoup de parents ont honte de cocher la case «noir» dans les formulaires», relate-t-elle. Les enfants interrogés lors de ce reportage sont nombreux à ne pas avoir conscience de leur ascendance afrobrésilienne. «Le travail que nous menons leur permet de prendre conscience de leur identité en tant que personnes noires. C’est le rôle de l’école de s’engager dans cette démarche et de former des futurs citoyens informés », poursuit la directrice. Cela fait 20 ans que le Brésil est doté d’une loi rendant obligatoire l’enseignement de l’histoire et de la culture afrobrésilienne. Problème: 79% des membres de l'administration municipale ne connaissent pas l'existence de ce texte, selon une enquête récente réalisée par l'Institut de la femme noire Geledés. Sept bureaux municipaux sur dix ne respecteraient pas la loi.
Enseignante depuis plus de quatre décennies, Silviana Lucia Lacerda perçoit une différence de taille dans le traitement du racisme dans son école, qui collabore étroitement avec l’institut. «Aujourd'hui, nous avons la possibilité de réfléchir davantage à cette question dans la salle de classe», constate-t-elle. Et de se remémorer: «Je me souviens de la première fois que j'ai apporté un livre avec des photos d'enfants noirs à mes élèves, majoritairement noirs; ils ont commencé à rire des cheveux et des vêtements que les filles portaient. J'ai réalisé qu'ils se moquaient d'eux-mêmes. Aujourd'hui, après de nombreuses discussions sur le racisme, leur perspective a changé. Les enfants s’identifient et en tirent une fierté. Leur estime d’eux-mêmes est plus élevée.» Lorsqu’elle est mise en pratique, la recette semble fonctionner.
Quelque 4’500 élèves et 500 enseignants de quatre États brésiliens participent actuellement au projet de l’Institut Vinícius Jr, lancé en 2021. L’organisme n’entend pas s’arrêter là et vise un total de 30 établissements d'ici la fin de l'année. Cet engagement est reconnu à l’international. En février, Vinícius Jr est nommé ambassadeur de l'UNESCO. Il s’inscrit dans l’héritage de Pelé en devenant le deuxième footballeur brésilien à accéder à cette distinction. Un passage de relais tout en symbole.