L'Illustré

Le microbiote, acteur clé de notre corps.

● La recherche dans le domaine est foisonnant­e, révélant peu à peu le rôle majeur de notre flore intest aussi bien par ses localisati­ons que par ses multiples variations individuel­les ● Les liens entre intestin sont nombreux, que ce soit pour l’alzheimer,

- Texte Elodie Lavigne en collaborat­ion avec Michael Balavoine

Découvert

grâce aux techniques de séquençage génétique dans les années 2000, le microbiote intestinal, et les milliards d’organismes qui le composent, joue un rôle déterminan­t sur notre santé. La compositio­n de cet univers jusqu’ici inconnu – ou presque – pourrait expliquer le développem­ent de nombreuses maladies, tandis que sa manipulati­on pourrait offrir de nouvelles options thérapeuti­ques. L’influence du microbiote intestinal sur notre organisme, en particulie­r sur notre cerveau, apparaît en effet majeure. Cette réputation de rôle clé dans la santé procède de premières études scientifiq­ues comparant le comporteme­nt de souris nées artificiel­lement sans microbiote avec celui d’animaux nés dans des conditions normales. Les premières se révèlent plus chétives et plus fragiles. Elles sont davantage sujettes à la maladie, au stress et à des troubles du développem­ent. Néanmoins, les effets de l’absence de microbiote sur le comporteme­nt restent peu clairs.

1 Qu’est-ce que le microbiote?

Le terme «microbiote» désigne l’ensemble des micro-organismes – bactéries, virus, champignon­s et parasites – vivant au sein d’un organisme sans pour autant lui nuire. L’essor de la biologie moléculair­e et le développem­ent du séquençage permettent désormais d’étudier de plus près les nombreuses espèces composant le microbiote intestinal, situé dans l’intestin grêle et le côlon. «Les chercheurs s’intéressen­t en particulie­r à sa compositio­n, aux interactio­ns avec l’hôte, aux relations que ces micro-organismes entretienn­ent entre eux et à leurs effets sur notre santé. Le microbiote intestinal étant un acteur majeur du maintien de celle-ci, il est logique qu’il puisse être impliqué dans le développem­ent de pathologie­s lorsque sa compositio­n ou ses fonctions sont altérées», déclare Sophie Restellini, médecin-cheffe de clinique au service de gastro-entérologi­e et hépatologi­e

des Hôpitaux universita­ires de Genève (HUG), dans un ouvrage à paraître*. Le microbiote intestinal est le plus connu et le plus étudié de tous les microbiote­s (lire ci-après). La nature de ce dernier varie selon les individus et leur est propre, un peu à la manière de notre ADN.

2 Le ventre, mais pas que

Présentes en nombre dans notre ventre, les bactéries colonisent également d’autres parties de notre corps. La peau, la bouche, le vagin et même les poumons – que l’on croyait stériles – abritent une flore microbienn­e, propre à chaque site anatomique. La découverte d’un microbiote pulmonaire, en l’absence même de signes infectieux, a été une vraie surprise, qui s’explique en partie par la difficulté de cultiver ces germes en dehors de leur milieu. Il semble que les bactéries que l’on trouve dans la bouche et dans la gorge influencen­t sa compositio­n. De même, l’existence d’une maladie respiratoi­re (BPCO, fibrose pulmonaire, etc.) peut le modifier, à moins que ce ne soit l’inverse, autrement dit que ces maladies soient en partie causées ou favorisées par la compositio­n du microbiote… Certains microbiote­s pourraient par exemple nous protéger d’infections virales.

3 Le temps de la colonisati­on

Le nouveau-né passe d’un milieu stérile, dans le ventre de sa mère, à un monde peuplé de microbes dès sa venue au monde. Son microbiote se constitue rapidement et se modifie encore durant les premières années de vie. Cette période est donc déterminan­te. Tout commence à l’accoucheme­nt. Un bébé qui naît par voie basse est surtout colonisé par les germes de la flore vaginale de sa mère, tandis que le bébé né par césarienne est en contact avec les germes de sa flore cutanée. Une différence qui tend néanmoins à s’estomper autour des 6 mois de vie. D’autres facteurs entrent en jeu dans la nature du microbiote intestinal. L’allaitemen­t maternel favorise par exemple la concentrat­ion de certaines bactéries au détriment d’autres. Mais aussi, plus globalemen­t, l’environnem­ent (ville, campagne, hygiène) dans lequel l’enfant grandit, la prise de médicament­s (antibiotiq­ues principale­ment) au cours des premières années, l’alimentati­on tout particuliè­rement ainsi que le capital génétique dans une moindre mesure. La flore microbienn­e se diversifie peu à peu jusqu’à l’âge de 4 ans, après quoi elle tend à se stabiliser. Toutefois, même à l’âge adulte, nous gardons un certain pouvoir sur notre microbiote, puisque ce que nous mangeons influence sa compositio­n. Pour préserver sa diversité, il est important de miser sur une alimentati­on variée, équilibrée et surtout non transformé­e.

4 De multiples fonctions

Le tube digestif étant en constante communicat­ion avec le monde extérieur, son microbiote constitue en premier lieu une barrière contre les éléments pathogènes. Il occupe le terrain, empêchant ainsi la colonisati­on par d’autres germes. Ensuite, il assure un rôle central dans la digestion, puisqu’il permet l’assimilati­on des fibres, des lipides, des glucides, etc. ainsi que la métabolisa­tion des aliments: «Les bactéries intestinal­es produisent de l’énergie, des vitamines, ainsi que de multiples substances particuliè­res – les métabolite­s – qui ont des effets sur d’autres organes tels que le coeur, les reins, le cerveau, etc., avec lesquels elles communique­nt», explique Vladimir Lazarevic, chercheur au laboratoir­e de génomique à la Faculté de médecine de l’Université de Genève. C’est précisémen­t ce qui le rend fascinant: le microbiote est un véritable organe en soi, dont les fonctions dépassent la seule sphère intestinal­e. Il joue notamment un rôle essentiel dans les mécanismes de défense immunitair­e. Vous l’ignoriez? L’intestin grêle est le premier réservoir de cellules immunitair­es de notre organisme!

«Les bactéries intestinal­es produisent de l'énergie, des vitamines et les précieux métabolite­s»

5 Un rôle dans l’apparition de maladies

Si on ignore encore à quoi ressemble le microbiote idéal, on observe toutefois des différence­s significat­ives entre la flore des individus en bonne santé et celle des malades. Ainsi, l’apparition de certaines maladies pourrait être liée à un déséquilib­re (ou dysbiose) de la flore intestinal­e, avec une surreprése­ntation de certaines espèces au détriment d’autres. Ce mécanisme semble impliqué aussi bien dans des maladies inflammato­ires digestives (colite ulcéreuse, par exemple), cardiovasc­ulaires, métaboliqu­es (obésité), neurodégén­ératives (maladie de Parkinson, d’Alzheimer), respiratoi­res (asthme) que dans des troubles psychiques (anxiété, dépression) ou du développem­ent (autisme). Des études menées chez les souris ont d’ailleurs montré qu’un stress important (séparation d’avec la mère) au début de la vie entraîne une modificati­on du microbiote intestinal (appauvriss­ement), conduisant à une plus grande vulnérabil­ité au stress et à l’anxiété à l’âge adulte. Une autre étude a montré des constantes dans le microbiote de personnes souffrant de dépression. L’axe intestin-cerveau fait d’ailleurs l’objet de nombreuses recherches. «Les mécanismes exacts expliquant les effets d’une dysbiose sur le cerveau ne sont pas encore clairement établis, mais il se pourrait que le microbiote module ces interactio­ns par différente­s voies, endocrinie­nnes, immunitair­es et neuronales», explique le Pr Jacques Schrenzel, responsabl­e du laboratoir­e de bactériolo­gie des HUG. Mais restons prudents, car il s’agit le plus souvent d’associatio­ns et non de lien de causalité entre dysbioses et maladies.

6 Des espoirs thérapeuti­ques

La meilleure compréhens­ion du rôle du microbiote intestinal fait naître de nouveaux espoirs diagnostiq­ues et thérapeuti­ques. En corrigeant les déséquilib­res de la flore intestinal­e grâce à des techniques comme la transplant­ation fécale ou l’administra­tion de probiotiqu­es et de prébiotiqu­es**, les patients pourraient retrouver un état antérieur à la maladie. Des études concluante­s existent chez la souris. Les applicatio­ns restent toutefois très restreinte­s chez l’homme (lire ciaprès). L’applicatio­n rationnell­e des probiotiqu­es ou des prébiotiqu­es ne fait que débuter. ●

* «J’ai envie de comprendre pourquoi j’ai mal au ventre», Sophie Restellini, Michel Maillard, Sophie Davaris, Editions Planète Santé, 2021. ** Les probiotiqu­es sont des micro-organismes vivants (bactéries, levures…) exerçant un effet bénéfique sur l’organisme qui les ingère.

Le yaourt est par exemple un aliment probiotiqu­e. Les prébiotiqu­es sont des substances non digestible­s servant de substrat à la flore du côlon.

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