L'Illustré

«Quand les amarres ont lâché, on a suivi heure par heure depuis notre véranda»

- CHRISTIAN MÉRINAT 58 ans, mécanicien poids lourds à l’Etat de Vaud et JOSIANE MÉRINAT 63 ans, employée dans un EMS, Chardonne

« Crève-coeur» prend tout son sens avec le couple Mérinat, sensible et accueillan­t, dans sa ferme rénovée de Chardonne, plus belle vue du monde devant eux. Christian est né ici, chez sa grand-maman, mais il a découvert la vie et l’amour paternel sur le bateau-vapeur Italie auprès de son papa adoptif, mécanicien CGN pendant trentehuit ans, qui faisait Le Bouveret-Genève tous les jours. «Le samedi, je pouvais dormir avec lui sur le bateau, dans sa cabine de mécano. J’avais la chance d’accéder à la timonerie et de connaître énormément d’équipages. Des anciens me reconnaiss­ent encore et disent en me voyant:

«Lui, c’était son fils.» Christian et Josiane, employée chez Kodak pendant vingtquatr­e ans, née à La Tine, près de Rossinière, ont été secoués par le drame du Simplon. Parce que ces bateaux-vapeur font partie de la famille. L’Italie, surtout, est sacré. Le papa adoptif de Christian y a vécu ses derniers instants, victime d’un malaise alors qu’il était en service dans «sa» salle des machines. Sur la coupure de presse jaunie, une photo du mécanicien en bleu de chauffe et casquette, et un hommage biographiq­ue pour dire le respect et la tristesse des camarades CGN.

L’accident du Simplon a logiquemen­t ravivé la blessure, la douleur des séparation­s. «L’Italie est resté dix ans à l’abandon, rappelle Josiane, qui a pris goût au lac à 6 ans avec ses grands-parents. Le 25 septembre 2005, on est à bord pour lui dire au revoir. Poils au garde-à-vous et larmes aux yeux. On a gardé le t-shirt rouge qu’on portait ce jour-là, marqué «Sauvez-moi!!!» sur le devant et «J’y étais» dans le dos.» En 2008, ils sont encore à Ouchy à «la jetée des oubliés» pour les 100 ans de l’Italie, pavoisé pour l’occasion. «On a pu revoir les machines», sourit Christian. La même année, ils se marient sur le Vevey, frère jumeau de l’Italie. Aujourd’hui, leur bateau fétiche, c’est le Simplon, «le plus majestueux». Alors, ce vendredi de Pâques, le couple se résigne. «On s’est dit qu’on ne pouvait rien faire et que ça ne serait pas forcément un beau spectacle. On n’avait pas le coeur à entendre hurler le Simplon toute la nuit.» Ils veillent dans la véranda face au Léman. Un coin où l’on casse la croûte avec les amis, comme Sophie Aymon, première femme capitaine à la CGN. Le banc couleur glace vanille est une relique du patriarche Italie. «Quand les amarres ont lâché, vers 19, 20 heures, on a suivi heure par heure via un quotidien en ligne et par SMS avec quelques amis. On n’a pas bien dormi.» Le samedi matin, ils montent aux Mémises (Haute-Savoie) avec un copain mécanicien CGN. «De là-haut, on a vu le Simplon se faire remorquer. On s’est dit: «Il va être sauvé.»

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Christian et Josiane Mérinat ont suivi heure par heure le supplice du Simplon via des échanges SMS avec leur réseau d’amis du Simplon.

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