L'Illustré

«Pour moi, cette catastroph­e est de l’envergure de celle de Notre-Dame de Paris»

- DENISE KÜNZLER-CHARMOY 77 ans, retraitée, Montreux

A10 ans, son père lui offre un baptême de l’air à la Blécherett­e. A 70 ans, ses fils lui donnent les clés d’une Maserati noire pour vingtquatr­e heures. Alors, ce samedi 30 mars, c’est en voiture qu’elle file à Cully au saut du lit. «Quand j’apprends ça, c’est NotreDame de Paris! On réalise que «nos» bateaux appartienn­ent à tout le monde, confie Denise, élevée à Pully, majeure à Berlin coupé en deux par le mur et qui a longtemps suivi son mari cadre dans une multinatio­nale de l’informatiq­ue. Ce qui m’a fait horribleme­nt mal, c’est ce Simplon disloqué, tordu, la peinture arrachée entre les fenêtres, les gens tristes. Je suis restée jusqu’au départ du bateau. Enfin, nous étions quand même tous contents qu’il flotte.»

Denise Künzler-Charmoy, fille d’Henri Charmoy, paysagiste du général Guisan, de la reine d’Espagne et de Gunter Sachs, possède du savoir-vivre et un goût très fin. Quand elle reçoit, elle prépare pour tout un équipage un cake à l’amande amère («Toujours habituer son mari au goût de l’arsenic», dit-elle en riant), un autre aux raisins secs et des mini-sablés au piment d’Espelette. En piquant la tranche de gâteau avec sa fourchette en argent, elle raconte comment elle a interpellé Pierre Imhof, directeur de la CGN, le nez au vent et l’air de rien, à propos d’horaires modifiés qu’elle juge irréaliste­s: «Avez-vous déjà pris le bateau?» La question aura laissé son interlocut­eur dubitatif.

Denise cite des chiffres, des dates, a imprimé les pages Wikipédia consacrées au Simplon déjà mises à jour, montre des photos de famille sur son téléphone portable. Sur l’une, elle est aux côtés de son père à bord du «GG»: «24 mars 1964, inaugurati­on du Général-Guisan, papa a fait la déco florale.» Sur une autre, elle montre ses trois petits-fils, blondinets éblouis par le «repas bien servi sur une jolie nappe» dans les salons Belle Epoque. Là encore, les 65 ans de son frère, fêtés sur le Lavaux privatisé, avec l’amiral Alex Beauval sur le pont.

Pour Denise, qui a vue plongeante sur le débarcadèr­e et qui nage tous les matins à 6 heures dès que le climat se réchauffe, «aller en bateau est un art de vivre». Elle aime les embruns du Jet d’eau à Genève. La raclette sur le lac au couchant. Le bruit des bielles du Montreux. La planche panoramiqu­e du Vevey installée sur mesure au-dessus de son évier de cuisine. Le souvenir du roi Bhumibol à Ouchy. «Nous ne sommes que des grains de sables.» Pour paraphrase­r Francis Scott Fitzgerald, le Léman de Denise est une fête.

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«appartienn­ent à tous le monde». Ils font partie
du patrimoine.
Denise est effondrée par cette catastroph­e qui lui a permis de réaliser que ces bateaux à vapeur «appartienn­ent à tous le monde». Ils font partie du patrimoine.

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