«Pour moi, cette catastrophe est de l’envergure de celle de Notre-Dame de Paris»
A10 ans, son père lui offre un baptême de l’air à la Blécherette. A 70 ans, ses fils lui donnent les clés d’une Maserati noire pour vingtquatre heures. Alors, ce samedi 30 mars, c’est en voiture qu’elle file à Cully au saut du lit. «Quand j’apprends ça, c’est NotreDame de Paris! On réalise que «nos» bateaux appartiennent à tout le monde, confie Denise, élevée à Pully, majeure à Berlin coupé en deux par le mur et qui a longtemps suivi son mari cadre dans une multinationale de l’informatique. Ce qui m’a fait horriblement mal, c’est ce Simplon disloqué, tordu, la peinture arrachée entre les fenêtres, les gens tristes. Je suis restée jusqu’au départ du bateau. Enfin, nous étions quand même tous contents qu’il flotte.»
Denise Künzler-Charmoy, fille d’Henri Charmoy, paysagiste du général Guisan, de la reine d’Espagne et de Gunter Sachs, possède du savoir-vivre et un goût très fin. Quand elle reçoit, elle prépare pour tout un équipage un cake à l’amande amère («Toujours habituer son mari au goût de l’arsenic», dit-elle en riant), un autre aux raisins secs et des mini-sablés au piment d’Espelette. En piquant la tranche de gâteau avec sa fourchette en argent, elle raconte comment elle a interpellé Pierre Imhof, directeur de la CGN, le nez au vent et l’air de rien, à propos d’horaires modifiés qu’elle juge irréalistes: «Avez-vous déjà pris le bateau?» La question aura laissé son interlocuteur dubitatif.
Denise cite des chiffres, des dates, a imprimé les pages Wikipédia consacrées au Simplon déjà mises à jour, montre des photos de famille sur son téléphone portable. Sur l’une, elle est aux côtés de son père à bord du «GG»: «24 mars 1964, inauguration du Général-Guisan, papa a fait la déco florale.» Sur une autre, elle montre ses trois petits-fils, blondinets éblouis par le «repas bien servi sur une jolie nappe» dans les salons Belle Epoque. Là encore, les 65 ans de son frère, fêtés sur le Lavaux privatisé, avec l’amiral Alex Beauval sur le pont.
Pour Denise, qui a vue plongeante sur le débarcadère et qui nage tous les matins à 6 heures dès que le climat se réchauffe, «aller en bateau est un art de vivre». Elle aime les embruns du Jet d’eau à Genève. La raclette sur le lac au couchant. Le bruit des bielles du Montreux. La planche panoramique du Vevey installée sur mesure au-dessus de son évier de cuisine. Le souvenir du roi Bhumibol à Ouchy. «Nous ne sommes que des grains de sables.» Pour paraphraser Francis Scott Fitzgerald, le Léman de Denise est une fête.