L'Illustré

«Négliger un coup de vaudaire, c’est vraiment grave»

- BERTRAND DURUZ 80 ans, mécanicien locomotive CFF à la retraite, Sion

Ils ont quitté les hauteurs d’Evian et une vue panoramiqu­e sur leur cher Léman pour le dernier étage d’un immeuble baigné de soleil face à Valère et Tourbillon. Aucun regret. Sur la terrasse traversant­e, on vit comme sur le pont d’un paquebot. Ici, le capitaine, c’est Bertrand, dit «Titou», 80 ans, tenue estivale et jovialité en bandoulièr­e. Son fidèle lieutenant, c’est Jacqueline, 82 ans, épousée en 1968, l’année où son mécano de mari a commencé à conduire seul des locomotive­s CFF. «Tous les matins, je finissais à 10 heures, raconte ce passionné de beaux moteurs, et je disais à «Jacotte» de préparer le pique-nique. On partait faire un tour en train et bateau, tous les lacs suisses y sont passés!» Aujourd’hui, le couple sans enfants continue de voyager avec l’abo général et s’offre de temps en temps une sortie «fondue» sur le lac, en compagnie des habitués. Donateurs, leurs deux noms sont «cités sur les plaquettes de tous les bateaux à aubes». Dans l’appartemen­t, outre les sublimes photos de la flotte CGN au mur, qui réapparais­sent en sous-verres à bière à l’apéro, il y a ce premier crève-coeur, ce sauvetage in extremis il y a quelques années déjà: six superbes chaises de salle à manger en bois blond et marqueteri­e, six vestiges rescapés du Montreux, sorties de la benne de chantier et rachetées 30 francs pièce. «J’ai pris la mousse, la brosse à risette et j’ai frotté», se souvient Jacqueline. L’affaire les scandalise encore.

«Le virus des bateaux à aubes, on l’a attrapé quand Maurice s’est décarcassé pour les sauver en 2003», explique Bertrand. Maurice, c’est M. Decoppet, président-fondateur de l’ABVL, ancien commandant et instructeu­r chez Swissair, l’homme qui fédère, le pivot central. Excentrés en Valais, les Duruz ont suivi le drame sur téléphone portable. Il y a eu énervement. Poli, froid, à la Tontons flingueurs. «On n’a pas dit «zut», on a dit «ben merde», résume Bertrand, façon Blier. La fatalité, OK… Mais en tant que navigateur amateur depuis les années 1970, planche à voile, dériveur, en ayant étudié les vents du Léman, on sait que le plus mauvais choix était de laisser le Simplon à Cully. En avril 1987, le port de la Pichette, entre Saint-Saphorin et Vevey a été détruit par une violente tempête de foehn. Badaboum, badaboum, la vague a poussé le bateau contre les rochers. Négliger un coup de vaudaire, ce vent dégueulass­e, c’est vraiment grave, c’est n’importe quoi!»

Gamine, Jacqueline prenait un bateau-vapeur tôt le matin chaque premier de l’an pour aller embrasser sa grandmère à Thonon-les-Bains. «Je me souviens des dames chics qui avaient passé la nuit au casino, des chevaux et des calèches au débarcadèr­e. La traversée coûtait cher à mes parents.» La réfection d’un Belle Epoque se chiffre à environ 18 millions. «Bien sûr qu’on va continuer à être donateurs, encore plus! Et il y a encore l’Helvétie à restaurer…»

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les années 1970 et ayant étudié les vents, Bertrand affirme que le choix
de laisser le Simplon à Cully, c’était «n’importe quoi».
En tant que navigateur amateur depuis les années 1970 et ayant étudié les vents, Bertrand affirme que le choix de laisser le Simplon à Cully, c’était «n’importe quoi».

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