Help me, Rhonda!
Il est parfois tout à fait salutaire d’oser sortir de son confort, estime notre chroniqueuse, Susanne Hofbauer.
Comment faisions-nous autrefois pour conduire? A l’époque, pas question de détecteurs de fatigue ou de stationnement autonome. Pas de caméras à 360 degrés ni d’avatars d’économie de conduite ou d’intégration d’applications tierces. Pas non plus de fonction karaoké pour attendre à la pompe ou dans les bouchons. Et puisqu’on parle de curiosités: comment était la vie en voiture sans IA vocale racontant des blagues et sans caméra embarquée avec option de film de conduite? Comment était-ce surtout de ne pas avoir ces besoins et de ne pas les regretter?
Avant, l’expérience de la conduite automobile était réelle. Aujourd’hui, tout se passe comme si nous avions perdu notre libre arbitre dans l’étau de l’augmentation permanente des performances et des exigences de sécurité démesurées. On nous donne du divertissement pour que nous ne nous ennuyions pas. On nous avertit à tous les niveaux, optiques et acoustiques, pour que nous puissions distinguer un brin d’herbe d’un mur d’immeuble.
Et puis, un beau jour, l’écran tombe en panne en pleine heure de pointe. On se retrouve alors avec ses capacités atrophiées par la surabondance de services d’assistance. Garer un SUV de 5 mètres sur 2, par exemple, n’est pas une mince affaire si aucune image de caméra n’indique plus ce qui se trouve sur son chemin. On se retourne donc en faisant craquer sa colonne vertébrale, on essaie d’estimer ce qu’il reste d’espace à l’arrière, on tâte le trottoir avec la gomme du pneu en tournant le volant et on ajuste au millimètre à l’avant. Au final, l’opération réussie, on se sent empli de fierté comme si on venait de passer son permis.
On devrait s’entraîner plus souvent à la disparition de tout le confort. Même si, sans écran, on se sent à l’étroit. Pas à cause des 64 couleurs d’ambiance ou de l’arrêt du karaoké, des gadgets à l’absence tout à fait supportables. Ce n’est pas pareil pour la navigation, la climatisation, le réglage du son... Il vaut ainsi mieux éviter de se retrouver dans cette situation si l’on vient de mettre le volume de Burning Down The House (Talking Heads) à fond. Comme quand, dans sa toute première voiture, la cassette Best of Beach Boys est restée coincée dans le lecteur. Ne restait plus qu’à choisir entre les Beach Boys et chanter soimême...
Mais pourquoi ne pas essayer d’éteindre l’écran? D’observer les gens au feu rouge. D’apprendre le nom des rues. De rouler à 80 km/h au feeling. De rechercher les horloges des clochers. Et de chanter comme le groupe californien: «Help me, Rhonda, help, help me, Rhonda!»