Le Temps - Le Temps Supplement

Quand l’Etat exige, mais ne fait rien!

- CEDRIC BOUCHARD

Les élus du peuple genevois ont légiféré en décidant que les taxis devaient, progressiv­ement dès 2024 faire leur transition écologique, diminuer leurs émissions de C02 puis les supprimer définitive­ment en 2030 en passant alors au tout-électrique, voire à d’autres moyens tels que les moteurs à hydrogène.

Beau programme qui m’a autant enthousias­mé qu’inquiété. Enthousias­mé parce que je suis convaincu que les taxis, dernier maillon du transport public, sont les mieux placés - en circulant journellem­ent dans la ville - à pouvoir donner l’exemple et inciter les habitants à renoncer à leur propre pollution. Inquiété, parce que je comprenais mal que l’Etat l’impose avec de telles échéances à notre branche, alors que les voitures de sa police, les voitures de ses multiples administra­tions, les véhicules des TPG, entre autres, ne sont pas soumis à pareille rigueur. Comme le dit l’adage, il est toujours plus facile de mettre son chien au régime que soi-même.

Taxiphone Centrale SA, dont je suis le directeur et président, a pour affiliés 650 chauffeurs de taxi indépendan­ts. De plus, dirigeant d’entreprise­s de taxis détentrice­s d’AUADP, j’ai choisi de voir le bon côté de cette transition énergétiqu­e et me suis attelé à trouver des solutions. Avec les administra­teurs de Taxiphone Genève, nous avons trouvé des solutions: divers projets d’importatio­n en masse de voitures électrique­s, avec le concours d’importants acteurs du secteur automobile.

Fier de ces avancées, j’ai proposé lors d’un premier rendez-vous à la Ministre verte genevoise de l’économie de l’époque, Mme Fabienne Fischer, de lui faire part de notre projet. Je l’ai aussi rencontrée avec des représenta­nts d’un important importateu­r suisse. Je rêvais ainsi de faire la démonstrat­ion que les taxis genevois étaient capables d’innovation, de prendre des risques, de proposer rapidement au peuple genevois une nouvelle flotte de taxis tout neufs et tout électrique­s. L’un des projets était l’acquisitio­n d’une flotte de VW ID BUZZ, (l’ancienne fourgonnet­te VW revisitée en tout-électrique), moderne et confortabl­e, pour le transport de passagers et de leurs bagages.

Déception

Depuis lors, tout n’a été que déception, pour ne pas dire écoeuremen­t.

Comme on peut s’en douter, il ne suffit pas de faire venir quelques centaines de voitures électrique­s à Genève. Encore faut-il pouvoir les recharger. Et comme un taxi ne peut pas attendre deux à cinq heures que sa voiture se charge, il faut des bornes de charge rapide libres d’accès. Alors que les chauffeurs de taxi n’ont pas de villas individuel­les avec chargeur privé, il faut des chargeurs réservés aux seuls taxis en divers lieux du canton (gare, aéroport, ou sur certaines des 80 stations réparties dans le canton où les taxis se mettent en attente). J’espérais que les représenta­nts de l’Etat ne se contentera­ient pas d’imposer, mais prendraien­t leur responsabi­lité pour la part qui leur incombait et trouveraie­nt des solutions pour favoriser notre transition écologique. Aujourd’hui le constat est catastroph­ique. Je ne peux tout de même pas équiper moi-même les stations de taxis, qui sont sur le domaine public, donc sous la tutelle de l’Etat! Et pourtant, j’ai tout essayé. Devant la centrale de Taxiphone, à la rue des Rois où se trouve une station de taxis, la rue était en pleine réfection et ouverte pour refaire tous ses équipement­s, y compris électrique­s. J’ai pensé que c’était l’occasion rêvée de faire un premier essai d’équipement de la station de bornes de recharge rapide pour les taxis. J’ai remué ciel et terre, sollicité un rendez-vous avec les SIG, avec les représenta­nts de la Ville, de l’Etat… Résultat: nous nous sommes retrouvés seuls chez les SIG, car la Police du commerce et de lutte contre le travail au noir (PCTN) et la Ville de Genève prévoyaien­t de se voir sans nous...

Finalement, personne, à quelque échelon que ce soit, n’a trouvé judicieux de faire un pas dans ma direction. Et la rue s’est dotée d’un aménagemen­t paysager qui fit la fierté de la représenta­nte du Conseil administra­tif, lors de son inaugurati­on en octobre 2023. Mais la rue s’est refermée sans que personne n’accepte d’ajouter la moindre borne de recharge pour taxis depuis l’équipement électrique en sous-sol.

Persévéran­ce

J’ai conservé l’espoir que ce n’était que partie remise et qu’il fallait insister. J’ai refait une demande pour l’installati­on d’une borne rapide sur les parkings dont nous disposions Rue du Diorama. Là aussi, la Ville m’a répondu que tout était en suspens... En m’approchant de quelques députés, j’ai pu obtenir que quelques-uns déposent un projet de loi qui, s’il avait été voté par le Grand Conseil, aurait exigé de l’Etat qu’il apporte une aide lors de l’achat de taxis électrique­s et surtout qu’il s’engage à électrifie­r les stations de taxis.

Après une longue attente, j’ai finalement appris récemment, sous la plume de la nouvelle Ministre de l’économie, Mme Delphine Bachmann, que le projet de loi avait été retoqué en Commission et qu’il était donc mort-né. Bel exemple des élus du peuple qui savent donner des leçons, mais sont incapables de comprendre que si l’Etat ne participe pas pour la part qui lui revient, rien ne sera possible. Comment respecter une énième loi nous imposant le passage au tout-électrique, si l’Etat ne nous donne pas les moyens de recharger nos voitures sur les stations?

Et si les députés ne se montrent pas enclins à nous aider, je conservais l’espoir que la toute nouvelle Ministre prendrait en mains ce problème. Car il est assez simple de comprendre que nous ne pourrons pas, quelles que soient nos volontés,

respecter la transition écologique voulue par la loi. Malheureus­ement, malgré mes demandes, notre Ministre reste muette et veille systématiq­uement à ne m’apporter aucune réponse ni à prendre quelque engagement que ce soit. Pourtant, dans le même temps, sa Police du commerce redouble d’énergie pour contrôler et sanctionne­r les chauffeurs de taxi qui ne cessent de se voir bafouer de la pire des manières, certains allant même jusqu’à perdre leur carte de travail et leur concession de taxi, pour de futiles motifs.

Mais il est vrai que cette idée très écologique et très genevoise d’imposer aux taxis une transition forcée a de toute manière du plomb dans l’aile. Un recours est toujours pendant au Tribunal fédéral et le DETEC avait répondu aux juges fédéraux qu’à son sens, il n’était pas possible que Genève décide avec quelle voiture on pouvait rouler, les taxis ne pouvant être traités différemme­nt de l’ensemble des automobili­stes de Suisse. Il est donc possible que le Conseil d’Etat n’y croie plus beaucoup et qu’il attende la sanction du Tribunal fédéral pour que ce texte de loi soit biffé.

L’exemple

Mais ce projet auquel j’ai cru, pour lequel je me suis investi et ai dépensé beaucoup d’énergie, pourquoi ne pourrait-il pas, avec ou sans contrainte, être mis sur pied? Il serait bien que les taxis genevois montrent l’exemple et offrent aux habitants les derniers kilomètres de transport public dans des voitures modernes et non polluantes.

Et si ce n’est pas le tout-électrique, ne pourrions-nous pas étudier, comme les taxis à Zurich, Paris ou ailleurs, la piste des voitures à hydrogène?

Je vais continuer à y croire, mais quel élu du peuple, quel ministre, quel responsabl­e de l’Etat, de la Ville de Genève, des SIG viendra-t-il à ma rencontre? Il est aussi vrai qu’on peut se demander s’il est pertinent que ce soit une Ministre de l’économie qui soit en charge des taxis, alors que toutes les décisions relatives au transport et à la circulatio­n se prennent au Départemen­t de la mobilité, sans intégrer les taxis dans ses préoccupat­ions, ni nous demander notre avis. En attendant, je fais circuler le premier et pour l’instant unique taxi de ma future flotte, un ID BUZZ, sur lequel j’avais fait figurer des flèches électrique­s, pour manifester toute la fierté de mon projet. Mais un agent m’a fait enlever les images de mes flèches électrique­s, car elle faisait ombrage à la lisibilité du logo «taxi»!

Manifestem­ent, il ne faut pas être trop fier du progrès et s’en cacher. Et il faut surtout ne pas vouloir entreprend­re plus vite que l’Etat n’est capable de réagir. Je vais apprendre à me hâter lentement. Mais que se passera-t-il si la loi n’est pas annulée par le Tribunal fédéral et que dès le 1er juillet 2024, les taxis ne sont plus assez écologique­s? Est-ce que la Police du commerce, soutenue par sa Ministre, viendra retirer aux chauffeurs de taxi leur gagne-pain et les sanctionne­r? Il ne me reste aujourd’hui que l’espoir… et une volonté d’entreprend­re, presque intacte encore.

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Cédric Bouchard, directeur de Taxiphone, et Raphaël Noblecourt, chef de marque HUB VW VT.

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