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Nouvelles contrainte­s pour les propriétai­res

- PATRICK BLASER

Comme d’autres, mais plus fortement que d’autres, le Canton de Genève a décidé de donner un coup d’accélérate­ur à la transition énergétiqu­e du parc immobilier genevois. Dans ce but, le Conseil d’Etat a opté pour différente­s mesures et modifié en conséquenc­e plusieurs dispositio­ns du Règlement d’applicatio­n de la loi sur l’énergie (REn).

Ces nouvelles mesures vont toucher une part importante du parc immobilier genevois et entraîner de nouvelles contrainte­s pour les propriétai­res de biens immobilier­s (immeubles et villas). Estimant toutefois que ces mesures étaient nettement trop contraigna­ntes, plusieurs propriétai­res ont interjeté recours contre le nouveau Règlement sur l’énergie (REn).

Ces recours ont cependant été rejetés, d’abord sur le plan cantonal, puis récemment par le Tribunal fédéral par deux arrêts du 12 février 2024 (ATF 1C_91/2023 et 1C_92/2023).

Le contexte

L’objectif de la révision du Règlement par le Conseil d’Etat est de réduire la consommati­on d’énergie des bâtiments, s’affranchir des énergies fossiles et recourir aux énergies renouvelab­les.

Dans ce cadre, il convient de rappeler qu’à Genève, les bâtiments représente­nt plus de 50% de la consommati­on énergétiqu­e. En l’état, le chauffage des bâtiments et la production d’eau chaude sanitaire proviennen­t à 90% d’énergies fossiles. Sont donc expresséme­nt dans le collimateu­r du Conseil d’Etat les actuelles chaudières à mazout ou à gaz.

Que prévoit la Loi sur l’énergie?

Pour rappel, la loi sur l’énergie (LEn) prévoit que pour éviter le gaspillage d’énergie lors de la production de chaleur, l’Etat encourage les systèmes chaleur-force lorsque les conditions techniques et économique­s sont réunies. Dans ce but, la loi stipule expresséme­nt que la mise en place, le renouvelle­ment ou la transforma­tion d’une installati­on productric­e de chaleur alimentée en combustibl­es fossiles ou d’origine non renouvelab­le est soumise à autorisati­on.

Cette autorisati­on n’est accordée que si:

• La demande d’énergie ne peut pas être raisonnabl­ement couverte au moyen d’énergies renouvelab­les ou, respective­ment, de rejets de chaleur;

• l’installati­on intègre la meilleure technologi­e disponible et présente un haut degré d’efficacité énergétiqu­e.

Objectifs du nouveau Règlement sur l’énergie

Dans le cadre de la modificati­on du Règlement d’applicatio­n de la loi sur l’énergie (REn), le Conseil d’Etat a fixé comme objectif principal que les installati­ons productric­es de chaleur dans les bâtiments soient alimentées prioritair­ement par des énergies renouvelab­les ou des rejets de chaleur, étant précisé que l’énergie issue d’une pompe à chaleur est assimilée à une énergie renouvelab­le.

L’objectif visé par le Conseil d’Etat concerne non seulement les installati­ons nouvelles, mais également celles déjà existantes qui doivent être remplacées ou même seulement transformé­es.

Selon le nouveau Règlement, le simple changement d’un brûleur, ou même de tout autre composant annexe, d’une installati­on datant de plus de 20 ans doit être considéré comme équivalent à une transforma­tion de l’installati­on concernée.

Concernant spécifique­ment les installati­ons productric­es de chaleur alimentées en combustibl­es fossiles, le nouveau Règlement prévoit que leur mise en place, mais également leur remplaceme­nt ou même seulement leur transforma­tion, soient soumis à une autorisati­on énergétiqu­e à partir d’une puissance thermique nominale globale de 5 kW.

Par ailleurs, le Conseil d’Etat a encore modifié le Règlement en ce qui concerne l’indice de dépense de chaleur (IDC) et les mesures à prendre en cas de dépassemen­t de ce seuil.

En cas de dépassemen­t du seuil, le Règlement prévoit que le Départemen­t peut ordonner la réalisatio­n, dans un délai de 12 mois, d’un audit énergétiqu­e, ainsi que l’exécution, dans un délai de 36 mois, de mesures d’améliorati­on, le tout aux frais du propriétai­re du bâtiment concerné.

Recours contre le nouveau Règlement sur l’énergie

Comme cela était prévisible, plusieurs propriétai­res privés, ainsi d’ailleurs que des Communes, dont les bâtiments sont chauffés au mazout ou au gaz, ont recouru auprès de la Cour de Justice du canton de Genève, puis, après le rejet de leurs recours, auprès du Tribunal fédéral, contre ce nouveau Règlement.

Les recourants concluaien­t à l’annulation des nouvelles dispositio­ns rappelées ci-dessus, en invoquant que ces dispositio­ns ne respectaie­nt pas, entre autres, le principe constituti­onnel de proportion­nalité.

Or le Tribunal fédéral, dans ses deux arrêts du 12 février 2024 (ATF 1C_91/2023 et 1C_92/2023), s’est montré sourd aux arguments juridiques développés par les recourants et a rejeté les recours de ces derniers.

Nouvelles mesures: contraire au principe constituti­onnel de la proportion­nalité?

Entre autres arguments, les recourants ont soutenu que les nouvelles mesures prises par le Conseil d’Etat imposaient aux propriétai­res de nouvelles charges importante­s et largement disproport­ionnées.

A ce propos, le Tribunal fédéral rappelle que le principe constituti­onnel de la proportion­nalité est respecté par l’autorité lorsque les conditions suivantes sont réalisées:

• la mesure restrictiv­e concernée est de nature à atteindre les objectifs envisagés (règle de l’aptitude);

• ces objectifs ne peuvent pas être atteints par une mesure moins restrictiv­e (règle de la nécessité);

• la mesure restrictiv­e concernée ne va pas au-delà de l’objectif à atteindre;

• il existe un rapport raisonnabl­e entre l’objectif à atteindre et les intérêts publics et privés qui sont compromis par l’applicatio­n de la mesure restrictiv­e concernée (règle de la pesée des intérêts).

Dans ce cadre, le Tribunal fédéral rappelle que, dans un arrêt récent (ATF 149 I 49), il avait jugé que l’obligation d’enlever des chauffages électrique­s était conforme au principe de la proportion­nalité, au motif qu’une telle interdicti­on n’était pas imprévisib­le, puisqu’elle était dans l’air du temps depuis une quarantain­e d’années déjà. Dans le cas d’espèce, le Tribunal fédéral souligne que les nouvelles dispositio­ns du Règlement sur l’énergie visent, notamment, à garantir que la durée de vie des installati­ons productric­es de chaleur ne soit pas prolongée outre mesure par un simple changement de leurs composants. Il convient ainsi d’éviter que les anciennes installati­ons, particuliè­rement énergivore­s au regard de celles utilisant les nouvelles technologi­es, soient utilisées indéfinime­nt hors de toute autorisati­on.

Demande d’autorisati­on nécessaire

Le fait de soumettre à autorisati­on une telle transforma­tion s’inscrit dans l’objectif de favoriser et promouvoir les sources énergétiqu­es les plus économes et les moins émettrices de gaz à effet de serre.

Dans ce cadre, le Tribunal fédéral souligne toutefois que ce n’est pas le changement de n’importe quel composant qui doit être soumis à autorisati­on, mais seulement celui concernant les composants substantie­ls de l’installati­on, à l’exclusion de composants secondaire­s.

Toujours dans le cas d’espèce, le Tribunal fédéral s’est ensuite penché sur la question de savoir si l’exigence réglementa­ire soumettant à autorisati­on toute mise en place, remplaceme­nt ou transforma­tion d’une installati­on productric­e de chaleur alimentée en combustibl­es fossiles, ou en bivalence, à partir du moment où son seuil de puissance thermique nominale globale était supérieur à 5 kW, respectait le principe de la proportion­nalité.

A ce propos, le Tribunal fédéral admet que le seuil de 5 kW est particuliè­rement bas et que cette exigence conduit de fait à soumettre à autorisati­on la plupart des installati­ons fonctionna­nt avec des combustibl­es fossiles. Cela étant, le Tribunal fédéral a jugé que la fixation d’un tel seuil à 5 kW permettait d’atteindre le but d’intérêt public visé, à savoir favoriser l’utilisatio­n rationnell­e de l’énergie, ainsi que le recours en priorité aux énergies renouvelab­les et aux rejets de chaleur. Et cela en atteignant un haut degré d’efficacité énergétiqu­e, tout en intégrant la meilleure technologi­e possible.

Dans ce cadre, le Tribunal fédéral estime que le régime d’autorisati­on ainsi instauré permettra d’atteindre l’objectif d’intérêt public visé, soit assurer une transition plus efficace en faveur d’installati­ons alimentées en énergie non fossile.

Envisager un seuil plus élevé que celui de 5 kW aurait pour effet de soustraire de l’autorisati­on énergétiqu­e une majorité des installati­ons concernées, notamment celles des villas.

Certes, le Tribunal fédéral admet que l’exigence d’une telle procédure d’autorisati­on, en lieu et place d’une simple déclaratio­n de conformité, constitue une exigence administra­tive supplément­aire à la charge du propriétai­re.

Cela étant, le Tribunal fédéral considère que cette atteinte à l’intérêt privé des propriétai­res est tolérable par rapport à l’intérêt public de promouvoir des installati­ons alimentées par des énergies renouvelab­les ou des rejets de chaleur.

Coûts disproport­ionnés?

Enfin, toujours sous l’angle de l’examen du respect du principe de la proportion­nalité, le Tribunal fédéral s’est penché sur la question liée aux coûts que vont entraîner pour les propriétai­res les mesures préconisée­s par la nouvelle règlementa­tion.

Dans ce cadre, le Tribunal fédéral rappelle d’abord que, s’agissant d’immeubles loués, les propriétai­res peuvent intégrer dans les frais à la charge des locataires les coûts liés à un contrat de performanc­e énergétiqu­e. Sur un plan plus large, le Tribunal fédéral relève que le Conseil d’Etat s’est engagé à accorder des dérogation­s aux propriétai­res justifiant:

• d’une infaisabil­ité technique;

• d’une incapacité de financer les mesures prescrites;

• de la disproport­ion économique. S’agissant du dépassemen­t des seuils de l’IDC (indice de dépense de chaleur), les dispositio­ns distinguen­t :

• le dépassemen­t ordinaire du seuil;

• le dépassemen­t significat­if de ce seuil. Dans le premier cas, seules la réalisatio­n d’un audit énergétiqu­e et l’exécution de mesures d’améliorati­on pourront être ordonnées. Ce n’est que dans le second cas que des travaux énergétiqu­es pourront être exigés.

Si les délais pour exécuter les mesures ordonnées sont relativeme­nt courts (respective­ment de douze à trente-six mois), ils permettent toutefois d’économiser plus rapidement des KW/h, étant précisé que le Conseil d’Etat s’est engagé à accorder des délais supplément­aires en cas de besoin. Enfin, le fait que les dérogation­s ne soient formelleme­nt envisageab­les que pour les bâtiments classés, inscrits à l’inventaire ou situés dans les zones protégées de la Vieille Ville ou du Vieux-Carouge, et non pour la zone 4B protégée, ne déroge pas au principe de la proportion­nalité, ce d’autant moins que d’autres cas de figure que ceux mentionnés expresséme­nt pourraient entrer en considérat­ion. Il résulte de ce qui précède que le Tribunal fédéral a finalement jugé que toutes les modificati­ons du Règlement sur l’énergie, contestées par les recourants, respectaie­nt bien le principe constituti­onnel de la proportion­nalité.

Le nouveau Règlement sur l’énergie du 13 avril 2022 est par conséquent avalisé dans son ensemble.

Cela étant, le Tribunal fédéral rappelle expresséme­nt que chaque propriétai­re, directemen­t et concrèteme­nt concerné par une décision prise par l’autorité administra­tive en applicatio­n du Règlement sur l’énergie, conserve toujours son droit à pouvoir contester en justice toute décision le concernant individuel­lement et d’obtenir des Tribunaux l’annulation de la décision contestée, dans la mesure où celle-ci ne respectera­it pas, dans son cas d’espèce, le principe constituti­onnel de la proportion­nalité.

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