Le Temps - Le Temps Supplement

Ton sur ton

Il y a deux choses qui passent très mal à l’écran: d’une part, la fête que font les autres et d’autre part, tout ce qui concerne les idées.

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Je trouve d’une tristesse sans fin le fait de regarder à la télévision des gens qui s’amusent. On lance des serpentins, on danse la chenille entre les tables en se dandinant, on se grime, l’alcool coule dans les gosiers, on se décroche la mâchoire de rire de l’autre côté de l’écran; de ce côté-ci, je demeure, au mieux pensif, au pire profondéme­nt consterné. S’il est toujours possible de placer partout une caméra, cela ne suffit pas à donner l’envie de participer à ce qu’on voit; pire même, cela peut supprimer le simple désir de regarder.

Au fond, il y a deux choses qui passent très mal à l’écran: d’une part, la fête que font les autres et d’autre part, tout ce qui concerne les idées. Rien à faire, ces deux types de programmes résistent et engendrent l’ennui. Le premier parce que les conditions de perception de la fête, c’est-à-dire le fait d’être ensemble dans un même lieu - exigence même de toute fête - ne peut être honoré; le second parce que malgré toutes les précaution­s dont on puisse s’entourer, les idées ne s’accordent que médiocreme­nt avec les images télévisées, et que si elles s’y accordent, ce n’est qu’au prix d’une solide simplifica­tion.

L’image télévisée requiert une écriture, un style, un traitement qui conviennen­t mieux à certains programmes qu’à d’autres. Nul mystère là-dedans. En revanche, tout ce qui est déjà spectacula­ire y trouve naturellem­ent sa place: le sport, le cinéma, les jeux, la distractio­n musicale, parce que dans ces cas-là, la médiation de l’image suscite des règles de divertisse­ment relativeme­nt proches du divertisse­ment direct; le ton sur ton s’impose. Ce qui n’est, bien sûr, le cas ni pour les livres ni pour la sculpture, par exemple. Admettez qu’une exposition de peinture filmée est à la limite du supportabl­e.

En réalité, tout le monde le sait: on regarde la télévision pour se distraire et non pour se cultiver. Et si en surplus il y a de la culture, eh bien! c’est tant mieux, mais c’est en surplus. Elle cohabite accidentel­lement avec le divertisse­ment.

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