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Edouard Morerod, le regard d’abord

L’artiste vaudois Edouard Morerod a toujours voyagé comme il a peint, avec cette promptitud­e à saisir l’instant, le temps de saisir dans les visages l’authentici­té tant recherchée. Exposée à la Galerie de l’Hôpital de Morges, une oeuvre de lumière, de fin

- VIVIANE SCARAMIGLI­A

L’enfance, l’insoucianc­e, Edouard Morerod n’y a guère eu droit. Orphelin de père et de mère à douze ans, ballotté d’une pension à l’autre, il sut d’instinct que le sens de sa vie serait tourné vers le dehors, vers l’ailleurs, vers la lumière. Partir tel un impérieux appel pour conjurer le sort. Le large devant lui, comme une sorte d’infini prometteur. Il voulait être écrivain, poète. Orienté par Théophile A. Steinlen, l’artiste

L de la liberté, il sera, hors toute école, l’homme du trait et du regard. Nomade solitaire, ce natif d’Aigle/VD (1879-1919) aura beaucoup voyagé durant sa courte vie, du nord au sud de l’Europe, de la Russie des tsars, où il est précepteur, à l’Orient en passant

Idbseun. par la Norvège pour rencontrer

Dans ses bagages, des villes aussi, à foison, à commencer par Paris où il vit, entouré d’artistes. Dès 1904, l’Espagne l’ensorcelle. L’Andalousie poignante d’un soleil tragique porté par le chant flamenco lui apprend ce qu’est la couleur de l’ombre. Dans ces aspiration­s migratoire­s, le Maroc apparaît comme un prolongeme­nt de cette découverte ibérique.

L’ailleurs comme vérité

Orientalis­te à sa façon, fiévreux, souvent fauché, cet ami de Marius Borgeaud n’est

pas en quête d’exotisme; il est celui qui tente inlassable­ment de transperce­r l’apparence pour mettre à jour une réalité humaine. D’abord dessinateu­r au crayon, au fusain et pastellist­e virtuose, le peintre se voue en effet presque exclusivem­ent à la figure, hormis quelques paysages de montagne et pochades à St-Jean-de-Luz. A travers la pureté du trait, le sens exacerbé des nuances et la finesse de la matière veloutée, seule compte l’expression originelle, libérée de fioritures.

En captant ce qu’offrent les peuples à son oeil acéré, Morerod participe au mystère d’un regard, d’un sourire à peine esquissé. Il dresse une géographie de l’époque à travers des centaines de portraits d’inconnus, du Paris léger au Tanger pauvre et rude, mais aussi de modèles féminins dont il s’éprend. Pastora, belle gitane de Séville, s’imposera dans la durée comme une égérie incontourn­able. Les portraits d’elle datent de 1907 jusqu’à sa disparitio­n en 1917. Violette Lasala, demi-soeur du poète Superviell­e que l’artiste surnomme «la Dame admirable», fait aussi partie de ces tragiques effigies à la beauté fragile, caressée de craies poudreuses et sensuelles. Elle sera le prélude à une recherche plastique toute à l’économie, le trait pour le trait afin de parvenir à l’essentiel. Un ultime exercice de maturité. Morerod, emporté par la tuberculos­e, s’éteint à Lausanne en 1919, à l’âge de 40 ans.

Regain de succès

De son vivant, Morerod eut sa part d’exposition­s et de renommée. En 1907, il est membre du jury du Salon d’Automne à Pa

ris. En 1913, le Musée Rath lui consacre une grande rétrospect­ive. Mais il aura fallu près de vingt ans pour que son oeuvre émerge à nouveau. Du Musée d’art de Pully/VD à la Fondation l’Estrée à Ropraz/VD où l’exposition-vente de 2021 connut un succès sans précédent, les présentati­ons se succèdent depuis huit ans.

«Le fait d’exposer aujourd’hui l’artiste dans un hôpital fait d’autant plus sens

qu’à partir de 1914, il effectua des séjours à Leysin pour tenter de guérir du mal qui l’emportera», note Jacques Dominique Rouiller, président de l’Associatio­n des amis de l’artiste et commissair­e de l’exposition. Autour de 43 oeuvres choisies qui font voyager, notons la vidéo signée Patrick Gehri qui, entre dessins préparatoi­res, croquis et aquarelles, met en lumière les thèmes embrassés par l’artiste

au cours d’une vie aussi trépidante qu’incertaine. Hormis les oeuvres prêtées, toutes sont à vendre.

Edouard Morerod – L’art du trait et du regard Jusqu’au 21 juin 2024

Galerie de l’Hôpital de Morges

EHC Ensemble Hospitalie­r de La Côte galerie@ehc.vd.ch – www.ehc-vd.ch

 ?? ?? Edouard Morerod dans son atelier, vers 1912.
Edouard Morerod dans son atelier, vers 1912.
 ?? ?? Pastora à la coiffe rouge, non daté, pastel.
Pastora à la coiffe rouge, non daté, pastel.
 ?? ?? La Dame admirable V, 1918, pastel.
La Dame admirable V, 1918, pastel.

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