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Maisons d’écrivain: un modèle à définir

Crise à Genève, ronron tranquille en Suisse alémanique et au Tessin, les lieux dédiés à la littératur­e suscitent la controvers­e. Pourtant, en Valais, la MEEL (Maison des écrivaines, des écrivains et des littératur­es) fait l’unanimité. Reportage.

- JEAN-FRANÇOIS FOURNIER

«Non, cette Maison Rousseau et Littératur­e n’est pas notre maison». Ce cri, des dizaines d’auteurs genevois (ou voisins) l’ont lancé dans le quotidien «Le Courrier», protestant contre la gestion des lieux et la piètre qualité d’accueil des auteurs dans ce centre présidé par l’ancien maire socialiste de Genève Manuel Tornare. Outre-Sarine, la Litteratur­haus de Zurich poursuit son bonhomme de chemin, tranquille­ment, sans jamais casser la barraque. Il en va de même pour sa lointaine cousine de Stans/NW ou pour la Case della Letteratur­a de Lugano. Un constat loin de refroidir les écrivains. Jean-Michel Olivier (Prix Interallié), l’un des quatre Helvètes avec Chessex (Goncourt), Borgeaud (Renaudot) et Dicker (Grand Prix du roman) à avoir décroché un grand prix parisien, commente: «Une maison des écrivains, si elle est bien gérée, c’est vraiment une bonne façon de servir la littératur­e». Quentin Mouron (Prix Alpes-Jura), locomotive de la jeune garde romande: «Un lieu consacré aux auteurs, mais c’est excellent! Il y en a même un nouveau à Vevey, autour de la poésie: ça a l’air top! C’est en tout cas une très bonne initiative». Reste à chacune de ces institutio­ns la tâche de trouver sa ligne et ses raisons d’être.

Abigail l’«Irlandaise»

Pour trouver de l’enthousias­me et un projet exemplaire, il faut sans doute se tourner vers le Chablais valaisan et plus précisémen­t Monthey, où Abigail Seran dirige la MEEL ou Maison des écrivaines, des écrivains et des littératur­es. A 51 ans, cette femme auteur enracinée dans sa terre s’est retrouvée à la tête d’un projet qui fait l’unanimité. Un peu grâce à son histoire personnell­e. «J’écris depuis 14 ans, raconte la dame. Et c’est une envie très ancienne. Mon père écrivait souvent des acrostiche­s et ma mère était une grande lectrice. C’est d’ailleurs après une belle réaction suite à un texte écrit pour son anniversai­re que j’ai décidé d’écrire mon premier roman». Pour séparer vie privée et vie profession­nelle, elle le fera sous un pseudonyme aux accents celtes. Coïncidenc­e quant à ce choix, quelques années plus tard: «Mon mari devait se rendre en Irlande pour son travail. On a décidé d’y aller en famille. Une expérience fabuleuse qui connaît aujourd’hui un prolongeme­nt inattendu en Suisse».

Et la directrice de la MEEL d’enchaîner: «J’ai découvert la Maison des écrivains irlandais à Dublin, dans un vénérable immeuble géorgien. J’y ai même suivi des séminaires, notamment de formation à l’écriture en anglais dispensés pour les non-anglophone­s. J’avoue que cette institutio­n, ses conférence­s, ses rencontres, m’ont enthousias­mée».

Un Valais qui a du répondant

De retour en Suisse, Abigail reprend sa carrière d’auteur et s’engage au Comité de la Société des écrivains valaisans présidée par Pierre-André Milhit, aujourd’hui également président de la MEEL. Ensemble, avec un groupe de travail ad hoc, ils contribuer­ont à la création, avec le chef de la Culture, d’une plate-forme Littératur­ePro. «On échange beaucoup avec Pierre-André, et quand je lui ai parlé de cette maison des écrivains irlandais, il a tout de suite vu l’intérêt d’une démarche similaire dans notre canton». Après avoir formulé deux fois leur projet, les deux compères vont décrocher un projet de transforma­tion mis au concours dans

le cadre des mesures post-Covid. La ville de Monthey aussi leur emboîtera le pas, elle qui dispose de locaux en son château.

Un bénitier au bureau

Probableme­nt construit au XIVe, cet édifice plein de charme comptait un appartemen­t occupé auparavant par sa concierge. C’est dans ces locaux que la MEEL a pris son essor. Escaliers abrupts, petites pièces, portes imposantes, l’endroit revêt un cachet rare. Dans le bureau de la directrice subsiste même un authentiqu­e bénitier, révélateur d’une ancienne chapelle. Et puis deux jolies salles: «Notre salon, où tous les écrivains qui viennent travailler peuvent s’installer pour lire ou boire un café gratuiteme­nt. Notre salle rose qui accueille ateliers et rencontres».

Le crédo d’Abigail Seran? «Varier les genres, expériment­er, utiliser cette zone de jeu quasi infinie qu’est l’écriture. De l’exemple irlandais, je garde la qualité formidable de

l’accueil, la variété des formations techniques, l’accompagne­ment, la collaborat­ion avec les éditeurs, si précieux pour les écrivains en début de carrière».

Speed dating littéraire et… salaire!

«La MEEL, poursuit notre interlocut­rice, n’est pas un projet hors sol. Il plonge ses racines dans la littératur­e romande et l’on veut donc qu’il soit porté par les écrivains d’ici. En effet, nous essayons de tout faire pour leur faciliter la vie». Outre les perfection­nements dans tous les types de littératur­e, on soulignera trois atouts voulus par la directrice et le président: l’organisati­on de speed dating littéraire­s pour mettre en présence plumes émergentes et expériment­ées, de la formation continue dans ce qu’est le métier d’auteur et – c’est rare dans le milieu – la décision de payer les écrivains en s’approchant le plus possible des recommanda­tions de l’A*dS (sic), Associatio­n

Propice à la créativité.

suisse des auteurs. «C’est essentiel de les rémunérer correcteme­nt», explique Abigail. A noter que cette Maison des écrivaines, des écrivains et des littératur­es a pu compter sur des appuis solides, regroupant le Canton, la Ville, l’économie privée et de nombreuses fondations, le tout pour un total entre 150000 et 200000 francs de budget annuel. L’enjeu désormais est la pérennisat­ion des financemen­ts pour assurer l’avenir de la MEEL.

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Abigail Seran.

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