Le Temps

La grande mue d’Al-Nosra

Le chef de la branche syrienne d’Al-Qaida fait assaut de bonnes dispositio­ns Soutenu par les pays du Golfe, il semble quêter davantage de respectabi­lité

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La branche syrienne d’Al-Qaida veut désormais s’afficher comme une composante respectabl­e de l’opposition au régime de Bachar el-Assad.

Luis Lema

Ce sont des déclaratio­ns en forme d’aggiorname­nto. La promesse d’une grande mue visant à s’adapter à la nouvelle donne internatio­nale. Le Front Al-Nosra – qui a fait allégeance à Al-Qaida et qui contrôle une partie importante de la Syrie – veut désormais que les choses soient claires: il entend s’afficher comme une composante respectabl­e de l’opposition au régime syrien de Bachar el-Assad.

«Les chrétiens, les alaouites, les druzes? Ils sont bienvenus pour participer aux combats, aux côtés des islamistes», a assuré leur chef, Abou Mohamed al-Golani, dans une interview-fleuve accordée à la chaîne qatarie Al-Jazira. A la condition près, il est vrai, que les alaouites acceptent de se convertir au sunnisme. «Même les Occidentau­x peuvent dormir sur leurs deux oreilles», a poursuivi le chef d’Al-Nosra, dont le visage était recouvert d’un châle et qui se montrait habillé d’une simple chemise à carreaux. «Les instructio­ns que nous avons reçues sont de ne pas utiliser le Levant (la Syrie) comme une base pour attaquer l’Occident (lire les Etats-Unis) ou l’Europe, afin de ne pas salir la guerre actuelle», précisait-il.

Le Front Al-Nosra a été inscrit sur la liste des organisati­ons ter- roristes par les Etats-Unis et une série d’autres Etats à la fin 2012, en même temps que l’Etat islamique (Daech). Al-Qaida a cependant désavoué Daech au début de l’année dernière et les deux organisati­ons sont parfois opposées sur le terrain.

Mais aujourd’hui, Al-Nosra a le vent en poupe en Syrie: avec l’aide, plus ou moins directe, de l’Arabie saoudite, du Qatar et de la Turquie, le Front a multiplié les victoires récentes face à l’armée syrienne. Son prochain objectif? C’est Damas, a fanfaronné Al-Golani, même s’il rechignait à se montrer «trop opti- miste».

Quitte à embarrasse­r son allié américain, l’Arabie saoudite semble avoir choisi son poulain dans la guerre qui l’oppose au régime de Bachar el-Assad et, derrière lui, à l’Iran chiite. Reste, néanmoins, à donner aux combattant­s d’Al-Nosra des allures plus aimables et, surtout, à les

distinguer plus clairement de leurs cousins rivaux de l’Etat islamique.

De fait, l’image d’Al-Nosra est déjà, sur le terrain, très différente de celle des djihadiste­s de Daech. Formé principale­ment de combattant­s provenant de Syrie, et non de l’étranger, opposé au rigorisme affiché par Daech (notamment sur la question des «peines» à infliger aux déviants), Al-Nosra a refusé jusqu’ici d’établir un «émirat» sur les terres qu’il contrôle. «Ils sont mieux acceptés par la population, même s’il s’agit avant tout pour les gens d’une manière de garantir leur sécurité et non d’une adhésion idéologiqu­e», affirme Tawfik Chamaa, un médecin d’origine syrienne qui connaît très bien la réalité du terrain.

Voilà plusieurs semaines, en réalité, que l’on s’attend à ce que le Front Al-Nosra annonce officielle­ment son divorce d’avec Al-Qaida. «Pour les gens sur le terrain, ce dénouement semble inévitable, poursuit Tawfik Chamaa. Sur le plan internatio­nal, l’équilibre actuel n’est pas viable.» Sur le papier, en effet, l’objectif des Occidentau­x reste celui d’amener en Syrie un vent de démocratie et de liberté. Un dessein difficilem­ent compatible avec l’installati­on au premier rang d’un groupement se réclamant d’Al-Qaida.

Officielle­ment, tant l’Occident que les pays du Golfe continuent de miser sur l’Armée syrienne libre, une formation laïque composée surtout d’anciens militaires syriens. Mais la progressio­n militaire d’Al-Nosra et de ses alliés (regroupés dans la coalition Armée de la conquête) semble montrer que le vent a bel et bien tourné. Al-Nosra est autrement plus efficace sur le terrain. Or c’est l’efficacité que cherchent désormais les pays du Golfe face à la présence de l’Iran dans la région.

Sur le chemin qu’il a tracé en direction de Damas, Abou Mohamed al-Golani accorde une place de choix au Hezbollah chiite libanais, qui est devenu le fer de lance de l’armée syrienne du régime de Bachar el-Assad. «Aussitôt que Bachar sera vaincu, ce sera la fin du Hezbollah», pronostiqu­ait dans l’interview le chef d’AlNosra. Pour une raison bien simple, à ses yeux: «Le Hezbollah connaissai­t la laideur du régime syrien. Il savait que son destin allait être étroitemen­t lié à celui de Bachar el-Assad.»

L’administra­tion de Barack Obama se laissera-t-elle convaincre par ce nouveau ton? Les Américains sont convaincus qu’Al-Nosra dispose en Syrie d’une cellule – le groupe Khorasan – spécialeme­nt dédiée à préparer des attentats en Occident. «Khorasan? Jamais entendu parler», s’exclamait Abou Mohamed al-Golani.

Le prochain objectif du Front Al-Nosra? C’est Damas, même s’il ne faut pas se montrer «trop optimiste»

Les djihadiste­s du Front AlNosra et leurs alliés islamistes se sont emparés jeudi d’Ariha, la dernière ville de la province syrienne d’Idlib (nord-ouest) qui était encore aux mains du régime. (AFP)

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Interviewé sur Al-Jazira, Abou Mohamed al-Golani (de dos et couvert d’un châle), le chef d’Al-Nosra, a la volonté de conquérir la capitale syrienne.

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