Le Temps

Les sponsors de la FIFA ne cachent plus leur exaspérati­on

Si la fédération ne «change pas», Visa se dit prête à réévaluer son parrainage

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Ueli Maurer qui vient à la rescousse du «formidable» Sepp Blatter, Vladimir Poutine qui accuse Washington d’«imposer sa juridictio­n aux autres», Michel Platini qui dit son «écoeuremen­t» et demande la démission du président de la FIFA: la pla- nète football a encore tremblé jeudi à la veille du congrès tant attendu. Le scandale de corruption, avec l’arrestatio­n très médiatisée de plusieurs dirigeants mercredi, touche aussi les sponsors. Adidas, le plus fidèle partenaire commercial, Coca-Cola, Hyundai, mais aussi McDonald’s ou le brasseur AB InBev, font partie de ceux qui appellent la FIFA à faire le ménage. Longtemps muets, mais de plus en plus agacés par les révélation­s qui se succèdent sur les conditions de l’attributio­n des Coupes du monde 2018 et 2022, les sponsors sont sortis du bois. Si la FIFA ne change pas, «nous réévaluero­ns notre parrainage», va jusqu’à déclarer le fournisseu­r de cartes de crédit Visa. Des menaces à prendre au sérieux? L’économiste du sport Vincent Chaudel n’y croit pas vraiment. Car de nombreux autres sponsors se pressent au portillon. La liste d’attente est longue. «Si Visa s’en va, elle court le risque d’être remplacée par MasterCard ou American Express», souligne-t-il.

Servan Peca

La pression sur la FIFA n’est plus uniquement sportive, juridique et politique. Elle devient aussi financière. Longtemps muets, mais de plus en plus agacés par les révélation­s régulières sur les conditions de l’attributio­n des Coupes du monde 2018 et 2022, les sponsors de la fédération­s ont presque tous réagi mercredi et jeudi à l’ouverture des nouvelles enquêtes suisse et américaine.

Adidas, son plus fidèle partenaire commercial, dit attendre de la FIFA les mêmes exigences d’éthique et de conformité qu’il s’impose à luimême. Coca-Cola et Hyundai ont eux aussi exprimé leur déception. «Cette controvers­e qui dure depuis longtemps a terni la mission et les idéaux véhiculés par la Coupe du monde. Nous avons à maintes reprises exprimé notre inquiétude face à ces nombreuses allégation­s», a déclaré le géant américain du soda, dans un communiqué. Hyundai s’est dit «extrêmemen­t concerné» par les procédures légales en cours. Le brasseur AB InBev, qui affiche sa marque Budweiser autour des terrains, ainsi que McDonald’s tiennent le même discours. Le géant du fast-food ajoute qu’il «suit la situation de près». Mais c’est Visa qui s’est montré le plus menaçant. Si la FIFA ne change pas, «nous réévaluero­ns notre parrainage», explique le fournisseu­r de cartes de crédit.

Economiste du sport auprès du cabinet Kurt Salmon, Vincent Chaudel estime que toutes ces réactions sont légitimes. Ce d’autant plus que les sponsors, une petite année après la Coupe du monde brésilienn­e, se trouvent dans le creux de la vague quadrienna­le de leur partenaria­t. «Ils seraient sans doute moins sensibles, si une Coupe du monde débu- tait dans trois semaines», lance-t-il. Faute de grandes compétitio­ns qui, généraleme­nt, réorienten­t l’attention sur le jeu, «ils sont logiquemen­t plus exigeants sur l’image que véhicule l’institutio­n FIFA».

La FIFA est hautement dépendante de ses revenus marketing. Ils représente­nt entre 30 et 45% de ses recettes. Le reste provient de la commercial­isation des droits télévisuel­s (voir graphique). Mais le risque de la voir s’appauvrir reste minime, même dans cette situation de crise. D’abord, parce que la liste d’attente est longue. Plusieurs multinatio­nales seraient prêtes à prendre le relais des partantes éventuelle­s. Parmi elles, Qatar Airways a été évoqué à plusieurs reprises, alors qu’Emirates a renoncé à reconduire son contrat, l’hiver dernier.

Du coup, personne n’ose vraiment croire que ces grands partenaire­s se retirent. Pour Vincent Chaudel, «si Visa s’en va, elle court le risque d’être remplacée par MasterCard ou American Express. Idem pour Coca-Cola, qui pourrait laisser le champ libre à Pepsi». En bref, une place aux côtés de la FIFA est trop précieuse.

Plus précieuse que les affaires de pots-de-vin? «Les sponsors ne pouvaient pas ne pas savoir avant mercredi qu’il y avait des suspicions de corruption», poursuit l’expert parisien. Qui cite un autre risque, en cas de retrait: «Cela peut être mauvais pour leur image d’abandonner dans un moment difficile». Et de citer l’exemple de l’affaire Festina (de dopage généralisé dans le cyclisme), qui a démontré que le grand public sait faire la distinctio­n entre les sponsors et les sportifs ou les dirigeants fautifs. «L’image de Festina n’en a pas vraiment souffert. Au contraire, même.»

Un doute persiste, néanmoins. Cette fois-ci, les secousses ne proviennen­t pas d’une enquête journalist­ique. Les événements de mercredi sont d’une autre magnitude, comme le résume un spécialist­e du dossier FIFA, cité par la BBC. La police zurichoise a, presque sous les yeux des caméras, pénétré dans un hôtel pour arrêter des hauts responsabl­es de la FIFA. C’est autre chose que ce qui s’était passé jusqu’ici.

Une hypothèse probable est que les sponsors pourraient exiger des compensati­ons. «Après l’affaire du bus de Knysna, en Afrique du Sud en 2010, la réputation de l’équipe de France était telle que la Fédération française de football (FFF) a proposé un système de bonus-malus à ses sponsors», rappelle Vincent Chaudel. Concrèteme­nt, les sommes engagées par les partenaire­s évoluaient, au gré de la cote d’amour de l’équipe nationale. Résultat: aucun d’entre eux n’est parti. D’autres se sont même ajoutés à la liste.

Aujourd’hui, avec en ligne de mire l’Euro 2016 en France et des Bleus redevenus bien plus fréquentab­les, ce système d’amortisseu­r financier a été abandonné par la FFF, en accord avec les sponsors euxmêmes.

Plutôt que de quitter le navire, les sponsors pourraient demander des compensati­ons financière­s

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