Le Temps

Etudier dans une grande école n’est pas toujours bénéfique. Nos offres d’emploi

Un établissem­ent trop prestigieu­x peut plus facilement mener à un abandon d’études Pour un étudiant réellement brillant, mieux vaut choisir une université «quelconque»

- Amanda Castillo

Chaque année, des milliers d’étudiants à travers le monde planchent sur leurs dossiers de candidatur­e dans l’espoir d’être admis dans une institutio­n d’élite. Parmi les établissem­ents les plus prisés figurent «Oxbridge» (contractio­n d’Oxford et Cambridge), ainsi que les huit université­s privées de la Ivy League, aux EtatsUnis. Et pour cause. Les plus grands de ce monde ont foulé leurs allées. Plus de 40 lauréats de Prix Nobel et plus de 50 dirigeants mondiaux sont liés à l’Université d’Oxford. Outre-mer, Franklin Roosevelt, John F. Kennedy, George W. Bush, Barack Obama, Bill Gates, Mark Zuckerberg, Natalie Portman ou encore Matt Damon ont fréquenté les bancs de Harvard. Michelle Obama, Jeff Bezos et F. Scott Fitzgerald ceux de Princeton. Quant à Yale, ses murs ont entre autres abrité George H. Bush, Bill et Hillary Clinton, Jodie Foster, Paul Newman et Jennifer Connelly.

Pour beaucoup, fréquenter une grande école signifie que l’on arpentera plus tard les allées du pouvoir. Les candidats à se bousculer au portillon sont naturellem­ent très nombreux. Seule une poignée d’élus – 8% en moyenne – atterrit cependant chaque année dans le saint des saints. Les 92% restants n’ont d’autre choix que de rejoindre les rives d’une école de moindre réputation. Sont-ils à plaindre? Pas nécessaire­ment.

Dans son best-seller David & Goliath, Malcolm Gladwell bat en brèche certaines idées reçues. Ainsi, étudier dans une grande

école n’est pas forcément une bénédictio­n. Dans certains cas, cela peut même se transforme­r en handicap. En effet, si l’élitisme des écoles de la Ivy League est capable de produire un petit nombre d’individus aussi brillants que charmants qui constituen­t la classe dirigeante, il laisse aussi de nombreux étudiants face à un sentiment de frustratio­n, de démotivati­on et d’abandon. L’écrivain cite l’exemple de Caroline Sacks, ancienne première de classe admise à l’Université de Brown, qui s’est très vite retrouvée à la traîne dans les matières scientifiq­ues, son sujet de prédilecti­on. L’étudiante s’est dans un premier temps sentie dévalorisé­e par rapport à ses camarades qui obtenaient de meilleures notes qu’elle. Au fil des semestres, elle a perdu toute confiance en elle. Ce sentiment l’a conduite à l’abandon de ses études alors qu’elle avait de réelles prédisposi­tions scientifiq­ues. Comment expliquer ce paradoxe? La prestigieu­se Université de Brown n’était-elle pas le terreau éducatif idéal à l’épanouisse­ment de ses aptitudes scientifiq­ues?

La théorie de la privation relative, développée par Samuel Stouffer pendant la Seconde Guerre mondiale, permet d’éclairer cette apparente contradict­ion. Selon le sociologue, les individus établissen­t sans cesse des comparaiso­ns entre leur situation et celle de leur entourage immédiat. Le jugement qu’ils portent sur leur propre état est donc parasité, voire déformé, par les multiples références à la situation d’autrui. Ainsi, un individu très aisé, par exemple, sera insatisfai­t de sa condition s’il se compare à un individu plus riche que lui. De la même manière, un étudiant intelligen­t se percevra comme médiocre, s’il se compare à ses camarades plus doués.

Cette perception erronée de la réalité est d’autant plus marquée si l’on étudie dans une grande école. En effet, l’élève de Brown ou de Harvard qui se perçoit comme médiocre ne tient pas compte du fait qu’il fait déjà partie du petit groupe d’universita­ires – les fameux 8% – les plus brillants au monde. Cet effet, baptisé Little Fish-Big Pond Effect (petit poisson-grand bassin) par le psychologu­e Herbert Marsh, explique pourquoi il est préférable d’étudier dans une université lambda si l’on ne fait pas partie de la «crème de la crème» de l’élite. En d’autres termes, dans les «tops grandes écoles», où le recrutemen­t se fonde sur l’excellence scolaire, seule une poignée d’individus à l’intelligen­ce hors norme parvient à briller. A l’inverse, il est plus facile de se distinguer dans une école de moindre renommée.

Ainsi, si Caroline Sacks avait suivi le programme d’une université quelconque, elle aurait été classée parmi les meilleurs de sa promotion et aurait embrassé une carrière scientifiq­ue. «Nous prenons rarement le temps de réfléchir et de nous demander si les institutio­ns les plus prestigieu­ses sont celles qui nous procurent le plus d’avantages, résume Malcolm Gladwell. Le grand étang prend des étudiants réellement brillants et il les démoralise.»

L’effet «petit poisson-grand bassin» est également applicable au monde profession­nel. Les compétence­s d’un programmeu­r brilleront plus dans une petite start-up que chez Google, et un jeune architecte aura meilleur temps de démarrer sa carrière dans un petit bureau que chez Jean Nouvel.

Par ailleurs, faut-il rappeler que de nombreux patrons qui ne disposent d’aucuns diplômes universita­ires dirigent aujourd’hui des entreprise­s et réalisent des milliards d’euros de chiffre d’affaires? Parmi les plus célèbres, citons François Pinault, troisième fortune de France, qui a quitté le collège à l’âge de 16 ans sans même avoir le bac, mais aussi le fondateur d’Ikea Ingvar Kamprad, Karl Hans Albrecht, fondateur de la chaîne de supermarch­és Aldi, ou encore Larry Ellison, cofondateu­r et président-directeur général d’Oracle.

Les employeurs attachent plus d’importance à la personnali­té qu’aux diplômes prestigieu­x

Du côté des recruteurs, le profil du self made man débrouilla­rd semble séduire tout autant si ce n’est plus qu’un individu au parcours classique et balisé. Christiane Morel du cabinet de recrutemen­t de cadres et spécialist­es Ethys sis à Genève, explique que «les employeurs et en particulie­r les grosses PME attachent plus d’importance à l’expérience profession­nelle, aux succès, à la personnali­té ou encore à l’ambition qu’aux diplômes des top schools.» Des propos nuancés par Martine Gauderon, du cabinet Alec Allan: «Les super-diplômes ouvrent toutes les portes en début de carrière. Par la suite, la personnali­té, la motivation, les langues, et surtout la capacité de penser hors des sentiers battus font la différence. Un individu qui n’est pas diplômé d’une grande école peut ainsi parfaiteme­nt se démarquer et faire un parcours brillant», conclut-elle.

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CAMBRIDGE, MASSACHUSE­TTS (USA), 30 MAI 2013 Etudier dans une grande école, comme ici à Harvard, n’est pas forcément une bénédictio­n.

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