«Sois un homme, voile ta femme»
Jupe trop longue en France, trop courte en Algérie. La police vestimentaire sévit un peu partout et enflamme les réseaux sociaux
Marie-Claude Martin
En mai, fais ce qu’il te plaît. Les proverbes n’ont pas toujours raison. La police des ourlets est très active en ce printemps, en France et en Algérie.
En France d’abord. On se souvient de Sarah, 15 ans, qui s’est vu refuser en avril dernier l’entrée de son collège à Charleville-Mézières, au motif que sa jupe noire était trop longue. Aux yeux de la principale, il s’agissait d’un «signe ostentatoire d’appartenance religieuse». Elle n’est pourtant pas la seule à se vêtir ainsi dans sa classe – la jupe aux chevilles est tendance cet été – mais la jeune fille étant musulmane et portant le voile en dehors de l’école, la direction y a vu une provocation prosélyte. On sort ainsi du cadre strict de la loi sur la laïcité de 2004 pour aller vers une lecture élargie, laissée à l’appréciation de n’importe quelle autorité. On sanctionne l’arrière-pensée, l’intention, et non le fait.
Le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) dit traiter en moyenne, chaque année, une centaine de litiges similaires. L’Observatoire de la laïcité le confirme. En soutien à la collégienne, le hashtag #Jeportemajupecommejeveux a été lancé, qui a connu et connaît toujours un immense succès. L’humour n’y est pas absent. On se demande par exemple si toutes les stars qui ont défilé à Cannes ne seraient pas un peu musulmanes, au vu de la longueur de leur robe.
En Algérie, à l’inverse, c’est une jupe trop courte qui a mis le feu aux réseaux sociaux. Le 9 mai, un agent de sécurité a empêché une étudiante de passer le concours d’avocats parce qu’il jugeait sa robe, juste au-dessus du genou, pas assez respectueuse. Le sur- veillant a reçu le soutien du recteur au nom de la «décence».
Choquées, les Algériennes, sous la houlette de la réalisatrice Sofia Djema, ont aussitôt créé une page Facebook, «Ma Dignité N’est Pas Dans La Longueur de ma Jupe», qui invitait les hommes et les femmes à montrer leurs jambes. En quelques jours, 15 000 personnes ont suivi ce mouvement de solidarité. Mais quelques jours plus tard, la page était piratée, confisquée par «des crypto-islamistes» qui y ont déposé insultes, menaces et posté des photos de leur sexe en érection, comme l’explique la réalisatrice dans une tribune de L’Obs. Sofia Djema fait un autre constat: «Le corps de la femme devient un champ de bataille quand la situation d’un pays est désastreuse. […] Marcher dans la capitale, que ce soit vêtue en jupe ou en pantalon, et même voilée, suffit désormais à provoquer des réactions hyper violentes.»
Justement, pour lutter contre le harcèlement, les mouvements conservateurs tiennent leur parade: une campagne de «pureté» intitulée «Sois un homme» qui fait actuellement fureur sur le Web. Le principe? Inciter les pères, époux et frères à obliger leurs filles, épouses et soeurs à se voiler pour les «protéger» des agressions. Puisque selon eux, ce sont les femmes non voilées qui sont la cause première du harcèlement.
Le journal El Watan parle d’une véritable Inquisition et d’une campagne très virulente qui promet, dès le début du mois de Ramadhan, «le calvaire» aux femmes qui s’aviseraient de sortir en tenue «non légale».
Il faut dire que les conservateurs n’ont toujours pas avalé la loi votée le 5 mars par le parlement algérien qui criminalise la violence conjugale contre les femmes et protège leurs intérêts financiers. Le texte introduit aussi la notion de harcèlement dans les lieux publics, véritable fléau. Certains élus ont dénoncé ce texte «occidental» qui «interfère dans la vie privée», «un texte contraire aux préceptes coraniques et qui vise la dislocation de la famille». Un texte surtout qui relativise le pouvoir du chef de famille.
Des deux côtés de la Méditerranée, la jupe est ainsi devenue source de conflit, de tensions et de crispations. Comme en témoigne cette nouvelle lancée le 20 mai par le site El-Manchar, sorte de Gorafi du Maghreb: «La mini-jupe sera totalement interdite en Algérie.» C’était une blague. Mais le temps de démentir, Facebook, Twitter et autres Instagram étaient déjà saturés.