Chaude alerte à l’arme biologique Etats-Unis
Des agents de l’anthrax ont été mal désactivés
Les bacilles tueurs n’étaient pas morts… C’est la très mauvaise surprise qu’ont éprouvée des chercheurs d’un laboratoire américain à l’identité gardée soigneusement secrète (sinon qu’il se situe dans l’Etat du Maryland, près de Washington). Les organismes soidisant désactivés que leur avait envoyés le laboratoire militaire de Dugway, dans l’Utah, ont donné signe de vie devant leurs yeux. Ce qui signifiait qu’ils risquaient de transmettre la maladie mortelle du charbon (l’anthrax) à ceux qui les manipulaient, voire à ceux qui se contentaient de les approcher.
Les échantillons ont été neutralisés aussi vite que possible. Mais ils appartenaient à un lot de bacilles qui a été dispersé dans neuf autres laboratoires, situés dans huit Etats américains, ainsi que dans la base aérienne d’Osan, en Corée du Sud, un poste avancé de la veille bactériologique des EtatsUnis face à la Corée du Nord. Ce lot ayant subi en principe un seul et même processus de désactivation, le danger est grand que d’autres agents de la maladie du charbon soient actifs dans d’autres centres de recherche. D’où un branle-bas de combat difficile à dissimuler.
Des manipulations délicates
La maladie du charbon frappe principalement le bétail. Mais elle peut se transmettre à l’homme, où elle prend des formes diverses selon qu’elle entre dans son organisme par la peau, par le système digestif ou par inhalation. C’est dans ce dernier cas qu’elle s’avère la plus dangereuse: ses spores provoquent de graves troubles respiratoires et, en l’absence de traite- ment, s’avèrent presque toujours mortelles.
Mais cette affection doit sa renommée à une autre caractéristique: elle est relativement facile à produire et à manipuler. Donc à transformer en arme biologique. Preuve en est la série d’attaques à l’enveloppe contaminée qui a défrayé la chronique aux Etats-Unis quelques jours après les attentats du 11-Septembre.
Convaincu que l’usage militaire des virus et autres bactéries avaient plus d’inconvénients que d’avantages pour son pays, le président américain Richard Nixon a signé en 1972 la Convention contre les armes biologiques. Les Etats-Unis ne sont donc plus censés produire ce genre de matériel. Et pourtant, ils continuent à en fabriquer au motif officiel qu’ils en ont besoin pour perfectionner leurs moyens de défense. De fait, ces organismes pourraient bien tenter un jour ou l’autre des groupes terroristes, voire d’autres pays (une dizaine d’entre eux en possèdent actuellement).
Même à une échelle limitée, la manipulation de ces pathogènes reste des plus délicate cependant. Chargés d’enquêter sur l’affaire en cours, les Centres américains de contrôle et de prévention des maladies (CDC) ont eux-mêmes été pris en faute l’an dernier, à la suite d’erreurs de manipulation de bactéries dangereuses. Dont – déjà! – l’envoi de bacilles non désactivés de la maladie du charbon dans trois laboratoires. Leur directeur a dû reconnaître une série de manquements, jusqu’à dénoncer dans ses propres installations «un manque de culture» en matière de respect des procédures de sécurité.
Il reste à comprendre ce qui s’est passé cette fois dans le centre de recherche de Dugway: pourquoi la méthode utilisée pour détruire les bacilles de l’anthrax, l’irradiation, a mal fonctionné. «Lorsqu’on applique la dose adéquate d’environ 35 000 grays, le procédé est fiable, commente Nadia Schürch, cheffe du domaine de la bactériologie au laboratoire de Spiez (l’Institut suisse pour la protection contre les menaces et les risques atomiques, biologiques et chimiques). Mais un contrôle de stérilité est toujours nécessaire. D’habitude, un dixième du matériel est sacrifié pour être cultivé pendant huit jours. L’absence de toute croissance au terme de ce délai indique que l’organisme est bien désactivé. Il est probable que l’irradiation n’a pas été suffisante et que le contrôle de sécurité n’a pas été accompli en bonne et due forme.»
26 personnes en traitement
Aux dernières nouvelles, les autorités américaines ont décidé de dispenser des soins à quelque 26 personnes. Soit à quatre civils liés au laboratoire du Maryland et, à titre préventif, à 22 militaires de la base aérienne d’Osan. Elles n’excluent pas pour autant que davantage de gens doivent être traités. Dans les autres laboratoires auxquels les bacilles ont été envoyés. Au sein de la nébuleuse de sociétés privées auxquelles ce matériel a pu être sous-traité. Et peut-être même à ceux qui ont assuré le convoyage de ces échantillons. Le transport a été assuré par FedEx dans les conditions de sécurité prévues pour des organismes… désactivés. Etienne Dubuis