Mise en oeuvre des initiatives: au parlement de jouer
Les difficultés considérables rencontrées dans la mise en oeuvre des initiatives populaires acceptées en votation ne sont pas près de trouver une issue. C’est le constat qu’on pouvait tirer au terme du séminaire annuel organisé jeudi à Neuchâtel par la Société suisse de législation. Le thème choisi tombait à point nommé, alors que la procédure de consultation relative à l’application de l’article constitu- tionnel «Contre l’immigration de masse» s’achevait ce jeudi aussi.
L’initiative acceptée le 9 février 2014, on le sait, n’est pas la seule à donner du fil à retordre au législateur. Le parlement n’a toujours pas finalisé la mise en application de l’initiative pour le renvoi des délinquants étrangers, approuvée en 2010. Et si l’internement à vie des délinquants dangereux a trouvé sa place dans le Code pénal, c’est désormais du côté du Tribunal fédéral que les choses se compliquent, les juges de Mon-Repos ayant donné une interprétation restrictive de ces dispositions, qui restent très décriées par les juristes.
Invité du jour dans ce cénacle scientifique, le conseiller d’Etat genevois Pierre Maudet n’a pas mâché ses mots. L’initiative popu- laire est en passe de devenir, a-t-il lancé, un «instrument de déresponsabilisation collective». Le conseiller national UDC saint-gallois Lukas Reimann lui a indirectement répondu lors de la table ronde qui clôturait les débats: non, l’initiative n’est pas dénaturée par l’usage qu’en fait l’UDC, bien au contraire: nous permettons aux citoyens de se prononcer sur des thèmes qui les préoccupent, et c’est un atout inestimable de notre démocratie, a-t-il exposé en substance.
Il ne faut guère s’attendre à ce que les fronts se détendent. Au contraire. Avec le lancement d’une nouvelle initiative, prônant cette fois la primauté générale des normes acceptées en votation populaire sur le droit international, l’UDC parachève une stratégie dont elle n’a pas cessé d’affûter la doctrine grosso modo depuis le non à l’EEE en 1992. Depuis des années, le parti a opposé habilement et avec constance les droits populaires au droit savant produit par les experts des organisations internationales, les juges de Strasbourg et les professeurs de droit.
Le remède n’est pas aisé à découvrir. L’erreur aura probablement été de surestimer la valeur de la plupart des arguments et des parades envisagées pour résister à l’UDC sur ce terrain. Les unes après les autres, les réponses que l’on a cru pouvoir apporter se sont révélées soit dépourvues d’efficacité, soit politiquement irréalisables.
On doit raisonnablement ranger parmi les secondes l’idée de réviser la Constitution pour y inscrire des nouvelles conditions permettant d’invalider des initiatives. Et parmi les premières le projet de soumettre les initiatives à un examen préalable par les juristes de la Confédération, lesquels joindraient leurs conclusions aux formulaires de signatures pour avertir le citoyen des problèmes juridiques auxquels se heurterait le texte s’il était approuvé.
Y a-t-il même une vraie crise des droits populaires? Certains experts, tels le politologue Marc Bühlmann, sont venus dire leurs doutes, et relativiser les chiffres montrant une forte augmentation des initiatives acceptées en votation ces quinze dernières années. Mais la crise n’est pas dans les chiffres, est-on tenté de répondre. Elle est dans le malaise et l’indécision qu’éprouvent le Conseil fédéral et le parlement quand il s’agit de savoir quelle suite donner à un texte constitutionnel approuvé en votation populaire mais dont la concrétisation est impossible sans porter atteinte à des traités d’une importance fondamentale pour la Suisse, tels la Convention européenne des droits de l’homme ou les accords bilatéraux avec l’UE.
Faute, pour le gouvernement et les Chambres, de disposer d’une réponse réellement convaincante à ces questions, ils sont condamnés à une action peu lisible. C’est pourtant d’eux, et probablement d’eux seuls, que peut provenir la solution. La voie de la révision de la Constitution risque d’être une impasse, et s’en remettre à l’arbitrage des juges, de Mon-Repos ou de Strasbourg, n’apparaît que comme un pis-aller. Voire une démission du politique.