Blanchiment fiscal: les banques sous pression
La place financière se prépare à adapter ses pratiques aux recommandations du Groupe d’action financière (GAFI). Les nouvelles normes doivent entrer en vigueur en 2016
«L’été sera chaud.» La formule de Norberto Birchler, directeur de l’Association romande des intermédiaires financiers (ARIF), résume l’état d’esprit de l’ensemble de la place financière, qui doit adapter ses normes et ses pratiques d’ici à la fin de l’année pour satisfaire aux recommandations révisées du GAFI (Groupe d’action financière).
Dès le 1er janvier 2016, la Suisse va en effet changer d’époque, puisque le blanchiment fiscal fera dorénavant partie des infractions réprimées par le Code pénal suisse. Le temps presse et les points d’interrogation sont encore nombreux: c’est sur ce constat que se sont retrouvés tous les intervenants d’un séminaire organisé par le cabinet PAZ Consultants et l’Institute for Compliance and Quality Management, qui réunissait mercredi à Genève des représentants des banques, des gestionnaires de fortune et des avocats.
Les nouvelles normes acceptées par les Chambres fédérales en décembre dernier pour s’aligner sur les règles du GAFI doivent impérativement entrer en vigueur au dé- but de l’an prochain, car c’est à cette période aussi que s’effectuera la quatrième évaluation de la Suisse par le Groupe d’action financière. L’accent sera mis, ont relevé plusieurs participants, sur l’efficacité du dispositif suisse davantage que sur la simple conformité réglementaire.
Echange automatique dès 2018
Tout doit donc être prêt pour le 1er janvier. Stiliano Ordolli, le chef du MROS, l’unité chargée de filtrer les cas de blanchiment annoncés par les banques et de saisir la justice, ne s’attend pourtant pas à une avalanche de dénonciations. Les infractions fiscales graves qui seront considérées comme du blanchiment d’argent supposeront en effet une économie indue d’impôt de 300 000 francs au moins par période fiscale. Ce n’est donc guère qu’à partir de 2017 que les premiers cas seront annoncés. Et en 2018, la Suisse commencera à pratiquer l’échange automatique, ce qui devrait fortement réduire le nombre de tricheurs.
Il reste que la norme pénale érigeant désormais les délits fis- caux les plus sérieux en infractions relevant du blanchiment d’argent – à l’instar du trafic de drogue – laisse songeur plus d’un spécialiste. Le banquier sera obligé d’identifier, parmi ses clients, ceux qui pourraient tomber sous le coup de la nouvelle disposition.
Mais comment pourra-t-il estimer la somme des impôts soustraits s’il ne connaît pas l’ensemble de la situation financière de son client, par hypothèse étranger et disposant d’une fortune placée dans le monde entier? Comment fera-t-il pour supputer le montant des impôts dus dans le pays d’origine du client, dont la législation peut s’écarter notablement des concepts du droit fiscal suisse?
Zones d’ombre
Autant de questions sur lesquelles la place financière devra se montrer pragmatique. Emmanuel Lauber, chef de la Direction des affaires pénales et enquêtes au sein de l’Administration fédérale des contributions, n’a pas rassuré l’assemblée en précisant que les 35% d’impôt anticipé éludé devraient être inclus dans le calcul des 300 000 francs. Un autre point préoccupe les praticiens. Jusqu’ici, lorsque l’intermédiaire financier pense que son client blanchit des fonds, il prévient le MROS et les sommes restent bloquées cinq jours. La révision va bouleverser ce mode de faire. Le MROS aura 20 jours pour analyser le cas, il pourra pousser plus loin ses investigations.
Mais la banque, pendant ce temps, continuera à exécuter les ordres du client afin de ne pas éveiller sa méfiance. Et s’il vide le compte? Le procureur genevois Jean-Bernard Schmid pense que, au moins dans les cas où l’origine illicite des fonds ne fait aucun doute, la banque s’expose à des reproches si elle laisse filer l’argent. Associée de PAZ Consultants, Natacha Polli lui rappelle le texte de la loi votée par le parlement, qui dit le contraire.
A sept mois de l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions, les zones d’ombre sont donc loin d’être dissipées. Prochaine étape: l’adoption de l’ordonnance antiblanchiment de la Finma, attendue pour le mois prochain. Denis Masmejan